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vendredi, avril 26, 2024

Enquête. Pourquoi l’Algérie peine encore à fabriquer 70 % des médicaments dont elle a cruellement besoin

Lors du dernier Conseil des ministres tenu le 30 août dernier à Alger, Abdelmadjid Tebboune et ses ministres ont beaucoup parlé de l’importance de développer l’industrie pharmaceutique nationale. A cette occasion,  Abdelmadjid Tebboune a donné, dimanche, une série d’instructions visant à relancer le secteur pharmaceutique en Algérie, affirmant que le marché du médicament en Algérie doit être adapté à la nouvelle approche économique, visant à encourager la production nationale en préservant la devise et la santé du citoyen.

Le Président Tebboune a donné des instructions pour accorder la priorité à l’augmentation de la production nationale pour ce qui est de la fabrication de médicaments et réduire la facture d’importation de 400 millions de dollars d’ici à la fin de l’année en cours. Or, cet objectif ne semble pas encore à la portée de l’Algérie en raison de plusieurs faiblesses et incohérences qui minent le fonctionnement de la production pharmaceutique nationale. Enquête.

Des progrès mais… 

Depuis 2016, il y a officiellement plus  87 usines de production de médicaments en Algérie. Les autorités algériennes ont délivré également pas moins de 151 agréments provisoires pour lancer des unités de production des produits pharmaceutiques et médicaments. Pour l’heure, les producteurs les plus importants sont EL KENDI, SAIDAL, SANOFI, HIKMA,
BIOPHARM, MERINAL, PFIZER, IMC, FRATER RAZES, PHARMALLIANCE, BEKER et INPHA.

En 2017, le marché des médicaments en Algérie a dépassé les 360 milliards de Da, soit plus de 2,8 milliards de dollars. La production nationale représentent jusqu’à 48 % de ce marché et les importations ont couvert pas moins de 52 % des besoins de ce marché.

Dans le secteur de l’industrie pharmaceutique, force est de constater que l’Algérie a accompli de nombreux progrès grâce à une politique publique totalement favorable à la production nationale. En Algérie, pour les médicaments/produits finis, les importateurs sont soumis à l’autorisation des programmes d’importation par le Ministère de la Santé, le système appliqué à l’importation de matières premières pour les producteurs nationaux est ainsi beaucoup plus souple : les programmes d’importations sont ouverts à l’année et le processus d’accès aux devises facilité.

Une telle politique a globalement porté ses fruits. Sur un volume global d’importations (matières premières et produits finis) qui a plus que doublé en dollars et plus que triplé en Dinars, entre 20082 et 20173, le taux de couverture de l’offre (production + importation) par la production nationale est passé de 36% en 2011, à 48% en 2017, alors qu’il était de l’ordre de 10% en 1990.

Désormais, les autorités algériennes ambitionnent d’atteindre un taux de couverture de 70% du marché par la production nationale. Cet objectif avait été fixé à l’horizon 2019. Mais aujourd’hui nous sommes en 2020 et, malheureusement, cet objectif n’a pas été atteint. Pourquoi ? Parce que l’Algérie a échoué dans une démarche essentielle et fondamentale celle  du renforcement des partenariats existants avec les laboratoires étrangers déjà installés en Algérie et ce dans le but d’accélérer les transferts de technologie sur les molécules innovantes.

Faute de stratégie… 

Faute d’avoir réussi cette stratégie, de nombreux médicaments essentiels à la santé humaine en Algérie sont encore importés depuis l’étranger en raison de la faiblesse de la recherche scientifique et des capacités dérisoires de l’innovation des producteurs locaux.

Ainsi, si sur la période 2010-2016, la production a ainsi quasiment doublé en volume et été multipliée par 3,5 en valeur (exprimée en Dinars), la valeur des intrants importés pour
la production était multipliée par 5 entre 2010 et 2015.

Force est également de constater que l’industrie pharmaceutique algérienne s’est spécialisée dans uniquement 22 classes thérapeutiques sur les 26 enregistrées officiellement en Algérie. En clair, il y a des segments du médicament dans lesquels l’Algérie ne fabrique pratiquement rien. A titre d’exemple, la production pharmaceutique nationale est totalement inexistante en Algérie en cancérologie, toxicologie ou l’anesthésie-réanimation.

Il faut savoir que la majorité écrasante des médicaments fabriqués en Algérie sont destinés à la gastro-entérologie, à savoir le système digestif et ses maladies. Ce segment représente plus de 82 % des activités industrielles de la production nationale pharmaceutique en Algérie. La cardiologie représente à peine 18 % des activités de la production algérienne alors que les maladies cardiovasculaires sont la première cause de mortalité en Algérie et tuent deux fois plus que le cancer et le diabète. Tout comme l’infectiologie qui ne dépasse pas les 17 % alors que les traitement des maladies infectieuses constitue un enjeu majeur dans le monde entier et notamment depuis le début de la crise sanitaire du coronavirus COVID-19.

