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vendredi, mai 3, 2024

Entretien. Malek Bensmaïl : « le cinéma doit aborder tous les sujets et aller sur des terrains difficiles »

Malek Bensmaïl est certainement l’un des cinéastes algériens les plus brillants de sa génération. A son actif plusieurs films dont : La Chine est encore loin, Le Grand Jeu, Aliénations, Algérie(s), Plaisirs d’eau, Dêmokratia & Algerian TV Show, Des vacances malgré tout… Il est également le réalisateur du film Boudiaf, un espoir assassiné. Justement, le réalisateur algérien a proposé gratuitement le lien de ce film sur la plateforme Vimeo. « Il s’agit plus d’une mise en perspective historique avec des résonances évidentes avec l’actualité d’aujourd’hui », a expliqué Malek Bensmaïl sur sa page Facebook. Dans cet entretien accordé à Algérie Part, le réalisateur algérien, né en 1966 à Constantine, nous dévoile le dessous de ce film et de sa réception en Algérie. Il nous expose également sa vision du présent et du futur de notre pays qui vit une période troublante sur le plan politique.  

Pourquoi ce choix de faire un film sur le défunt président Boudiaf ?

A l’époque, je venais de finir mon premier film « Territoire(s) » (1996), qui questionnait à la fois les violences archaïques des années 90 et les violences post-modernes. Lorsqu’on est venu me proposer de réaliser ce film, j’ai évidemment saisi l’importance du geste. Le documentaire est justement là pour donner à comprendre; saisir la complexité de notre histoire, et le récit de Boudiaf, était tout autant émouvant et donnait a voir les arcanes du fonctionnement du régime d’alors. Le film ne se veut pas un portrait mais bien une mise en perspective historique, et tente modestement de donner des clés ou du moins d’amorcer une réflexion autour de la question du pouvoir politique et de qui se jouait alors en Algérie.

Où est-ce qu’il a été réalisé le film ?

Le film a été réalisé en partie en Algérie et en France. Vue la conjoncture à l’époque, certaines personnalités algériennes, ne souhaitaient pas être interviewées à Alger, les entretiens ont eu lieu donc à Paris dans des studios d’enregistrements.

Vous n’avez pas eu de problème avec le gouvernement ? L’assassinat de Boudiaf demeure un sujet tabou en Algérie… 

Des problème, on en a toujours pour ce type de films. Le film fut d’ailleurs déprogrammé par Arte à la suite de pressions venues d’Alger. Le film fut programmé par Arte la veille de l’élection de Bouteflika (1999) et cela a été mal interprété à El Mouradia. Au final, il fut reprogrammé 3 mois plus tard. Il y a eu des craintes que le film révèle je ne sais quoi mais mon travail, à l’opposé des journalistes, n’est justement pas d’aller chercher des scoops mais plutôt de travailler plus en profondeur la questions mémorielle, comprendre les décisions, les faits, raconter les récits et les questionnement soulevées par Boudiaf pendant sa présidence.. Oui l’assassinat du Président Boudiaf est le secret le mieux gardé de notre histoire. Il y a plusieurs paramètres, politiques, sécuritaires, géopolitique également, nationales, historiques. Documenter, filmer. C’est le maître mot, car notre histoire et les générations futures ne nous excuseront pas pour les vides mémoriels.

Combien de temps vous a pris ce projet ?

Un ou deux ans. Le montage fut long et la recherche d’archives également car nous étions encore en pleine décennie noire et ce fut une période compliquée. Un film doit trouver son équilibre et c’est ce qui prends le plus de temps à vrai dire.

Il y a t il un lien entre cette période charnière pour l’Algérie et l’actuelle d’aujourd’hui ?

Il est évident que ce sont deux périodes totalement différentes. Cette période a engendré des drames, des massacres, des pertes de vies humaines. Je pense que nous avons raté là la possibilité d’enclencher avec Boudiaf un virage qui aurait pu nous sortir d’une crise religieuse et identitaire et amorcer peut-être la mise en chantier d’une réelle démocratie. Aujourd’hui, la donne est différente, Le Hirak est toujours présent dans nos mémoires, le peuple a toujours soif de liberté, de démocratie, de modernité.

Vous pensez que l’histoire d’Algérie n’est pas mise en œuvre ? Puisque les réalisateurs trouvent toujours des difficultés à réaliser leurs projets en Algérie ?

L’histoire s’écrit difficilement malgré et avec nous. Nous ratons à chaque fois des possibilités d’émancipation politique ; l’indépendance et la crise de l’été en 1962, le tournant après le décès de Boumédienne, les émeutes de 1988, L’après décennie noire…Il y a une machine du système, tel un montre invisible qui broie toute possibilité de changement profond. Il n’ya pas d’homme ou de femme providentiel, mais certainement un peuple formidable.

J’arrive à monter mes projets en Algérie, sans soucis, mais il faut affronter parfois les récalcitrants. C’est le propre du cinéma, et c’est ce qui rend cet art « politiquement » passionnant. Le cinéma dans notre pays reste un combat.

Selon vous quel rôle peut jouer le cinéma dans la lutte pour les libertés démocratiques en Algérie ? 

Le cinéma doit aborder tous les sujets et aller sur des terrains difficiles, et ainsi permettre aux algériens, au public, de se regarder, sans tabous. Le cinéma de fiction et documentaire, les télévisons publiques et privées devraient jouer ce rôle en élevant le niveau des contenus et des programmes. Nous avons à la fois une obligation d’accompagner notre récit collectif et individuel et donner à voir en transparence nos maux, nos réussites, nos échecs, nos travers, nos joies, nos bonheurs, nos tristesses.

Y a t il selon vous encore cinéma engagé en Algérie ?

Chaque auteur décide du cinéma et du genre qu’il décide d’utiliser pour s’exprimer. Il ya une multitudes de regards percutants en Algérie, venant surtout de la nouvelle génération, hommes et femmes. Laissons la jeunesse s’emparer des outils, se former, aidons les à produire leurs projets et vous verrez des films explosifs.

Quel est votre regard sur la situation que traverse en ce moment l’Algérie ?

Le Hirak est un mouvement populaire fascinant, puissant, qui a ébloui le monde entier. Nous sommes passés de la violence des années 90 au silence des années Bouteflika en passant par la marche pacifique post-Bouteflika. Le Hirak dit, au delà du politique, des vérités importantes, concernant la citoyenneté. Nous sommes passés du mode simple « sujet » à citoyen. Marcher est une manière d’aller de l’avant ensemble. Socialement, il y a une entente collective. Même si le Hirak avec le COVID et la répression s’estompe dans les rues, les algériens sont en marche intérieurement, individuellement, c’est là sa force. Je ne pense pas que les arrestations ou les censures soient la meilleure des solutions. l’Algérie et la jeunesse algérienne va dans le sens de la marche du monde. La jeunesse d’aujourd’hui est politique et compare l’Algérie avec le reste du monde et non plus au passé des années 60…

Et comment appréhendez-vous l’avenir du pays?

Même si je peux avoir un regard critique, je reste profondément optimiste, sinon, je ne ferai pas de films.

 

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1 تعليق

  1. Non !
    Un film sur Larbi Ben M’hidi ou Boudiaf ?
    Vous rigolez ou quoi !
    El Houkouma va démarrer une série en plusieurs épisodes
    sur la vie de l’émir Abdel Kader, l’ami de la France !
    Une autre série encore en gestation va suivre sur le Badissisme !
    Toute la crème de l’Algérie française !
    C’est ce que les DAF décideurs ont décidé !