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vendredi, mai 3, 2024

Documents exclusifs. Le dossier MEDEX : le scandale qui bafoue la sécurité numérique de l’Algérie

Depuis la fin du mois d’août dernier, le trafic internet géré par Algérie Télécom est au coeur d’un gros scandale d’Etat qui a été étouffé soigneusement par les autorités algériennes pour ne pas l’ébruiter au regard de la gravité de la menace qu’il fait peser à l’encontre de la sécurité nationale. Ce scandale concerne le câble sous-marin MEDEX qui fait l’objet d’une guerre ouverte opposant l’opérateur international PCCW Global à Algérie Télécom. Un conflit qui cache plusieurs gros enjeux financiers et politiques. Explications. 

Mais, d’abord un peu de pédagogie. Le MEDEX a été longtemps présenté par les autorités algériennes comme un câble sous-marin qui concrétise la démarche «de consolidation de la souveraineté nationale dans le domaine des télécommunications et affirme l’utilité à placer la confiance dans les jeunes compétences nationales», pour reprendre le vocabulaire employé par l’Agence Officielle du gouvernement algérien l’APS en février 2019.

La version officielle propagée par le régime algérien consistait à présenter MEDEX comme un câble sous-marin qui avait été inauguré le 17 février 2019 à Annaba pour raccorder le réseau algérien de fibres optiques au réseau international. Le câble a été officiellement mis en service à Annaba à l’époque par l’ancien ministre de la Poste, des Télécommunications, des Technologies et du Numérique, Mme. Imane Houda Faraoun.

Fabriqué par l’entreprise française Alcatel-Lucent, le MEDEX avait un coût qui s’élevait à 32 millions de dollars. Il est d’une longueur totale de 184 km en optique fibre. « Il permettra de gérer le flux d’internet entrant et sortant de l’Algérie, le transfert du DATA, augmentera la vitesse et le flux d’informations vers l’Algérie mais aussi augmentera les capacités de connexion à domicile et dans les entreprises », avait promis à l’époque Imane Houda Feraoun.

Mais Houda Feraoun avait menti. Et les autorités algériennes avaient également menti. Et pour cause, le MEDEX n’est pas un câble sous-marin. C’est une jonction qui relie l’Algérie depuis Annaba vers un câble sous-marin. Celui qu’on appelle le  TE North/TGN-Eurasia qui relie Chypre jusqu’à la ville française de Marseille en faisant une bifurcation vers Abu Talat en Egypte. Avec plus de 3 600 km de câbles sous-marins, il est opérationnel depuis l’été 2011 et lors de son lancement, il avait pour objectif de permettra à l’opérateur Telecom Egypte de faire face à une demande croissante de ses clients et de la région sur une voie de communication internationale majeure. L’objectif était de permettre d’autres opérateurs de télécommunications pourront également en sous-traiter l’utilisation avec Telecom Egypte, au bénéfice de leurs clients. Et pour ce faire, il comprend également d’autres unités de raccordement, en prévision d’extensions futures à travers le bassin méditerranéen. Telecom Egypte avait signé en janvier 2008, avec le constructeur Alcatel-Lucent, le contrat de son déploiement pour permettre à l’opérateur égyptien d’élargir et de diversifier sa connectivité internationale.

L’Algérie n’a donc pas financé la construit d’un nouveau câble sous-marin, mais uniquement d’une jonction qui la relie à un véritable câble sous-marin international. Or, 32 millions de dollars pour une jonction et non pas un câble sous-marin, c’est excessivement cher et onéreux. Selon plusieurs experts contactés par Algérie Part au cours de nos investigations, il aurait été facile pour Algérie Télécom de réaliser cette jonction à un prix avoisinant les 5 à 6 millions de dollars.

Malgré la cherté intrigante de ces travaux, l’opérateur PCCW Global et Algérie Telecom ont signé un partenariat en décembre 2017 qui permet de nouer un contrat de construction et le déploiement et la mise en service d’un nouveau système de câbles sous‐marin nommé Medex, reliant l’Algérie aux États‐Unis et à l’Asie à travers la Méditerranée.

Ce projet a été validé par tous les organes de contrôle au niveau d’Algérie Telecom, passant par le Conseil des Participations de l’État « CPE », par le Conseil d’Administration et la Commission des Marchés d’Algérie Telecom. Comme il revêt un caractère sécuritaire délicat, il a été même étudié et approuvé par une commission installée au sein de l’organe national de prévention et de lutte contre les délits liés aux TIC qui était dirigé depuis sa création jusqu’à 2019 par l’influent Boualem Boualem, devenu depuis le 20 janvier 2020 conseiller du Président Abdelmadjid Tebboune et l’un des piliers de son clan au pouvoir.

