L’Algérie a suspendu mercredi 8 juin dernier le «traité d’amitié, de bon voisinage et de coopération» conclu en 2002 avec l’Espagne, après le revirement de Madrid sur le dossier du Sahara occidental pour s’aligner sur la position du Maroc. L’Espagne a dit «regretter» la décision d’Alger. Cette décision adoptée par les autorités algériennes suscite depuis plusieurs jours une intense polémique médiatique et politique allant jusqu’à provoquer la colère de l’Union Européenne qui a mis en garde, vendredi dernier, l’Algérie contre les conséquences des restrictions commerciales qu’elle a imposées à l’Espagne, suite à la suspension de son traité d’amitié et de bon voisinage avec la péninsule Ibérique.
Ce traité d’amitié est donc au coeur d’une véritable tempête médiatique alimentant une crise politique sans précédent entre l’Algérie et l’Union Européenne, son premier partenaire commercial et son plus important voisin politique. Mais que dit exactement ce traité dont la suspension suscite tant de controverse ?
D’abord, il faut savoir que toutes les dispositions de ce traité d’amitié ont été adoptées et approuvées par l’Algérie à la suite du Décret présidentiel n° 03-275 du 15 Joumada Ethania
1424 correspondant au 14 août 2003 portant ratification du traité d’amitié, de bon voisinage et de coopération entre la République algérienne démocratique et populaire et le Royaume d’Espagne signé à Madrid, le 8 octobre 2002.
Ce décret avait été publié au Journal Officiel de la République Algérienne le 17 août 2003. Et il nous apprend que l’Algérie et l’Espagne se sont appuyés sur plusieurs considérations historiques, géographiques et politiques pour négocier les termes de ce traité d’amitié.
« Convaincus que l’entente réciproque et la coopération constituent des garanties essentielles pour la paix, la stabilité et la sécurité dans la région est la meilleure manière de servir les objectifs de progrès et de développement des deux peuples ; Reconnaissant l’importance des processus d’intégration politique, économique et sociale qui se développent dans la zone de la mer Méditerranée, tant à l’échelle régionale que sous régionale, destinés à instaurer un cadre de dialogue et de coopération dans la région et, en particulier, dans son bassin occidental », stipule ainsi le préambule de ce traité pour expliquer les motivations ayant conduit l’Algérie et l’Espagne à signer ce traité d’amitié.
« Conscients de l’importance du partenariat euro-méditerranéen en tant que cadre adéquat pour le développement de relations privilégiées entre l’Union Européenne, ses Etats membres et leurs partenaires méditerranéens conformément aux principes et aux
objectifs de la déclaration de Barcelone ; Considérant l’importance que revêtent les liens étroits de partenariat établis entre l’Union Européenne et l’Algérie, traduits par l’accord d’association, pour faciliter l’objectif de transformer la région méditerranéenne en une zone de prospérité partagée », indique encore le même préambule.
Il est à noter que plusieurs principaux généraux encadrent les dispositions de ce traité d’amitié. Parmi ces principaux fondamentaux, nous retrouvons le « Respect de la légalité internationale ». « Les hautes parties contractantes réaffirment leur attachement à remplir de bonne foi les engagements qu’elles ont contractés conformément aux principes et
normes du droit international, ainsi que ceux qui découlent de traités ou d’autres accords, en conformité du droit international, auxquels elles sont parties », explique à ce propos le traité d’amitié et de bon voisinage liant l’Algérie avec la péninsule Ibérique.
« L’Egalité souveraine » est l’un des piliers de ces principes généraux conclus et validés par les autorités algériennes ou espagnoles à l’occasion de la conclusion de ce traité. « Les hautes parties contractantes respectent mutuellement leur égalité, ainsi que tous les droits
inhérents à leur souveraineté, notamment le droit à l’égalité juridique, à l’intégrité territoriale, à la liberté et à l’indépendance politique. Elles respectent, en outre, le droit de chaque partie à choisir et à développer, en toute liberté, son système politique, social, économique et culturel », explique à ce propos le texte de ce traité d’amitié.
L’Algérie et l’Espagne se sont engagés en vertu de ce traité de respecter le principe de la « non-ingérence dans les affaires intérieures ». « Les hautes parties contractantes s’abstiennent de toute ingérence, directe ou indirecte, individuelle ou collective, dans les affaires intérieures de l’autre partie. Elles s’abstiennent, en toutes circonstances, de tout acte de cœrcition militaire ou politique ou économique ou d’une quelconque autre nature, visant à subordonner, à leur propre intérêt, l’exercice des droits souverains de l’autre partie », indique-t-on dans ce chapitre.
