Rares sont ceux qui savent ce qu’est la biopiraterie, également appelée marchandisation du vivant. Pourtant, sans le savoir, nous avons tous été à un moment de notre vie, les complices de biopirates.
Qu’est-ce que la biopiraterie ?
La biopiraterie est la privatisation du vivant, de la biodiversité et des savoirs ancestraux de populations autochtones, par le biais de brevets. En d’autres termes, cela désigne le détournement illégitime des connaissances traditionnelles des peuples autochtones, sur l’usage des ressources génétiques, sans leur consentement et surtout, sans partage des bénéfices liés à la valorisation de ces ressources.
L’exploitation croissante des ressources naturelles par les marchés de la santé, de l’alimentation et de la cosmétique, fait peser une menace sans précédent sur la diversité culturelle et biologique. C’est ainsi que de puissantes multinationales profitent malheureusement du flou juridique pour s’approprier les connaissances de peuples autochtones dans des pays pauvres, à travers le dépôt de brevets.
Niant ainsi l’antériorité des savoirs traditionnels, ces puissantes firmes captent la totalité des bénéfices liés à leur valorisation mercantiliste.
Comment ces détournements du vivant et des savoirs indigènes s’articulent-tils ?
L’exemple d’un cas concret :
Il y a maintenant 20 ans, un homme d’affaires Américain, du nom de Larry Proctor, avait déposé un brevet concernant une variété de haricot jaune («enola») cultivée depuis des siècles par les paysans Mexicains et appartenant au domaine public (libre de droit).
Dès l’acquisition du brevet, cet Américain avait attaqué en justice les 2 principaux importateurs Mexicains de ce haricot, entraînant une perte de 90 % des revenus à l’exportation de plus de 20 000 fermiers Mexicains. Puis il avait attaqué en justice les petits producteurs Mexicains, pour percevoir des royalties (rémunérations) sur chaque kilo importé aux Etats-Unis. Il aura fallu dix ans, des centaines de milliers de dollars, des manifestations massives d’agriculteurs et de la société civile, l’intervention d’agences internationales telles que la Food and Agriculture Organization (FAO) et la publication de cinq décisions judiciaires pour que le United States Patent and Tradmark Office’s, finisse par annuler en 2009, le brevet de Larry Proctor.
Ces abus multiples et profondément injustes, ont donc amené l’ONU à réagir en 2010 au Japon, lors de la 10ème conférence pour la convention de la biodiversité. Ainsi, naquit le Protocole de Nagoya, qui fut ratifié par une majorité (une centaine) de pays membres de l’ONU. Certains pays signèrent ce Protocole sans pour autant le ratifier, à l’image de l’Algérie. D’autres pays, beaucoup moins nombreux, ne l’ayant ni signé, ni ratifié, à l’image des Etats-Unis.
Il faut savoir que la signature officielle d’une convention par un état, exprime une intention de partie à la dite convention. La signature n’engageant en aucune manière une éventuelle ratification, cela reste une approbation préliminaire. La ratification implique à contrario une obligation juridique du pays d’appliquer la convention, c’est donc un engagement sincère et responsable.
Le Protocole de Nagoya est-il la solution au problème de Biopiraterie ?
Pas pour le moment. En effet, notre connaissance très incomplète de la biodiversité et du vaste patrimoine génétique existant, sans oublier notre incapacité actuelle à faire un inventaire exhaustif de ce patrimoine universel, rend certaines applications du Protocole de Nagoya, fragiles.
J’en veux pour preuve le scandale de biopiraterie qui a ciblé la Stévia à la fin de l’année 2016. Des multinationales ont été accusées de ne pas partager leurs bénéfices par les Indiens Guarani-Kaiowa du Brésil et par les Indiens Pay Tavyteras du Paraguay. La Stévia est une plante qui a le même pouvoir sucrant que le sucre mais il est beaucoup moins calorique. Les Indiens d’Amazonie l’utilisent depuis des siècles pour sucrer les boissons mais aussi à des fins médicinales.
Ainsi, les Indiens d’Amazonie accusent les géants de l’agroalimentaire de s’être appropriés leurs ressources génétiques et leurs connaissances traditionnelles à des fins commerciales. Autre scandale récent, le brevet que l’IRD, l’Institut de recherche pour le développement (Français) a déposé sur une molécule antipaludique que les Indiens de Guyane utilisent depuis des siècles, a fait grand bruit.
Ailleurs dans le monde, de nombreux savoirs sont également menacés. C’est le cas par exemple du riz Basmati cultivé en Inde et au Pakistan, qu’une société Américaine avait tenté de breveter.
Les peuples autochtones (et leurs états) doivent absolument protéger leurs traditions et leurs ressources naturelles, c’est notamment une partie de leur indépendance alimentaire qui est en jeu. Toutes les ressources n’ont pas été découvertes, en Amérique du sud, en Afrique, en Asie et en Océanie, il revient donc aux peuples et aux autorités des pays concernés, de mettre en place les mécanismes de sauvegardes de ces patrimoines exceptionnels. Il faut en effet savoir, que les pays développés à la pointe de la recherche scientifique, travaillent actuellement sur des technologies émergentes qui développent et accélèrent le développement de la biologie synthétique et donc les manipulations de l’ADN numérique. Ces avancées scientifiques permettent ainsi de créer des gènes nouveaux qui s’inspirent souvent de gènes existants parfaitement imités. Ces nouvelles technologies permettent donc d’imiter l’existant sans avoir bien sûr à en partager les bénéfices financiers avec « ces pauvres peuples autochtones ».
Ce que je viens d’expliquer sommairement, n’est pas le scénario d’un film de sciences fiction, c’est la réalité. Aussi, j’en appelle aux responsables politiques en Algérie, de ne pas rester au milieu du gué. L’Algérie devrait me semble-t-il ratifier le Protocole de Nagoya, à l’image de l’Egypte, de la Jordanie, du Liban, de la Mauritanie, ou encore de la Syrie.
C’est connu l’union fait la force, l’Algérie se doit donc de devenir (ou de redevenir) un acteur majeur de ce droit à disposer de ses ressources.
Vingt années de descente aux enfers, basta ! L’Algérie doit se relever et soutenir une cause juste à l’international pour commencer. Concernant le national, le plus gros reste à faire et le chantier est énormissime.
Par Bouchareb Karim, Dr Vétérinaire, spécialiste de l’agroalimentaire,
Consultant dans l’innovation alimentaire,
Détenteur du prix International de l’innovation agroalimentaire.