Durant les années Bouteflika, Boualem Boualem avait effectivement dirigé secrètement le fameux organe national de prévention et de lutte contre les infractions liées aux technologies de l’information et de la communication (TIC) créé le 8 octobre 2015.

Boualem Boualem était le directeur général de cet organe stratégique et ô combien sensible. Cet organe est chargé de la surveillance préventive et de la veille électronique qui comprend un service de surveillance électronique ; un service de suivi, d’analyse et de coopération. Il dispose également d’un centre des opérations techniques et les antennes régionales sont rattachés à la direction. C’est l’organe qui surveille les télécommunications et le réseau internet. Cet organe est doté aussi d’un service de suivi, d’analyse et de coopération, comprend un bureau de collecte et de centralisation de l’exploitation des informations ; un bureau de prévention et de suivi ; un bureau de communication et de coopération.

Vers la fin de l’année 2017, présidant une commission composée par un représentant du ministère de la Défense Nationale et un représentant du ministère de la Poste, des TICS et des Télécommunications. Cette commission doit évaluer les projets lancés dans le secteur des télécommunications et du trafic internet pour veiller sur la protection de la sécurité nationale contre de potentielles menaces extérieures. La commission a approuvé à l’unanimité ce projet qui soulevait, pourtant, quelques interrogations sur ses aspects sécuritaires. Et pour cause, le Medex reliait l’Algérie à TE North/TGN-Eurasia dont le point de départ est une ville située sur l’ile de Chypre, une ville appelée Pentaskinos.

Or, depuis cette localité à Chypre, il y a plusieurs autres câbles ou connexions internationales qui relient Israël à plusieurs réseaux transcontinentaux. Plusieurs sources  spécialisées avaient mis en exergue l’influence ou la mainmise du renseignement israélien sur ces interconnexions lancées depuis cette ville chypriote. L’Algérie a-t-elle diligenté une enquête pour garantir que les données numériques transitant par le Medex ne vont pas atterrir chez des cercles malveillants ou hostiles aux intérêts algériens comme Israël ?  Aucune réponse n’a été donnée à cette  question. Une seule certitude : le ministère de la Défense nationale avait donné son feu vert…

En Février 2019, le câble sous‐marin Medex a été mis en service en collaboration avec les cadres d’Algérie Telecom et les experts de PCCW Global dans un délai record en seulement douze (12) mois avec une capacité initiale de 100 GigaBits extensible pour atteindre une capacité totale de 2200 Gigabits et ce dans le but de permettre à Algérie Telecom de sécuriser son trafic Internet et son trafic international en cas de coupure de l’unique câble sous‐marin le Sea‐Me‐We4 qui dessert actuellement l’Algérie permettant ainsi à Algérie Telecom de répondre et satisfaire la demande croissante de la bande passante Internationale.

Dans ce sens, PCCW Global, filiale internationale du Groupe Hong Kong Telecom,  et conformément aux dispositions contractuelle PCCW Global a procédé à la facturation du montant reliquat du contrat pour un terme de règlement de 90 jours selon les dispositions contractuelles. Et à ce moment-là que le scandale a éclaté.

A partir de mars-avril 2019, Algérie Télécom et le ministère des Télécoms de Houda Feraoun ont changé totalement leur attitude. Ebranlé par le Hirak, le clan présidentiel des Bouteflika a chuté et il est destitué. Une grande période d’instabilité politique commence en Algérie. Dans ce contexte, Algérie Télécom refuse de s’acquitter de diverses factures et s’éloigne petit à petit de son partenaire qu’elle avait tellement choyé depuis 2017.

Les incompréhensions s’installent et un conflit ouvert a éclaté entre PCCW Global et Algérie Télécom. Le groupe originaire de Hong Kong décide politiser l’affaire et adresse le 27 août dernier officiellement un courrier au Premier-ministre algérien, Abdelaziz Djerad. Algérie Part a obtenu une copie de ce document exclusif en cours de ses investigations.

Dans cette lettre, PCCW GLOBAL explique à Djerad que  « depuis le mois de Mars 2019 nos équipes sous la conduite de notre Vice‐Président pour l’Afrique du Nord et Moyen Orient Mr. Sameh SOBHI ont sollicité à maintes reprises les équipes d’Algérie Telecom pour le déblocage du paiement des factures liées à ce projet ainsi que les factures liées aux
services de maintenance dans le cadre de l’accord MECMA, et qui malheureusement et à ce jour demeurent encore bloquées ».

