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dimanche, mai 5, 2024

Pourquoi l’Algérie fait une terrible erreur en interdisant l’importation des voitures d’occasion

L’Algérie va autoriser officiellement l’importation des véhicules neufs comme le stipule le décret exécutif fixant les conditions et les modalités d’exercice de l’activité de concessionnaires de véhicules neufs qui est paru dans le dernier journal officiel (JO) N49. Un choix économique qui risque de s’avérer chaotique pour les réserves de change du pays car l’addition des importations des véhicules neufs sera sans doute salée en termes de devises au regard de la forte demande en matière de voitures en Algérie. 

Avec un marché national fortement perturbé par les multiples restrictions imposées depuis 2014, et une pénurie nationale en voitures qui s’explique par l’échec de l’industrie du montage des véhicules neufs sans oublier la désaffection des Algériens pour les transports collectifs en raison de leurs prestations médiocres, en Algérie, tous les ingrédients sont réunis pour « cuisiner » une nouvelle filière d’importations qui va aggraver l’hémorragie des devises dont souffre le pays : Plus de 41 milliards de dollars d’importations par an et un déficit commercial de 5,75 milliards de dollars durant les onze premiers mois de 2019, contre un déficit de 3,88 milliards de dollars à la même période en 2018.

Et pour cause, les concessionnaires qui vont être autorisées à importer des véhicules neufs depuis l’étranger, notamment depuis l’Europe ou l’Asie, vont recourir à un financement en devises de leurs importations qui sera assuré et couvert par les banques algériennes, étatiques ou étrangères. Et celles-ci n’ont pas ressources propres en devises pour financer ces opérations d’importation et demanderont des attributions en devises à la Banque d’Algérie qui sortira ces devises de ses caisses pour payer la facture finale. En clair, et de façon très schématique afin que tout le monde puisse comprendre les véritables enjeux, les concessionnaires algériens vont déposer des sommes en dinar algérien pour s’offrir à l’étranger des voitures neuves en devises qui proviendront des caisses des banques algériennes et, par ricochet, de la Banque d’Algérie. En langage décodé, les concessionnaires ne dépenseront presque rien de leurs poches, ils utiliseront leurs dinars pour financer des achats en devises… que l’Etat algérien va leur filer !

Ce mécanisme risque de faire perdre à l’Algérie dés la première année des importations des véhicules neufs près de 5 milliards de dollars ou 4,5 milliards d’euros. La facture des importations sera lourdement pénalisée. Mais, faut-il pour autant interdire aux Algériens le droit d’acheter  des voitures à l’étranger ? Non, loin s’en faut ! Or, il y a une solution beaucoup plus convenable aux besoins de l’Algérie : autoriser les particuliers à acquérir eux-mêmes les voitures d’occasion à l’étranger.

En Europe comme dans certains pays asiatiques, les voitures d’occasion sont beaucoup plus intéressantes que les voitures neuves : elles sont beaucoup moins chères et présentent toutes les garanties nécessaires au respect des normes de sécurité.

Depuis la fermeture du marché algérien, les voitures d’occasion françaises prennent souvent le chemin de l’Europe de l’Est. Pologne ou République tchèque sont en quête de modèles venus de l’Ouest où les voitures sont beaucoup mieux entretenus. Leur valeur moyenne ne dépasse pas 7 000 à 8 000 euros et leur kilométrage peut allègrement excéder les 100 000 kilomètres au compteur. Ces destinations peuvent aussi devenir autant de points de passage vers des clients plus lointains, en Russie, Biélorussie ou Ukraine.

Ces pays n’ont aucun problème à utiliser des voitures d’occasion en provenance de l’Allemagne ou la France tant qu’ils ne se ruinent pas pour permettre à leur population de s’offrir des moyens de locomotion sans toucher à leurs équilibres financiers. L’Algérie a tort d’ignorer ce marché des véhicules d’occasion car il est beaucoup plus vaste que celui des véhicules neufs.

Ainsi, dans de nombreux pays, dont la Bulgarie, Chypre, la Jamaïque, la Nouvelle-Zélande ou la Russie, la majeure partie des ventes nationales d’automobiles concernent des voitures d’occasion importées. De même, si l’on exclut les échanges avec le Canada, les États-Unis ont exporté en 1999 environ un tiers de plus d’automobiles d’occasion que d’automobiles neuves. Et depuis 2003, les exportations japonaises de véhicules d’occasion dépassent le 1 milliard de dollars US. Beaucoup de pays offrent également d’importants débouchés pour des pièces et composants d’occasion de véhicules à moteur. Ce marché pourrait représenter 60 à 70 milliards de dollars à l’échelle mondiale, dans la mesure où les personnes à faible revenu, notamment, gardent leur véhicule le plus longtemps possible pour éviter d’en racheter un nouveau.

La voiture d’occasion est donc beaucoup plus abordable que la voiture neuve et parfaitement réutilisables tout en présentant des garanties de sécurité routière grâce à des contrôles techniques actualisés. L’Algérie, confrontée à l’une de ses pires crises financières, ne peut pas s’offrir le luxe d’acquérir des voitures neuves rutilantes prenant le risque d’épuiser ses réserves de change. Des recherches montrent que les véhicules d’occasion en provenance des pays développés sont souvent davantage conformes aux normes d’environnement et de sécurité que le parc local de véhicules – plus ancien – des pays en développement.

La seule solution envisageable dans le cas algérien est de recourir à l’importation des voitures d’occasion jusqu’à moins de 5 ans. Une recherche menée par l’Université George Mason a montré que seuls 58 pays sur les 132 étudiés n’imposent aucune restriction aux importations. 21 pays interdisent purement et simplement l’importation, et les pays restants appliquent une combinaison de mesures moins restrictives, telles que des interdictions conditionnelles d’importation (généralement liées à l’âge du produit ou à d’autres exigences techniques) ou des taxes et redevances spéciales.

L’Algérie peut donc facilement réaménager son dispositif réglementaire et fiscal pour autoriser l’importation des voitures d’occasion dans le but de limiter l’aggravation de la facture des importations. Il suffit pour cela de ne pas imposer le paiement des voitures importées  par compte-devise afin de ne pas prendre le risque de provoquer la flambée du cours parallèle des devises en Algérie.

Les autorités algériennes pourraient aussi k-laisser la liberté aux importateurs (citoyens et concessionnaires) de se débrouiller les devises auprès des émigrés ou binationaux (parents et amis) avec un double avantage pour le pays : empêcher la sortie de devise et une rentrée indirecte de devises de nos « émigrés » qui vont envoyer leur argent vers l’Algérie ou l’utiliser en Europe pour financer les importations des voitures à l’étranger. Et en dernier lieu, afin d’encourager ce modèle de business, il suffit juste de proposer des abattements fiscaux ou une suppression partielle des droits de Douane ou la TVA afin de permettre aux algériens de l’étranger d’introduire dans leur pays d’origine des bonnes voitures d’occasion sans craindre une forte taxation qui nuirait à leur portefeuille.

Tout ce dispositif permettra à l’Algérie d’acquérir des voitures en toute sécurité sans ruiner ses réserves de change. Dans cette vidéo, notre rédacteur en chef, Abdou Semmar, explique encore davantage les tenants et aboutissants de ce dispositif avec des exemples concrets et des détails précis :

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