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samedi, avril 27, 2024

Le Maroc relance son « offensive » au Nigeria pour rafler à l’Algérie le méga projet de gazoduc visant à acheminer le gaz nigérian à l’Afrique du Nord et à l’Europe

Après le dossier du gazoduc Maghreb-Europe, voici un autre dossier qui va certainement alimenter la très vive rivalité algéro-marocaine : le méga projet de gazoduc visant à acheminer le gaz nigérian à l’Afrique du Nord et à l’Europe. Et dans ce dossier, le Maroc a fait une nouvelle offensive diplomatique pour se positionner en force et convaincre le Nigeria qu’il est le partenaire le plus fiable pour assurer le transfert du précieux gaz naturel depuis le coeur de l’Afrique jusqu’à l’Europe, le plus important marché mondial de consommation du gaz naturel sur la planète. 

Le Nigeria et le Maroc sont toujours à la recherche de fonds pour financer un méga projet de gazoduc visant à acheminer le gaz nigérian à l’Afrique du Nord et à l’Europe, a déclaré hier lundi 1er mai à ce propos le ministre nigérian du Pétrole. Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, les réserves en gaz de l’Afrique attirent de plus en plus les regards, l’Union européenne cherchant notamment des alternatives à son approvisionnement en gaz par la Russie.

Il y a quatre ans, le roi du Maroc Mohammed VI et le président nigérian Muhammadu Buhari sont tombés d’accord sur un méga projet de transport de gaz le long de la côte atlantique, sur plus de 3.000 km. Un accord entre les deux pays a été signé pour la première fois en 2016. Le ministre nigérian du Pétrole Timipre Sylva a déclaré que le pipeline serait une extension d’un gazoduc acheminant le gaz du sud du Nigeria au Bénin, au Ghana et au Togo depuis 2010. «Nous voulons continuer ce même pipeline jusqu’au Maroc le long de la côte. Aujourd’hui, (le projet) est toujours à l’étude», a affirmé hier lundi Timipre Sylva.

« Nous en sommes à la sécurisation du financement et beaucoup de personnes manifestent leur intérêt », a poursuivi le ministre. « Les Russes étaient dans mon bureau la semaine dernière, ils sont très désireux d’investir dans ce projet », a-t-il indiqué. Pour l’heure, Timipre Sylva a précisé qu’aucun accord sur le financement n’a été trouvé. « Il y a beaucoup d’interêt à l’international mais nous n’avons pas encore identifié les investisseurs avec lesquels nous voulons travailler ».

Les déclarations de ce haut responsable Nigerian ont de quoi inquiéter très sérieusement l’Algérie car elles signifient que le Maroc est en train de bâtir une solide alliance avec le Nigeria pour réaliser un méga-projet stratégique pour l’avenir du gaz naturel dans le monde. Et cette alliance risque fortement d’être concrétisée au détriment des intérêts de l’Algérie qui mène des discussions depuis 2002 pour un projet similaire de pipeline traversant la région du Sahel afin de le réexporter ensuite vers l’Europe en utilisant les infrastructures existantes permettant l’acheminement du gaz algérien vers l’Espagne ou l’Italie.

Ces dernières déclarations du gouvernement nigérian démontrent que le projet « marocain » avance à grand pas au Nigeria alors que le « projet algérien » demeure hypothétique et ne connait aucun avancement concret. Et pourtant, historiquement, le Nigeria a toujours été un partenaire proche de l’Algérie. Mais, aujourd’hui, c’est avec le Maroc qu’il cherche des nouveaux financements pour un méga-projet névralgique pour l’avenir énergétique du continent européen.

Il est à signaler qu’une ambitieuse feuille de route existe pour un projet de gazoduc de 4000 km, appelé le gazoduc transsaharien (TSGP), s’étendant du Nigéria jusqu’en Algérie en passant par le Niger.  Mais rien de concret n’a été réalisé et l’Algérie perd un précieux temps face au lobbying de plus en plus actif du Maroc au Nigeria.

