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samedi, avril 27, 2024

Analyse. Le moment de vérité de la démocratie américaine

À certains moments de l’histoire – souvent après que des progrès sociaux considérables aient laissé de côté certains pans de la société – un individu apparaît sur la scène politique en prétendant incarner un nouveau et grandiose dessein. Expert dans l’art de se mettre en scène et de la manipulation émotionnelle, il (c’est toujours un homme) conquière les cœurs et les esprits de millions de personnes avec son discours machiste. Progressivement, il fait l’objet d’un culte de la personnalité. Et bien qu’il ait usé de menaces et de violence pour accéder au pouvoir, il bénéficie du soutien inconditionnel de ses fidèles, persuadés qu’ils sont que cet homme est le sauveur qui ramènera de l’ordre dans un monde désordonné.

Cette description de l’archétype de l’homme fort s’applique à de nombreux dirigeants actuels. Et de Jair Bolsonaro au Brésil, Recep Tayyip Erdogan en Turquie, Vladimir Poutine en Russie à Donald Trump aux États-Unis, nous parlons des dirigeants de certains des pays les plus importants au plan géopolitique dans le monde.

Depuis l’investiture de Trump début 2017, les Américains ont assisté à une érosion des normes et des institutions démocratiques et à la montée en puissance d’un pouvoir autoritaire. L’élection présidentielle de cette année constitue donc une sorte de référendum sur la nouvelle direction totalitaire impulsée par un président qui a encouragé les milices d’extrême-droite et poursuivi une politique étrangère basée sur des alliances intéressées avec des despotes sanguinaires de différents pays du monde.

Toute élection réserve des surprises, comme l’a démontré la défaite inattendue de Hillary Clinton en 2016. Mais une angoisse existentielle pèse sur l’élection présidentielle de cette année, et la campagne électorale a donné naissance à des perspectives qui semblaient jusqu’ici inimaginables. Trump a, à de multiples reprises, laissé entendre qu’il ne reconnaîtrait pas sa défaite et de nombreux observateurs estiment qu’il pourrait encourager les violences si le scrutin le donne perdant. Le simple fait d’évoquer ces scénarios effrayants est symptomatique de la dégradation du contexte politique démocratique et prouve à quel point Trump a déjà réussi à imposer une dérive vers l’autoritarisme à la culture politique américaine.

Certains commentateurs, dont le chroniqueur conservateur du New York Times Ross Douthat, se moquent de l’idée que Trump puisse faire partie des hommes forts. Ils perçoivent l’ancienne célébrité d’une émission de téléréalité comme trop faible et ridicule pour infliger de véritables dommages à la société américaine, même s’il était réélu. Le jugeant à l’aune de régimes profondément autocratiques, comme la Russie de Poutine, ces sceptiques mettent l’accent sur ce que Trump n’a pas fait. Il n’a pas fait interdire les médias de l’opposition, ni exercé un contrôle absolu sur le système judiciaire, ou d’autres institutions – pourquoi dès lors s’inquiéter?

Mais cette comparaison est trompeuse. Tous les dirigeants autoritaires de l’ère contemporaine ont débuté leur carrière dans une société dotée de plus grandes libertés avant de progressivement prendre le contrôle de l’État. Au XXIe siècle en particulier, l’évolution, plus que la révolution (ou le coup d’État militaire), a bien été le mode par lequel la liberté a été remplacée par le despotisme. De plus, sans une évaluation impartiale de ce que Trump a en réalité accompli, nous ne pourrons pas comprendre comment nous sommes arrivés au bord du précipice ou à quoi nous attendre dans les prochaines semaines, ou années si Trump remporte l’élection.

L’histoire des présidents des États-Unis n’offre aucun précédent quant aux actions de Trump, à commencer par sa relation avec l’élite politique républicaine qui a continué à le soutenir en dépit des scandales sexuels et financiers, d’un procès en destitution et de son effroyable gestion de la pandémie du Covid-19. Nous devons plutôt nous tourner vers les régimes populistes autoritaires, dans lesquels le pouvoir est concentré aux mains d’un seul individu dont les intérêts politiques et financiers prennent généralement le pas sur les intérêts de la nation. Dans de tels régimes, la loyauté envers le chef et ses acolytes, et la participation à la corruption, plutôt que l’expertise et l’expérience professionnelles, sont les principales qualifications requises pour participer au gouvernement.

