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jeudi, mai 2, 2024

Décryptage. Que reste-t-il de la classe moyenne en Algérie ?

Après des années de prospérité et de d’épanouissement, la classe moyenne algérienne est en train de dépérir dangereusement traduisant ainsi la régression financière et socio-économique du pays. Une régression qui risque de s’aggraver dans les mois à venir. Explications.

D’abord, qu’est-ce que la classe moyenne ? Selon la Banque Africaine de Développement (BAD),  pour appartenir à la classe moyenne en Afrique, il faut disposer d’une revenu annuel supérieur à 3 900 dollars (3 969 euros) par an. Sur la base de cette définition, elle compte 326 millions de personnes. En 2018, sur la base d’une méthodologie innovante, l’entreprise technologique Fraym américaine a estimé que la classe moyenne du continent africain à 330 millions de personnes. La start-up  américaine Fraym est très active et dynamique sur le marché africain. Elle avait lancé en mars 2019 une base de données de la population baptisée Data Fraym qui a été conçue  pour rendre disponibles des informations sur la démographie en Afrique.  Selon la société Fraym, cet outil rend les données accessibles et exploitables pour les marchés du continent. Data Fraym permet aux entreprises de zoomer sur plus de 50 pays à une résolution de 1 km2 et de mieux se renseigner sur les populations, explique le concepteur du projet.

Ainsi, d’après cette source très fiable utilisant des outils technologiques de pointe comme le cloud computing, l’imagerie satellitaire et géolocalisation, l’Algérie fait partie du Top 20 des pays africains ayant les classes moyennes les plus importantes. Il y aurait depuis 2018 en Algérie l’équivalent de 25 millions de personnes qui font partie de la classe moyenne. L’Algérie est le 5e pays africain disposant de la plus importante classe moyenne.

Les cinq plus grands marchés – l’Égypte, le Nigeria, l’Afrique du Sud, le Maroc et l’Algérie – comptent une classe de consommateurs combinée de 219 millions de personnes », souligne Fraym. Cela représente les deux tiers des classes moyennes du continent. Chacun de ces pays compte au moins 20 millions de consommateurs. L’Égypte est le plus grand marché africain avec une classe de consommateurs de 78 millions de personnes, suivie du Nigeria avec 52 millions.

Il faut savoir que la classe moyenne algérienne s’est nettement renforcée grâce à l’aisance financière de l’Algérie qui s’explique par la remontée des prix du baril du pétrole entre 2007 et 2008. On peut effectivement dater le démarrage de l’évolution de la classe moyenne algérienne entre 2007 et 2008. On peut aussi affirmer que l’instrument essentiel de cette renaissance des classes moyennes algériennes est le budget de l’Etat. Ce dernier a amorcé, à partir de 2008 une évolution qui a fait doubler le montant des dépenses de fonctionnement de l’Etat. Elles sont passées de 2500 milliards de dinars en 2008 à près de 5000 milliards de dinars en 2012, soit l’équivalent de la coquette somme d’environ 65 milliards de dollars.

Cette dépendance à l’égard des recettes de l’Etat constitue bien sûr également un facteur de fragilité. La démarche mise en œuvre par les pouvoirs publics au cours des dernières années risque en effet de rencontrer rapidement un problème de soutenabilité. Mais à partir de 2012, force était de constater que le statut social de beaucoup de cadres algériens avait connu au cours des transformations remarquables. Elles se manifestaient non seulement par un meilleur niveau de rémunération, qui a eu, entre autres conséquences, une explosion des importations d’automobiles, mais également par une solvabilité renforcée auprès du système financier.

La modicité du crédit aux particuliers était jusqu’à 2009 ou 2010 l’un des aspects les plus frappants de la faiblesse des performances du secteur bancaire algérien. Une situation d’autant plus anormale que les dépôts des ménages algériens auprès des banques publiques et privées sont en plein boom au cours des dernières années. Dans le sillage des importantes augmentations de salaires obtenues au cours des années 2010, 2011 et 2012, ils étaient même en train de battre des records.

A titre d’exemple, au cours de l’année 2011, ils avaient représenté près de 40% des dépôts bancaires dépassant pour la première fois les dépôts effectués par Sonatrach. Les ménages algériens n’avaient jamais été aussi “riches” et selon la Banque d’Algérie la valeur totale de leurs avoirs auprès du secteur bancaire dépasse désormais le montant de 1 800 milliards de dinars, soit près de 25 milliards de dollars en 2012.

 

C’est cette solvabilité et cette confiance retrouvée  avaient permis un boom du crédit immobilier auquel sont associés, l’ensemble des établissements financiers, banques privées comprises. Entre 2010 et 2012, les autorités algériennes ont multiplié les initiatives destinées à le faire décoller. Les résultats semblent au rendez-vous. En 2011 et 2012, les crédits immobiliers se sont accrus en moyenne de près de 25% par an. Pour la seule année 2011, le montant des crédits immobiliers accordés par le secteur bancaire est proche de 70 milliards de dinars de DA. Il avait dépassé 90 milliards en 2012.

Malheureusement, l’aisance des classes moyennes en Algérie a connu un coup d’arrêt brutal. Pis encore, depuis 2017, le pouvoir d’achat de la classe moyenne est en chute libre en raison de la détérioration accélérée de la situation financière du pays entamée depuis 2014 et la baisse brutale des investissements de l’Etat à partir de 2016.  La baisse du prix du baril, ramené de plus de 100 dollars à moins de 50 depuis juin 2014, a gravement affecté les équilibres financiers de l’Etat algérien, qui tire 95 % de ses recettes d’exportation et 60 % de son budget des hydrocarbures. Le déficit public a doublé en un an, passant de 8 % du PIB à 16 % en 2015, selon le Fonds monétaire international (FMI).

A partir de 2017, l’Etat algérien a imposé une  très forte baisse des crédits de l’équipement, alors même que des chantiers ont déjà été gelés, ainsi qu’une hausse des prix de certains produits de base et de certains impôts (+ 2 points pour la TVA). A partir de ce moment, le pouvoir d’achat des Algériens commence à être touché. Les ménages sont confrontés à une hausse  des prix de l’énergie et des carburants qui n’ont pas cessé d’augmenter jusqu’à cette année 2020. Le taux d’inflation a augmenté mais est resté contenu en dessous des 7 %. Mais sur le front de l’emploi, les importantes diminutions des commandes publiques, moteurs de la croissance, ont commencé à avoir un impact sur l’activité et d’entraîner des licenciements.

Ces conditions financières et économiques expliquent aujourd’hui la dégradation des conditions de vie de la classe moyenne algérienne. Cette dégradation est illustrée par un chiffre effarent en 2019 :  les crédits accordés aux ménages par les banques algériennes ne représentent que 7.8% du montant des crédits globaux (soit 788 milliards de DZD). Pour une très large part, il s’agit de crédits hypothécaires. C’est-à-dire que des ménages algériens ont demandé un prêt d’argent adossé à une hypothèque de leurs biens immobiliers.

À titre de comparaison, au Maroc, la part des crédits bancaires accordés aux ménages était de 33% en 2017. En 2019, le crédit au secteur privé mesuré par le ratio crédits au secteur privé/PIB s’est élevé à 24.5% en 2018. Il reste faible et très largement inférieur aux niveaux observés notamment au Maroc et en Tunisie. C’est le début de l’effritement de la classe moyenne en Algérie. Et lorsqu’un pays perd petit à petit sa classe moyenne, cela signifie qu’il sombre dans une profonde crise financière.

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