Lors d’une visite de travail au Niger, le 17 février 2022, le ministre algérien de l’Énergie et des Mines, Mohamed Arkab, avait rencontré ses homologues nigérien Mahamane Sani Mahamadou et nigérian Timipre Sylva, en présence de l’ambassadeur d’Algérie au Niger, et du président directeur général du groupe national algérien des hydrocarbures Sonatrach. Les trois ministres ont signé une « déclaration commune » qui valide « une feuille de route » pour le développement du gazoduc transsaharien (TSGP).

A l’époque, un communiqué officiel a été rendu public par le ministère algérien de l’Énergie pour affirmer que le projet de gazoduc « bénéficiera des opportunités offertes par l’Algérie en termes d’infrastructures notamment le réseau de transports, les groupes de gaz naturel liquéfié (GNL) et les infrastructures de pétrochimie ainsi que la position géographique proche des marchés de gaz ».

Concrètement, le gazoduc transsaharien est censé connecter les champs de production et d’extraction nigérian aux réseaux de pipelines algériens et au marché européen. En novembre 2021, l’ambassadeur du Nigeria à Alger, Mohammed Mabdul, avait même estimé  que le Nigeria pourrait fournir 30 milliards de mètres cubes de gaz par an à travers cette installation.

Cependant, ce méga-projet remonte aux années 1980 et son développement accuse un lourd retard. En août 2021, les autorités algériennes pressaient le Nigeria de « ratifier l’accord intergouvernemental relatif au projet TSGP signé en 2009 à Abuja ». Le Nigeria ne semble guère pressé pour ce méga-projet en raison des obstacles sécuritaires, le coût financier  et les sources de financement restent incertains. En clair, l’Algérie n’a pas pu fournir au Nigeria des garanties concrètes et palpables prouvant que le TSGP pourrait vraiment voir le jour.

Le Nigeria ne cache pas sa méfiance à l’égard du TSGP en raison des difficultés rencontrées actuellement sur le terrain concernant des projets locaux menées dans les régions du nord de son territoire. Il s’agit effectivement des difficultés de financement qui affectent d’ores et déjà la première partie du gazoduc – le pipeline Ajaokuta-Kaduna-Kano (AKK) de 614 km. L’AKK est l’un des principaux projets gaziers en cours au Nigeria qui vise à connecter tous les États industriels du nord du pays aux approvisionnements en gaz provenant du sud-est. À partir de là, une ligne existerait pour s’étendre plus au nord vers le Niger et l’Algérie. Mais alors que la construction de l’AKK a débuté à la mi-2020, ce projet de 2,6 milliards de dollars a du mal à trouver des financements, ce qui affecte son calendrier de mise en service ».

Face à ces difficultés locales, de nombreux dirigeants nigérians sont tentés par les avantages promis par le Nigeria-Morocco Gas Pipeline, qui doit relier le colosse ouest-africain au Maroc, par la côte, connectant au total 11 pays de la zone en cours de route. Ce qui représente un danger majeur pour le TSGP et les intérêts de l’Algérie.

Et pour cause, le Nigeria, membre de l’OPEP, dispose d’énormes réserves en gaz, les premières en Afrique et les septièmes au niveau mondial.L’Europe représente la première zone d’échange dans le monde et absorbe 45 % des flux d’importation mondiaux. L’Europe (Turquie et Europe Centrale inclues) consomme plus de 550 Gm3 de gaz depuis 2011, soit 17 % du total mondial. Celui qui va contrôler l’acheminement du gaz naturel vers l’Europe disposera d’un outil d’influence d’une puissance illimitée. Et c’est cet enjeu majeur qui alimente la rivalité algéro-marocaine. Si l’Algérie perd le match du TSGP au Nigeria, le Maroc pourrait lui imposer ensuite facilement son leadership régional.

 

 

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