Le fait que Trump ait réussi à subjuguer une grande partie de la classe politique américaine est d’autant plus remarquable que la plupart des autres despotes ont soit fondé leur propre parti, soit gravi les échelons d’un parti existant. Erdogan, le Premier ministre hongrois Viktor Orban et Benito Mussolini, par exemple, disposaient d’une solide base politique avant d’accaparer le pouvoir. Trump n’avait aucun véhicule politique de la sorte pour soutenir ses ambitions. Mais en l’espace de quelques années seulement, il est parvenu à transformer le parti républicain en une autre entreprise franchisée à son service.

Les républicains, quant à eux, semblent considérer Trump comme le moyen de réaliser les objectifs qui leur échappent depuis un certain temps (la défense de l’hégémonie chrétienne blanche, la déréglementation de larges pans de l’économie et les réductions d’impôts pour les riches). Mais quelles que soient leurs raisons, ils se sont ralliés à Trump en si grand nombre et avec un tel enthousiasme que le Parti républicain en a été transformé.

Lors de cette campagne électorale, le parti républicain n’a avancé aucun programme politique, se contentant d’une déclaration insolite proclamant un « soutien inconditionnel au président Donald Trump et à son administration », révélatrice du climat de peur et d’intimidation qui règne désormais au sein de ce parti. Les républicains en sont réduits à soutenir ses batailles, à dénigrer ses ennemis et à le protéger contre toute obligation de rendre des comptes, y compris lors d’une procédure de destitution plus tôt cette année.

La relation autoritaire entre le chef et ses affidés reflète un changement fondamental de la culture politique du Parti républicain dont les Américains devront tenir compte, quelle que soit l’issue de l’élection. Un ensemble d’études comparatives récentes montre que le Parti républicain n’est plus une organisation démocratique traditionnelle, que ce soit au plan de ses actions ou de sa rhétorique. Il s’apparente davantage aujourd’hui aux partis d’Orban et d’Erdogan qu’au parti conservateur britannique ou qu’à l’Union chrétienne-démocrate allemande.

À vrai dire, bien avant l’émergence de Trump, le Parti républicain, encouragé par de puissants médias de droite, avait déjà tourné le dos à ses engagements antérieurs en faveur des notions démocratiques que sont la tolérance mutuelle et le respect du bipartisme en matière de gouvernance. Une fois élu à la présidence, Trump a enfoncé le clou en donnant une légitimité aux factions extrémistes qui étaient auparavant confinées aux franges du parti. Comme l’a tweeté Kellyanne Conway, la conseillère particulière du président Trump peu après son investiture, en réaction au tollé provoqué par le décret interdisant l’entrée sur le territoire américain des ressortissants de pays musulmans, «Il faut vous y habituer. @POTUS est un homme d’action et de résultats. Promesses faites, promesses tenues. Choc pour le système. Et il ne fait que commencer ».

Intentionnellement promulgué sans préavis, ce décret durcissant le contrôle aux frontières a plongé le pays dans le chaos, donnant au grand public et aux employés fédéraux un avant-goût amer d’une administration qui, avec le soutien plein et entier du Parti républicain, avait déclaré la guerre à ses citoyens. Au cours des quatre années suivantes, Trump et ses partisans allaient séparer les enfants d’immigrants de leurs familles, déployer des agents fédéraux contre des manifestants pacifiques, lancer une campagne de désinformation massive et démanteler ou perturber le fonctionnement d’innombrables agences du gouvernement des États-Unis.

Ce n’est qu’en prenant conscience du tournant autoritaire de la politique américaine qu’une plus grande érosion des normes démocratiques pourra être évitée. Quelle que soit le résultat de l’élection, cette tâche devra être menée à bien.

Ruth Ben-Ghiat, professeure d’histoire et d’études italiennes à l’université de New York, est spécialiste des régimes autoritaires et de leurs dirigeants et l’auteure de l’ouvrage à paraître: Strongmen: Mussolini to the Present.

Copyright: Project Syndicate, 2020.
www.project-syndicate.org

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1 تعليق

  1. Le seul salut des non-blancs qu’ils/elles soit chretiens ou non pour ne pas etre considere’ comme esclaves ou pris pour esclaves par des neo-conservateurs US et autres qui ne sont que des criminels est dans la proliferations des armes de destructions de masses, armes atomique, bacteriologique que chimique. Chaque nations doit se doter des moyens de defence dissuasive. Les exemples sont la France dans les annees 60 et les explosions de Chirac dans le pacific durant les annees 90, la Chine durant les annees 50 et 60, l’URSS et la Russie. la grande bretagne, l’Inde, le Pakistan, la Coree du Nord, etc.