Précarité, instabilité et angoisse collective : ce que peut provoquer dans un pays l’effondrement de la monnaie

L’effondrement progressif d’une monnaie nationale n’est pas sans conséquence. Il s’agit d’une menace qu’il faut prendre très au sérieux car cette situation financière peut provoquer de graves dégâts socio-économique. Ce qui arrive en ce moment au dinar algérien avec ses chutes successives face à l’euro et au dollar peut provoquer une dangereuse déstabilisation des équilibres sociaux et économiques du pays avec une montée vertigineuse de la précarité, l’appauvrissement de nombreux algériens et l’instauration d’une angoisse collective partout à travers le pays. Explications. 

D’autres pays bien avant l’Algérie ont connu et subi ce cauchemar. En 2015, les Russes ont subi de plein fouet l’état catastrophique de leur économie à cause des lourds problèmes auxquels faisait face leur monnaie nationale. En 2015, le rouble russe a perdu 50% de sa valeur face au dollar au cours de quelques mois.  Cette situation a été engendrée par la chute du prix du pétrole et les sanctions occidentales adoptées contre la Russie. Deux facteurs qui ont provoqué la récession de l’économie russe à la fin de 2014.

Face à cette situation chaotique, les consommateurs russes, qui craignaient de voir disparaître leur épargne ont envahi les magasins et se sont dépêchés de se débarrasser de leurs roubles dont la valeur s’effondre de minute en minute. A l’époque, les médias du monde entier avaient diffusé les images de ces  magasins d’appareils électroniques qui ont été pris d’assaut jalors qu’une foule de consommateurs se jetait sur les stocks d’iPhones et d’iPads dans le seul but d’acheter des produits très prisés avant que leurs prix n’explosent dans les jours à venir.

Avec l’effondrement du rouble, les marchands russes se retrouvaient forcés de rehausser le prix de leurs produits chaque jour. Ce qui avait provoqué une panique nationale et une paupérisation du pouvoir d’achat. Le thé, le café instantané, les vêtements pour enfants et les fournitures scolaires sont devenus atrocement chers.

Ce scénario russe a rappelé au monde entier  l’hyperinflation survenue en Argentine au début des années 2000. Comme l’a déjà noté l’auteur Fernando « Ferfal » Aguirre dans son livre The Modern Survival Manual: Surviving The Economic Collapse, lorsque la devise d’un pays s’effondre, ses citoyens n’ont d’autre choix que de dépenser leur argent immédiatement et d’acheter tout ce sur quoi ils peuvent immédiatement mettre la main. Ne pas le faire pourrait entraîner une réduction de moitié de leur pouvoir d’achat en seulement quelques heures. Le livre de l’argentinFernando « Ferfal » Aguirre est une véritable référence mondiale pour expliquer les dégâts incommensurables de l’effondrement d’une monnaie sur tout un pays.

Dans son livre, il raconte brillamment comment  les banques avaient fermé leurs portes, et personne ne savait combien la devise papier allait valoir le lendemain, ou même d’ici quelques heures. « Je me rappelle vivement avoir été chez Brico Dépôt (Easy en Argentine) pour acheter quelques outils. Les caissiers couraient dans tous les sens pour remplacer les anciens prix par de nouveaux, qui changeaient parfois plusieurs fois en une heure. Il était assez attristant de voir qu’en grattant un peu une étiquette, l’ancienne se trouvait encore en-dessous. Personne n’avait le temps de les enlever d’abord. Il y avait parfois une pile de cinq étiquettes de prix qui dataient toutes de moins de deux jours. Après quelques mois, les gens ont réalisé qu’ils se trouvaient dans une situation vraiment délicate. Beaucoup n’avaient pas d’emploi. Et ceux qui en avaient encore un recevaient un salaire dont la valeur chutait d’heure en heure. Parfois, on arrivait à la caisse pour se rendre compte que le prix d’un article avait déjà changé », avait-il expliqué dans son livre.

L’Algérie est-elle à l’abri d’un tel scénario chaotique. Non, bien au contraire et cette chute incontrôlée du dinar algérien risque de préfigurer le début d’une ère cruelle pour les consommateurs algériens. Et pour cause, la confiance est quelque chose de très fragile, et au vu des troubles économiques, financiers et monétaires auxquels nous faisons face, il n’en faudrait pas beaucoup pour que l’Algérie subisse des difficultés similaires à celles de la Russie en 2015.

Plus récemment en 2018, un pays pétrolier comme l’Algérie avait sous-estimé la menace monétaire et il l’a payé cher, très cher. Il s’agit Vénézuela. En août 2018, le Venezuela a dévalué sa monnaie, le bolivar, de près de 95 %. Le taux officiel est passé de 285.000 bolivars pour un dollar à 6 millions. La devise a rejoint son niveau sur le marché noir, où le dollar a dépassé le niveau de 6,7 millions de bolivars. L’hyperinflation que connaît le pays depuis plusieurs années a totalement érodé la valeur de la monnaie vénézuélienne qui ne vaut même plus le papier sur lequel sont imprimés les billets. Le pays a connu des dévaluations massives dans son histoire, 32 % en 2013, 50 % en janvier 2010, 40 % en 1983, mais jamais de cette ampleur. L’Algérie ne devrait surtout pas faire les mêmes erreurs du Vénézuela et prendre à la légère la menace de l’effondrement catastrophique de sa monnaie.