Quarante ans après le printemps amazigh d’avril 1980 qui a été marqué par une grave propagande officielle et une répression cinglante des étudiants, enseignants et travailleurs du centre universitaire de Tizi Ouzou dont 24 membres ont été déférés devant la sinistre Cour de sûreté de l’État. Leur libération n’a été possible que grâce à une mobilisation massive des populations en Kabylie. De cet événement majeur, né, rappelons-le, de l’interdiction d’une conférence, jugée « subversive », de l’écrivain Mouloud Mammeri sur les « Poèmes kabyles anciens » qui a fortement marqué la mémoire collective et a surtout ouvert le champ pour de futures et nombreuses luttes démocratiques. Depuis les actions pour la reconnaissance officielle du fait berbère n’ont jamais cessé tant et si bien que cette question a de nouveau fait une irruption remarquable dans l’espace public à l’occasion de l’insurrection citoyenne de février 2019 où l’emblème amazigh est brandi aussi bien en Kabylie qu’à Alger et dans d’autres villes du pays avant qu’il ne soit interdit par l’ancien chef d’état-major de l’armée en juin 2019.
Les avancées acquises comme la reconnaissance du statut de langue nationale puis officielle du Tamazight grâce aux longues années de lutte pour sa prise en charge institutionnelle n’ont d’égales que les résistances que le régime continue, tantôt abruptement et tantôt subtilement, de lui opposer. Ainsi, pour avoir arboré l’emblème amazigh au cours de cette mobilisation citoyenne, plusieurs dizaines de jeunes manifestants ont été arrêtés. Puis condamnés à des peines de prison sous les chefs d’accusation « d’atteinte à l’unité nationale » et de « port de drapeau autre que l’emblème national », alors qu’il n’y a aucune disposition pénale qui sanctionne le port d’un drapeau autre que l’emblème national dans un pays où la langue et la culture amazigh sont a fortiori gravées dans le marbre de la
constitution. Une condamnation d’autant plus dangereuse et regrettable qu’elle émane de deux institutions de l’État – le haut commandement de l’armée et la justice – au moment même où tout converge dans les slogans, les déclarations les pancartes, les mots d’ordre pour faire une nation, une et indivisible dans le respect de sa diversité.
Le printemps amazigh est un mouvement politique fondateur en ce sens qu’il est désormais devenu non seulement le symbole des luttes pour l’identité culturelle et linguistique aussi bien en Algérie que dans les pays d’Afrique du Nord, mais aussi, parce qu’il est avant tout un esprit de résistance contre l’arbitraire et le déni, le précurseur des luttes pour la citoyenneté qui ont jalonné les quarante dernières années de l’histoire contemporaine de l’Algérie dont l’insurrection citoyenne de février 2019 est la plus récente. Symbole de la résistance algérienne, Kherrata, lieu de la première manifestation du hirak le 16 février 2019, est l’épicentre de ce mouvement pacifique, aussitôt suivie par les populations de l’ensemble des régions du pays donnant ainsi naissance à un mouvement citoyen inédit qui a forcé l’admiration des peuples un peu partout dans le monde. Avril 1980 est, pour ainsi dire, la sève du hirak qui a permis à la société civile de prendre conscience de sa force et de reprendre l’initiative faisant de la citoyenneté son crédo et de l’État de droit, civil et démocratique son ambition.
Parce qu’il a réussi à surmonter les peurs et à soulever la chape de plomb pesant fortement alors sur la société du fait d’une police politique omniprésente semant la terreur dans le pays, le printemps berbère a ouvert la voie à des luttes démocratiques qui ont marqué toutes les décennies suivantes. Avant la grande révolte d’octobre 1988, des émeutes sociales ont éclaté quasiment dans toutes les grandes villes du pays : Oran, Constantine, Sétif, Bejaia, Annaba… Aussi son influence est indéniable sur la création de la ligue des droits de l’Homme en 1985, la fondation la même année de l’association des enfants de chouhadas, la marche historique du 25 janvier 1990 ou des centaines de milliers de personnes ont manifesté à Alger pour la reconnaissance du Tamazight, la grève du cartable en 1995 et enfin le «printemps noir » d’avril 2001.
Et ce n’est pas un hasard si des milliers, voire des millions d’Algériens scandent à l’occasion des marches hebdomadaires du hirak, «pouvoir assassin », ce qui n’est pas sans évoquer le slogan phare du mouvement citoyen des Archs de 2001, réprimé dans le sang par les forces de sécurité et dont le bilan macabre s’est soldé par plus de 128 jeunes assassinés, plusieurs centaines de blessés dont certains sont handicapés à vie et une répression aveugle de la manifestation du 14 juin 2001 à Alger.
Rappelons que la célébration du printemps berbère d’avril 1980 est à l’origine du printemps noir de 2001, suite à l’assassinat du brillant lycéen Guermah Massinissa par un gendarme à At Douala (Tizi Ouzou).
Conséquences d’un tremblement de terre qui a eu lieu le 20 avril 1980 dont les répliques se font encore sentir de nos jours, ces nombreuses révoltes et mouvements de contestation qui continuent de secouer le pays, dont le hirak est point d’orgue, tissent un fil d’Ariane entre le présent, le passé et le printemps berbère occupe une place majeure. Aujourd’hui, l’esprit de résistance du 20 avril souffle plus que jamais sur le pays, il redonne espoir au peuple algérien, longtemps spolié de sa souveraineté et de ses droits, de se libérer d’un régime autoritaire et finissant de vivre pleinement une nouvelle indépendance.