La coopération économique constitue, par ailleurs, le coeur de ce traité d’amitié à travers lequel l’Espagne et l’Algérie se sont engagés pour « œuvrer au développement du potentiel de coopération bilatérale et de le canaliser dans un cadre d’échange équilibré tendant
à réduire les différences de niveaux de développement ».
« A cet égard, elles tiendront compte de la nécessité d’instaurer un nouveau climat de solidarité économique et financière susceptible d’ouvrir la voie à un approfondissement de la coopération dans les différents domaines économique, scientifique, technologique, environnemental, social, culturel et humain », est-il écrit dans ce traité d’amitié et de bon voisinage.
Les articles 3 et 4 du deuxième chapitre de ce traité d’amitié affirment que « les hautes parties contractantes encourageront et impulseront les contacts entre les secteurs productifs et les services des deux pays ainsi qu’aux projets d’investissement et aux sociétés mixtes ». D’autre part, l’Espagne et l’Algérie avaient convenu d’accorder « une
attention particulière aux projets d’infrastructure, particulièrement dans les domaines de l’énergie, des travaux publics, de l’habitat, du transport, des communications, de la pêche, de la protection de l’environnement et de la gestion des ressources naturelles ».
« La partie espagnole fournira son assistance à la partie algérienne en matière de modernisation industrielle, institutionnelle et normative tant sur le plan bilatéral que
dans le cadre global de l’accord d’association entre l’Algérie et l’Union Européenne », est-il aussi écrit dans ce traité.
Tout un chapitre a été dédié à la coopération entre les deux pays en matière de « Défense ». Il est expliqué ainsi dans ce traité d’amitié que l’Algérie et l’Espagne « décident de
promouvoir la coopération entre leurs forces armées, en accordant une attention particulière aux échanges de délégations, à l’organisation de cycles de formation et de perfectionnement et à l’organisation d’exercices conjoints ».
« Cette coopération portera, entre autres objectifs, sur la réalisation de programmes communs pour la recherche, le développement et la production de systèmes d’armes, de matériels et d’équipements de défense destinés à couvrir les besoins des hautes parties contractantes à travers l’échange d’informations techniques, technologiques et
industrielles », affirme le même traité d’amitié conclu entre l’Algérie et l’Espagne. Les deux pays s’étaient, en outre, engagés à renforcer « l’échange d’expérience dans le domaine des opérations d’aide humanitaire et de préservation de la sécurité ».
L’Article 10 de ce traité d’amitié insiste sur « la coopération dans le domaine juridique » où l’Espagne et l’Algérie se sont engagés à « promouvoir et renforcer la coopération juridique en matière civile, commerciale, pénale et administrative entre leurs administrations publiques et leurs institutions judiciaires ». Les deux pays avaient convenu aussi « d’encourager l’étude de leurs législations respectives notamment dans les domaines du commerce et de l’entreprise afin de faciliter la collaboration entre les entreprises et l’intégration de leur économie respective ».
Tout un chapitre de ce traité d’amitié a été dédié à la « Coopération dans le domaine consulaire, des échanges humains et de la circulation des personnes ». Et c’est dans le cadre de cette coopération que l’Algérie et l’Espagne avaient convenu de poursuivre et d’approfondir « leur coopération en matière de contrôle des flux migratoires et de lutte contre le trafic des êtres humains » faisant ainsi allusion à l’émigration clandestine ou ce qui deviendra plus tard la harga.
La « Coopération en matière de lutte contre le terrorisme, le crime organisé
et le trafic de stupéfiants » constitue le dernier chapitre régissant la coopération prévue entre l’Algérie et l’Espagne dans le cadre de ce traité d’amitié dont l’article 13 stipule que
« les hautes parties contractantes réaffirment leur volonté commune dans la lutte contre le terrorisme transnational, conformément aux résolutions pertinentes des Nations Unies ».
« A cette fin, elles conviennent de renforcer leur coopération bilatérale en particulier dans le domaine de la coordination et de l’échange d’informations entre les services compétents des deux pays et la prévention et la lutte opérationnelle contre le terrorisme », explique-t-on dans ce traité d’amitié.
Soulignons enfin que les conditions d’annulation ou de suspension de ce traité d’amitié ont été précisées par les deux pays. Il est affirmé à ce sujet que « le présent traité entrera en vigueur un mois après la notification, par les parties, par voie diplomatique, de l’accomplissement des procédures requises par leur législation interne Il demeurera en vigueur jusqu’à sa dénonciation, par la même voie, par l’une des parties, qui prendra effet six (6) mois après sa notification à l’autre partie ». Partant de cette disposition, la suspension immédiate de ce traité d’amitié n’est guère possible et il faudra attendre la fin d’année 2022 pour que l’Algérie et l’Espagne puissent enterrer définitivement l’application de ce traité d’amitié et de bon voisinage.