Sonatrach a échappé de justesse à un chaotique procès en arbitrage international qui aurait pu lui coûter d’immenses pertes financières. Dans le litige commercial qui l’oppose au groupe espagnol Naturgy, Sonatrach a fini par signer un nouvel accord commercial dans lequel elle a fait des concessions en acceptant de baisser ses prix de ses livraisons de gaz naturel. Une véritable défaite sur le plan commercial puisque la compagnie nationale des hydrocarbures a fini par satisfaire toutes les doléances de son principal client en Espagne. Ceci dit, Sonatrach veut maquiller cet accord en « victoire apaisante » pour tromper les décideurs politiques algériens et l’opinion publique algérienne. Explications.
Le 15 mai dernier, Algérie Part avait révélé en exclusivité que le groupe espagnol Naturgy a menacé Sonatrach de suspendre ses contrats de livraisons de gaz naturel si la compagnie algérienne ne baisse pas ses prix pour prendre en compte l’effondrement des prix internationaux du marché gazier à cause des ravages de la pandémie du coronavirus COVID-19. Algérie Part a été le premier, et le seul, média algérien révélant les tenants et aboutissants de ce litige commercial qui pouvait dégénérer en véritable cauchemar pour Sonatrach.
Le groupe espagnol Naturgy Energy avait voulu dés le début du mois de mai suspendre son contrat avec Sonatrach concernant les livraisons et fourniture de gaz naturel à la suite de l’effondrement des prix internationaux constatés sur le marché mondial. Le contrat initial liant Naturgy Energy, anciennement appelé Gas Natural Fenosa, permettait à Sonatrach de lui vendre en 2020 du gaz naturel autour de 4 dollars par million de BTU. Or, sur les marchés mondiaux, les cours du gaz naturel se sont effondrés dans le sillage de l’effondrement des prix du baril du pétrole. Au mois de mai dernier, le cours du gaz naturel tournait autour de 1,7 dollars par million de BTU. Ce qui causait un énorme manque à gagner pour la société espagnole car la différence des prix entre les marchés internationaux et celle du contrat la liant avec la Sonatrach est énorme.
Aujourd’hui, les prix du gaz naturel tournent autour de 2,74 dollars par million de BTU. A cause de cette chute des prix internationaux, Naturgy Energy a réclamé de renégocier son contrat initial qui la lie à Sonatrach. Dans ce contrat, il est stipulé que les espagnols doivent continuer à acheter du gaz naturel algérien même si les prix internationaux continuent de baisser. Dans le contrat signé avec Sonatrach, la société espagnole ne peut pas payer le gaz naturel à moins de 2 dollars par million de BTU.
Cette obligation a été rendue possible par la clause du “Take or Pay” littéralement “prendre ou payer”. Le principe de cette clause permet de sécuriser les contrats gaziers long terme. Ainsi, le fournisseur s’engage à acheter une quantité minimale de gaz – par exemple, 80 % du volume total commandé –, quels que soient ses besoins réels pour la période concernée. En contrepartie, le producteur s’engage à fournir ce même volume de gaz minimum aux échéances convenues. Cette double garantie s’accompagne d’un partage des risques réciproque. L’acheteur supporte ainsi une partie de l’aléa lié à la variabilité de ses besoins en énergie. Le producteur assume quant à lui le risque lié à l’évolution des valeurs du marché, puisque le prix fixé par le contrat restera le même quoi qu’il arrive !
Le prix fixé par le contrat sera plus ou moins élevé selon l’étendue de la fourchette de tolérance. Les experts du secteur gazier estiment que cette clause obligatoire est logique car plus l’incertitude de consommation est large, plus le risque supporté par le fournisseur est élevé.