Les producteurs algériens ne sont donc pas malheureusement connectés aux véritables besoins sanitaires des Algériens. C’est ce qui renforce la dépendance de l’Algérie vis-à-vis des importations des médicaments fabriqués à l’étranger.

Domination des laboratoires étrangers 

Un autre constat s’impose : la production nationale des médicaments en Algérie est dominée outrageusement par quelques groupes privés et étrangers. Preuve en est, c’est le laboratoire algéro-jordanien El-Kendi qui domine l’industrie pharmaceutique nationale avec plus de 16 % des parts de marchés. Saidal, la société étatique, arrive au 2e rang mais avec seulement 8 % des parts de marchés ! HIKMA, une autre entreprise pharmaceutique d’origine jordanienne spécialisée dans les génériques, arrive  sur le podium avec plus de 7 % des parts de marchés de toute la production pharmaceutique nationale en Algérie.

SANOFI et PFIZER sont les deux autres groupes étrangers qui dominent le marché des produits pharmaceutiques et des médicaments en Algérie. Quelques groupes privés algériens tentent de résister à la domination des laboratoires étrangers à l’image de Pharmalliance, MERINAL ou les laboratoires INPHA.

En octobre 2019, les autorités algériennes ont été interpellées par une étude qui met en garde contre le risque d’un véritable monopole exercé par certains gros producteurs de médicaments. « Il y a des prémices de constitution d’oligopoles », avait effectivement conclu une étude sur le marché du médicament à usage humain en Algérie. Cette étude avait été réalisée par le Conseil national de la concurrence (CNC).

« Nous avons relevé les prémices de constitution d’oligopoles qui dominent le marché du médicament. Et là, nous attirons l’attention du gouvernement sur les risques pour l’avenir de ce marché », avait prévenu le président du CNC, Amara Zitouni. Cette étude avait été réalisée avec l’appui d’experts européens, a été envoyée à 6 ministres : la Santé, l’Industrie, le Travail et de la Sécurité sociale, les Finances et le Commerce, a précisé le président du Conseil national de la concurrence.

Il faut savoir que d’énormes intérêts financiers sont en jeu.  Le marché
pharmaceutique algérien est le troisième marché en Afrique. En 2015, la consommation des produits pharmaceutiques fabriqués localement a été de 160 milliards de DA, soit 45% de la consommation totale du pays. L’Etat est également très présent dans le financement des importations des médicaments. En réalité, en Algérie, le premier importateur des médicaments est la Pharmacie Centrale des Hôpitaux (PCH).

L’Etat est lui-même le premier importateur des médicaments ! 

La PCH établit d’abord son programme d’approvisionnement annuel (en DCI) sur base d’une politique d’inventaire (selon 3 catégories de produits : forte/moyenne/faible rotation) et soumet ensuite son plan d’approvisionnement au Conseil d’Administration pour adoption. Le Ministère de la Santé établit ensuite le programme annuel d’importation pour les achats directs à l’étranger de la PCH qui peut alors publier les avis d’appels d’offres internationaux ouverts. Des contrats à bons de commande sur deux ans peuvent être attribués aux producteurs nationaux ou aux importateurs. Il revient à ces derniers d’introduire leurs programmes prévisionnels selon les quantités des marchés attribués.

Chaque année, la PCH reçoit de l’État une avance de 50% du montant du plan
d’approvisionnement pour lui permettre de payer les acomptes fournisseurs.
En tant qu’EPIC ayant une mission de service public, la PCH est tenue de recouvrer ses coûts d’exploitation en appliquant une marge bénéficiaire moyenne de 10% sur la vente des médicaments aux hôpitaux, en application du Décret nº 11-457 du 28 décembre 2011 modifiant et complétant le Décret Exécuté 94-293 du 25 septembre 1964 portant création, organisation et fonctionnement de la Pharmacie Centrale des Hôpitaux. La distribution des médicaments aux hôpitaux de fait par le biais d’une dizaine de dépôts régionaux de la PCH, disséminés à travers le pays.

Ainsi, la PCH est à la tête des 11 opérateurs qui assurent 80% des importations. Parmi eux, trois réalisent la moitié des importations totales en valeur. La PCH réalise, comme les années précédentes, le quart des importations pour une valeur d’un peu plus de 50 milliards DA, soit l’équivalent de 39 millions de dollars, correspondant globalement à sa dotation annuelle globale accordée par le Ministère de la Santé. Ces éléments tendraient également à confirmer que les achats de la part des hôpitaux en dehors du budget directement versé à la PCH seraient marginaux. Le laboratoire SANOFI arrive en deuxième position pour les importations, avec une valeur totale avoisinant les 30 milliards DA, tandis que le laboratoire BIOPHARM importe pour près de 18 milliards DA.

Signalons enfin que les importations algériennes sont élevées dans 3 classes thérapeutiques : Métabolisme/Nutrition/Diabète,  Infectiologie et Endocrinologie et Hormones. Ce sont précisément les segments dans lesquels les producteurs locaux et nationaux manquent cruellement d’innovation et de capacités industrielles pour produire localement les médicaments et traitements recherchés par les patients algériens souffrant de ces maladies.

 

 

 

 

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