« En date du 15 Juillet 2020, nous avons envoyé une lettre de notification à Algérie Telecom. Suite à la demande du Directeur Général d’Algérie Telecom, nous avons accepté de bonne foi d’accorder un délai de 21 jour supplémentaire pour nous débloquer les paiements et ce afin de lever les réserves constatés par les auditeurs et les financiers de notre Groupe Hong Kong Telecom pour l’exercice 2019 et qui nous demandent sans cesse la levée et la clôture de ces réserves, car le projet a été mise en service depuis 18 mois, mais malheureusement jusqu’à aujourd’hui nous n’avons aucune visibilité à ce propos et cela malgré toutes les promesses données par les responsables d’Algérie Telecom restées sans suite à ce jour. De même, ce retard de paiement de la part d’Algérie Telecom a causé à PCCW Global un préjudice financier, vue que nous nous trouvons dans l’obligation de s’acquitter à la Direction des Grande Entreprises (DGE) d’une pénalité d’un montant de 50 Millions de Dinars Algériens », poursuit PCCW GLOBAL dans sa lettre à Abdelaziz Djerad.

Le conseil d’administration de PCCW Global a expliqué dans cette lettre au Premier-ministre algérien qu’il souhaite « trouver une solution à l’amiable et d’éviter le recours ainsi aux dispositions contractuelles de suspension de service ». La menace est claire et précise : PCCW GLOBAL peut suspendre le service du MEDEX qui alimente 18 % du trafic internet national en Algérie. Ce qui ne va pas manquer de créer plusieurs coupures internet car l’Algérie se retrouvera encore une fois dépendante du South East Asia–Middle East–Western Europe 4 (Sea-Me-We4) qui la relie au réseau internet mondial à partir de la ville d’Annaba reliée à Marseille. Ce câble appartient à un consortium de 16 pays, et est connu par ces pannes répétitives et ses coupures induites par les nombreux travaux de maintenance. L’Algérie y possède une capacité de 700Gbps. Ce câble fournit 64 % de la consommation nationale du trafic internet et comme il est vieillissant car sa durée de vie devrait expirer en 2023, il fait régulièrement l’objet d’opérations de maintenance nécessitant la suspension du service internet à travers le pays.

Si le MEDEX est suspendu, l’Algérie va se retrouver dans une situation très complexe qui menacera sa sécurité numérique. D’après les documents que nous avons obtenu au cours de nos investigations, PCCW Global réclame à Algérie Télécom une facture dépassant à peine les 11 millions de dollars. Pourquoi l’opérateur historique en Algérie ne veut donc pas payer ? Parce que le nouveau ministre des TCIS, de la Poste et des Télécommunications, le successeur de Houda Feraoun depuis janvier 2020, Brahim Boumzar sait très bien que ce marché avec PCCW Global comporte de nombreuses irrégularités qui risquent d’aboutir à un scandale national. Un scandale qui va lui exploser à la gueule et lui coûtera un long séjour en prison s’il paie PCCW GLOBAL.

Le projet est du point de vue sécuritaire douteux, sur le plan financier il a été totalement surfacturé et les prestations commandées auparavant par Algérie Télécom à PCCW GLOBAL suscitent des interrogations car il s’avère qu’elles ne sont pas justifiées d’un point de vue commercial. Mais le pire est ailleurs. Oui, le MEDEX a été avantagé par rapport à l’autre gros projet qui garantit la sécurité numérique de l’Algérie, à savoir le câble  sous-marin ORVAL qui devait relié Alger, Oran à Valence en Espagne. Ce projet était beaucoup plus stratégique car il devait permettre à l’Algérie de se connecter directement à un noeud de colocalisation où sont hébergés les opérateurs de backbones internationaux.

Malheureusement, ce câble sous-marin ORVAL a été saboté au profit du lancement du MEDEX. Jusqu’à aujourd’hui, la mise en service de ce câble n’est pas encore effective alors qu’une cérémonie officielle a été organisée le 5 décembre 2019 pour annoncer la fin des travaux de sa réalisation.

Le projet de ce câble sous-marin a suscité des dépenses onéreuses et intrigantes qui suscitent de nombreux doutes. Pour les besoins de gestion de ce projet, Algérie Télécom a lancé une filiale en Espagne à Valence, à savoir Algérie Télécom Europe (ATE). C’est pratiquement la seule entreprise de droit européen, constituée exclusivement de capitaux publics algériens excepté Sonatrach dans le secteur des hydrocarbures. Créée en avril 2016, Algérie Télécom Europe SA (ATE) s’est offert un beau siège qui est implanté à Valence en Espagne et qui a été inauguré aussi au cours du mois de décembre 2019. Jusqu’à aujourd’hui, Algérie Télécom n’a pas construit une station d’atterrissement qui permet de se connecter au câble ORVAL. Algérie Télécom devait également raccorder son réseau internet à cette station, en louant des infrastructures ou en déposant de ses propres équipements. Rien de cela n’a été fait. En revanche, tout a été débloqué pour lancer rapidement le MEDEX dans des circonstances douteuses et suspectes. Nous sommes bel et bien face à un scandale que Brahim Boumzar tente d’étouffer mais PCCW GLOBAL ne va pas garder le silence pendant encore longtemps…

 

 

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