Dans cette situation, à cause de ce principe du Take or pay qui régit le contrat liant Sonatrach à Naturgy Energy, les espagnols ne pouvaient pas espérer un prix de vente du gaz algérien à un tarif inférieur à 2 dollars par million de BTU. Dans ce contexte, Naturgy Energy Group, S.A. spécialisé dans le traitement, le transport et la distribution de gaz naturel, et dans la production d’électricité, s’était retrouve les poings liés par un contrat qui va lui causer des pertes financières considérables puisque le gaz naturel disponible sur le marché mondial est beaucoup moins cher que le gaz naturel qui lui est fourni par l’Algérie.
Le conflit a éclaté ainsi et Naturgy Energy a décidé de jeter toutes ses forces dans la bataille afin de garantir sa survie économique et financière dans cette crise inédite provoquée par la pandémie de la COVID-19. Au départ Sonatrach affichait une inflexibilité sans précédent. Mais cette attitude va s’avérer infructueuse et le conflit commençait à tourner en défaveur de Sonatrach qui perdait d’immenses recettes en devises au niveau des exportations accusant un recul significatif à cause de la pandémie de la COVID-19.
Se trouvant dans une impasse et face à un risque élevé de perdre une facture salée dans le sillage d’un procès en arbitrage international qu’elle ne pouvait pas gagner, Sonatrach a fini par changer de position en se montrant beaucoup plus amicale à l’égard de son client espagnol.
Et le 8 octobre dernier, Sonatrach se rend à l’évidence et cède aux exigences de Naturgy en acceptant d’aligner ses prix sur les évolutions du marché mondial du gaz naturel. Le groupe espagnol sort vainqueur puisqu’il ne sera pas contraint d’acheter du gaz naturel algérien à des prix beaucoup plus chers que les prix fixés sur le marché mondial.
Dans son communiqué final, la direction générale de Sonatrach transforme la défaite en une victoire symbolique et annonce que son PDG, Toufik Hakkar, a rencontré à Alger son homologue Monsieur Francisco REYNES, Président Directeur Général de la compagnie espagnole NATURGY, à l’issue de la signature des avenants aux contrats de vente de gaz liant les deux sociétés.
« La signature de ces avenants renforce le partenariat de SONATRACH et NATURGY dont la relation commerciale date des années 70 et qui sont également les deux actionnaires de la société MEDGAZ qui exploite le gazoduc reliant l’Algérie à l’Espagne, respectivement à 51% et 49%. Cette rencontre a été une occasion pour les deux responsables d’échanger sur d’autres possibilités de coopération future entre les deux compagnies et sur les meilleurs moyens d’élargir leurs relations commerciales », se réjouit Sonatrach.
La direction générale de Sonatrach ne veut pas dire la vérité aux Algériens et aux décideurs du pouvoir politique. Cette vérité consiste à comprendre que la direction générale de Sonatrach a perdu 5 mois en faisant de la résistance vaine et inutile car les prix du gaz naturel peuvent être réévalués à la hausse comme à la baisse en application de la clause dite « de bouleversement » qui prévue par les contrats de vente de gaz à l’échelle mondiale. Cette clause permet d’augmenter les prix du gaz naturel si les tendances du marché mondial repartent à la hausse. Or, le scénario inverse est totalement envisageable puisque cette clause permet de baisser les prix en cas de « bouleversements » sur le marché mondial du gaz.
L’Algérie avait déjà gagné un procès international au nom de cette « clause de bouleversement ». En août 2010, la Cour d’arbitrage de Paris avait donné raison à Sonatrach dans le conflit qui l’opposait justement depuis 2007 à Gas Natural Fenosa, l’ancienne appellation de Naturgy Energy, sur le prix du gaz livré à l’Espagne et acheminé à travers le GME (gazoduc Maghreb-Europe). Gas Natural avait été condamné par la Cour d’Arbitrage de Paris à payer rétroactivement près de 1,5 milliard d’euros à Sonatrach à la suite de cet arbitrage. Les effets rétroactifs maximums facturés par Sonatrach à Gas Natural s’élevaient à une somme de 1,97 milliard de dollars (1,4485 milliards d’euros). En novembre 2009, le tribunal arbitral de Genève avait également décidé que Sonatrach n’avait pas à indemniser Gas Natural et le pétrolier espagnol Repsol pour avoir dénoncé en 2007 un accord sur le projet Gassi Touil de liquéfaction de gaz naturel. Gas Natural a fusionné en 2009 avec le groupe espagnol Union Fenosa et depuis cette date il s’appelait Gas Natural Fenosa.
