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mardi, mai 7, 2024

L’Algérie ne va plus importer des carburants à partir de 2021 : pourquoi il s’agit d’une annonce populiste basée sur des données incorrectes

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a annoncé officiellement hier mardi qu’il avait donné instruction pour interdire les importations des carburants à partir de 2021. Cette annonce a surpris beaucoup d’observateurs avertis du secteur des hydrocarbures. Et pour cause, l’Algérie ne semble pas encore capable de produire les carburants qu’elle consomme annuellement. Cette annonce risque de relever d’un pur et simple populisme. Explications. 

Il faut savoir que jusqu’au deuxième semestre de l’année 2019,  seuls 11,5 millions de tonnes de carburants sont raffinés en Algérie. Or, la consommation nationale des carburants en Algérie dépasse les 15 millions de tonnes par an. Cette consommation nationale augmente de 4 jusqu’à 7 % par an en raison de la croissance démographique algérienne et des besoins de plus en plus importants du secteur des transports. Il y a donc bel et bien un déficit de la production nationale des carburants et l’Algérie doit ainsi importer depuis l’étranger pour pouvoir approvisionner ses consommateurs comme les automobilistes en carburants.

Parlons, d’abord, du raffinage en Algérie. Le raffinage  a pour but de transformer, en présence d’un catalyseur, les coupes lourdes à longues chaînes d’hydrocarbones en coupes légères pour être utilisées dans la fabrication du carburant. Officiellement, l’Algérie avait lancé en 2011 un programme pour la réhabilitation des installations existantes des raffineries du Nord (Arzew, Skikda et Alger) et la mise aux normes des produits qui y sont issus. Les travaux de restauration des  raffineries d’Arzew et de Skikda ont été finalisés en 2013-2014. Ce programme a été « officiellement » achevé avec la réception de la dernière raffinerie d’Alger à la fin de l’année 2019. Sur le papier, la capacité globale de traitement de pétrole brut a été portée de 24,62 à 25,565 Millions Tonnes/an.

Ceci dit, dans les raffineries algériennes, il n’y a pas que les carburants qui sont fabriqués. En effet, SONATRACH a produit 25,6 millions de tonnes en 2018 contre 28 millions de tonnes en 2017. Les exportations de produits raffinés se sont élevées à 15,7 millions de TEP en 2018, soit 16 % de la production totale commercialisée (99,1 millions de TEP au 31 décembre 2018). Cela signifie que les raffineries algériennes ne concentrent pas leur entière capacité sur la production des carburants, essence, diesel ou gasoil, nécessaires à la consommation nationale. Les raffineries algériennes conçoivent également plusieurs produits pétroliers comme le bitume, du goudron, de la paraffine ou des lubrifiants alors que le marché national algérien a besoin annuellement de la disponibilité de 12,23 millions de tonnes de gasoil et 9 millions de tonnes d’essence.

Mais le gouvernement algérien a convaincu Tebboune de la possibilité de ne plus importer ces carburants en s’appuyant sur les chiffres positifs de l’exercice 2018 qui a été effectivement marqué par une forte diminution des importations de produits raffinés. Effectivement, le coût des importations a été ainsi ramené de 1,8 milliard de dollars en 2017 à 0,5 milliard de dollars en 2018. Mais cette réduction ne s’explique pas par les performances des raffineries algériennes. Loin s’en faut. En vérité, Sonatrach a obtenu cette réduction des coûts par la forte baisse des importations sur la période 2017-2018, suite au démarrage des opérations de processing du pétrole brut algérien à l’international avec le groupe VITOL en février 2018. Mais aussi, en raison du rapatriement des produits dérivés en essences et en gasoil en Algérie.

Le processing du pétrole brut à l’étranger qui s’est élevé à 4,6 millions de tonnes en 2018, soit un taux de réalisation de 118 % par rapport aux objectifs fixés pour l’année 2018, a permis de limiter les importations de carburants (essence et gasoil). Malgré une demande soutenue sur le marché national (57 millions de TEP contre 55 millions de TEP en
2017), les importations de carburants (essence et gasoil), se sont ainsi inscrites en très net recul, à seulement 0,2 million de tonnes contre près de 3 millions de tonnes en 2017. Cette opération a coûté 270 millions de dollars pour l’année 2018.

En quoi consiste le processing ? Il s’agit de procéder à une sorte d’opération de « troc ». En effet, Sonatrach donne à son partenaire VITOL une quantité de pétrole brut et en échange le groupe pétrolier algérien obtient des quantités de carburant raffiné. Dans le jargon des pétroliers, cette opération est appelée également le processing ou le façonnage. Un contrat de façonnage est un contrat dans lequel, le façonneur va raffiner du brut fourni par son client moyennant une certaine somme d’argent (frais de façonnage ou processing fees en anglais).

On définit dans ce contrat tous les termes du contrat tels que les quantités et les qualités mensuelles de bruts à livrer, les quantités et les qualités des produits à restituer, les modes de livraison. Dans cet accord conclu entre Sonatrach et Vitol, la compagnie nationale des hydrocarbures a payé son partenaire avec des quantités de pétrole brut qu’elle va exporter.

Voila donc le secret des performances de l’année 2018 concernant la réduction des importations des carburants. Or, le contrat de processing avec VITOL n’a pas été renouvelé pour l’année 2019. Et cette opération juteuse et efficace s’est, malheureusement, brutalement arrêtée. A partir 2020, la consommation nationale des carburants a baissé drastiquement à cause des conséquences du confinement sanitaire et la paralysie imposée à l’Algérie par les conséquences de l’épidémie du coronavirus COVID-19. Les entreprises fermées, leurs activités réduites, les transports suspendus, les liaisons routières entre les wilayas bloquées, bref,  les mesures du confinement partiel ont totalement bouleversé la consommation nationale des carburants.

Selon les chiffres officiels communiqués par NAFTAL, la filiale de Sonatrach chargée de la commercialisation et distribution des carburants,  l’activité de commercialisation de l’entreprise a reculé de 50% depuis la deuxième quinzaine du mois mars dernier en raison des dispositions prises pour la lutte contre la propagation du Coronavirus. Les Algériens n’utilisent pas beaucoup les transports collectifs et réduisent drastiquement l’utilisation de leurs voitures. Il est donc logique que la consommation nationale baisse comme c’est le cas dans la majorité des autres pays à travers le monde. Cette réduction de la consommation nationale des carburants ne s’explique nullement par les performances des raffineries algériennes, mais par un contexte  sanitaire très complexe et une crise mondiale inédite.

Demain, lorsque la vie reprend son cours normal en Algérie, la consommation des  carburants reprendra ses pics et à ce moment-là, nous verrons que l’Algérie sera contrainte de recourir une nouvelle aux importations étant donnée ses capacités limitées de raffinage et l’arrêt de l’opération du processing.

Il faut que l’Algérie réceptionne au moins deux à trois nouvelles raffineries pour atteindre  une capacité de traitement de pétrole brut dépassant les 40 millions de tonnes par an. C’est la seule condition qui peut lui permettre d’en finir avec sa dépendance accrue vis-à-vis des importations des carburants. Tout le reste n’est que pure spéculation.

 

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