En mai 2013, l’Algérie a perdu un procès en arbitrage international face à l’Italien Edison dans une affaire de revue à la baisse des prix du gaz. Sonatrach avait perdu à cause de la fameuse clause de « bouleversement » qui encadre les contrats d’approvisionnement en gaz naturel. Cette clause explique que les prix peuvent faire l’objet d’une réévaluation en cas de changement des conditions économiques avec un impact estimé à 390 millions de dollars sur l’excédent brut d’exploitation (ebitda) du client ou du fournisseur.
Sonatrach avait donc déjà de l’expérience dans ces litiges commerciaux. Mais depuis mai 2020, elle s’est entêtée à adopter une attitude totalement contre-productive. Pourquoi ? Parce que la direction générale de Sonatrach pensait naïvement que les prix du gaz naturel allaient remonter à la fin de la pandémie de la COVID-19. Or, cette pandémie n’a pas disparu à la fin de l’été et elle continue de déboussoler les prix de tous les marchés mondiaux. L’amateurisme dont a fait preuve Sonatrach a affaibli les positions de l’Algérie dans le stratégique dossier du gaz. Quelles sont les pertes depuis mai dernier au niveau du recul de nos exportations gazières vers le marché espagnol, le premier marché algérien ? Sonatrach refuse de répondre en dévoilant les vrais chiffres.
Le coeur de ce problème est finalement plus grave que prévu. Sonatrach a cédé face Naturgy parce qu’elle ne sait pas quoi faire de son gaz si elle ne l’exporte pas en brut vers l’Europe. Dépourvue de toute industrie pétrochimique digne de ce nom, le gaz algérien s’exporte comme ça en brut pour que les pays industrialisés le transforment en produits à forte valeur ajoutée empochant ainsi des plus-values financières impressionnantes.
L’Algérie n’a jamais tiré les leçons de ces défaites encaissées à cause des fluctuations régulières des prix des hydrocarbures. Si elle s’était dotée d’une industrie pétrochimique, elle ne subirait pas le diktat des clients espagnols, italiens ou européens. Son gaz, elle pourrait le transformer ici et l’utiliser pour développer une véritable industrie tournée vers l’export des produits à valeur ajoutée.
Il faut savoir que le gaz naturel est aujourd’hui la matière première d’une majeure partie de l’industrie chimique et pétrochimique : pour la quasi-totalité de la production d’hydrogène, de méthanol et d’ammoniac, trois produits de base, qui à leur tour servent dans diverses industries : engrais ; résines ; plastiques ; solvants ; raffinage du pétrole.
Pour quelle raison ? Parce que le constituant principal des gisements de gaz naturel est le méthane. Le méthane est un hydrocarbure composé d’un atome de carbone et de quatre atomes d’hydrogène. Pour être utilisable, le gaz naturel peut nécessiter un adoucissement (retrait de la majeure partie des composants acides, gaz carbonique et sulfure d’hydrogène essentiellement) et un dégasolinage (retrait des fractions lourdes du gaz). Il doit dans tous les cas être déshydraté. Toutes ces opérations visent à éliminer les impuretés présentes avec le gaz en sortie de puits. Du côté de l’industrie agro-alimentaire, le gaz naturel permet de produire de l’eau chaude ou de la vapeur qui servent pour de multiples applications : décongeler, cuire, stériliser, sécher, hydrater, nettoyer, etc. Il contribue ainsi à optimiser les procédés de fabrication et à fournir des produits de qualité aux consommateurs.
Le jour où l’Algérie peut exploiter une infime partie des potentialités industrielles du gaz naturel, elle ne sera plus contrainte à faire la danse du ventre à ses clients européens pour les supplier de continuer à acheter au rabais son gaz…