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dimanche, mai 19, 2024

Enquête. Pour masquer son échec industriel : l’Etat algérien impose la « rationalisation » dangereuse de l’oxygène médical

Le ministère algérien de la Santé a demandé officiellement, dans une note ministérielle datant du 10 novembre dernier et obtenue au cours de nos investigations, à tous les responsables des hôpitaux publics à travers le pays de procéder à une rationalisation de l’oxygène médical ou à faire preuve d’une « utilisation rationnelle » de l’oxygène médical au moment où le nombre des cas hospitalisés souffrant des syndromes les plus sévères de la COVID-19 ne cesse d’augmenter de façon vertigineuse dans plusieurs wilayas du pays.

Cette instruction a suscité une énorme controverse au sein des soignants algériens car comment peut-on parler d’une utilisation rationnelle de l’oxygène médical lorsque ce produit médical incontournable manque cruellement dans nos hôpitaux ? Est-ce raisonnable d’imposer une rationalisation de l’oxygène médical lorsqu’il y a des centaines de patients à travers les hôpitaux du pays ayant cruellement besoin d’une assistance respiratoire à cause des complications provoquées au sein de leur métabolisme par l’infection COVID-19 ?

Un Etat qui accuse ses médecins et ses patients ! 

Ces lancinantes interrogations dévoilent les graves défaillances des autorités sanitaires en Algérie. Des défaillances qui provoquent de véritables dérapages. Un document en notre possession et datant du 23 juillet dernier montre que le ministère algérien de la Santé parle d’une surconsommation en oxygène médical ! C’est cette surconsommation qui aurait causé, selon les autorités algériennes, la pénurie de l’oxygène médical alors comme pour ce mois de novembre, en juillet passé, des milliers de patients algériens prenaient d’assaut les hôpitaux publics espérant trouver un remède à leur détresse respiratoire.

En vérité, avec ces instructions douteuses et immorales qui imposent des limitations aux médecins afin de les contraindre à sélectionner entre les patients qu’il faudrait traiter en urgence et les autres qu’il faut sacrifier parce qu’il n’y a plus aucun espoir de guérison. Indirectement, les soignants algériens devront établir des critères de sélection pour classer les patients souffrant de détresse respiratoire en plusieurs catégories : celles qui auront le droit à l’oxygène médical et les autres qu’il faudrait exclure ou les débrancher faute de places et de quantités suffisantes.

Les autorités algériennes refusent en vérité de reconnaître que la pénurie de l’oxygène médical n’a aucune relation avec la surconsommation dans les hôpitaux publics. Cette pénurie s’explique par la faiblesse de la production industrielle du pays.

En Algérie, il n’y a que trois producteurs locaux de gaz médicaux, à savoir, Linde Gaz, Sidal (Ex Air Liquide) et Calgaz Algérie. Or, le troisième est un opérateur privé aux capacités très limitées et qui n’avait aucun contrat de distribution avec le secteur hospitalier. Ce sont les deux opérateurs étrangers Linde Gaz et Air Liquide qui dominent le marché algérien et se chargent depuis de longues années de la distribution des gaz médicaux aux établissements de santé. Cette dépendance accrue vis-à-vis de deux opérateurs étrangers avait occasionné par le passé des crises d’approvisionnement des hôpitaux algériens en oxygène médical. Ce n’est donc pas la première fois que le problème de cette pénurie se pose avec beaucoup d’acuité.

Une pénurie qui remonte jusqu’à 2009 

Fin avril 2016, plusieurs services au centre hospitalo-universitaire d’Oran ont vécu une profonde crise de pénurie de l’oxygène médical. A l’époque, plusieurs interventions chirurgicales qui avaient été programmées ont été ajournées au grand dam des patients nécessitant l’acte chirurgical en urgence. Il s’agit donc bel et bien d’un ancien problème structurel que les autorités algériennes n’ont jamais pu gérer. En  septembre 2010, une énorme polémique avait éclaté en Algérie à propos de la pénurie de l’oxygène médical dans plusieurs hôpitaux algériens.

A l’époque, la société Allemande Linde Gaz était pointée du doigt par les professionnels de la Santé. En 2007,  les Allemands de Linde Gaz ont repris l’entreprise nationale des gaz industriels (ENGI) dans le cadre politique de privatisation des entreprises publiques. Le partenaire allemand Linde Gas détient 66 % des actions, alors que le groupe public Algeria Chemical Specialities, possède pour ça part 34%. Les allemands ont réussi ce coup de maître grâce à un homme : Amine Zerhouni, le fils de l’ex-ministre de l’intérieur Noureddine Zerhouni de 1999 à 2010 et vice-Premier ministre dans le gouvernement Ouyahia IX de mai 2010 jusqu’à septembre 2012. Nourredine Zerhouni fut l’un des poids lourds du régime Bouteflika et l’un de ses symboles les plus emblématiques. Aujourd’hui, oublié de la machine judiciaire algérienne et de la broyeuse institution militaire, Nourredine Zerhouni se soigne à Paris à l’âge de 83 ans et souffrant d’un dangereux cancéreux, des soins qui lui sont entièrement pris en charge par l’Etat algérien, a appris Algérie Part de plusieurs sources concordantes. Mais son fils, Amine Zerhouni fut l’un des hommes d’affaires les plus brillants durant le long règne d’Abdelaziz Bouteflika.

C’est ainsi grâce aux “services d’intermédiaires” d’Amine Zerhouni que Linde Gas a pu remporter l’affaire du siècle en Algérie : devenir propriétaire et actionnaire de l’entreprise nationale des gaz industriels (ENGI). Une position qui lui permet très rapidement de détenir le quasi-monopole avec neuf sites de productions et une cinquantaine de concessionnaires positionnés sur plusieurs villes du pays. Linde Gas règne ainsi rapidement sur les marchés des gaz industriels notamment celui des gaz médicaux, dont la fourniture des établissements et centres de santé, est détenue dans sa totalité par la firme allemande.

Face aux critiques dont elle faisait l’objet en 2010 de la part des responsables des hôpitaux algériens, Linde Gaz avait répondu qu’elle faisait face à  à des difficultés liées à l’obtention d’autorisations, à l’arrêt d’activité dans certaines unités et aux coupures fréquentes de courant électrique à l’origine de pannes dans les unités de production. Auparavant, à savoir en avril 2004, l’oxygène médical avait manqué cruellement dans plusieurs hôpitaux à travers le pays. Mais à l’époque, cette pénurie était provoquée essentiellement par l’indisponibilité de la matières première entrant dans la composition de cette substance anesthésiante indispensable pour tout acte chirurgical, d’une part, et de l’autre,  la lenteur des procédures administratives ayant trait à l’octroi des autorisations de production et d’acheminement de ce gaz.

« Les raisons de la perturbation n’étaient pas de notre ressort. Assurez-nous l’approvisionnement en matières premières, nous alimenterons les hôpitaux en protoxyde d’azote (N2O) sans aucun problème « , avait assuré à l’époque un haut responsable de Linde Gaz.

Par ailleurs, à l’époque, c’est toute la production des nitrates d’ammonium, utilisés comme matière première dans la production du gaz à usage médical comme l’oxygène médical, qui était fortement perturbée parce qu’elle avait été soumise à des autorisations des services de sécurité, sous prétexte que les groupes terroristes utilisent des éléments de ce gaz, notamment, le nitrate d’ammonium dans la fabrication des engins explosifs.

Il faut savoir que l’oxygène médicinal est un gaz à usage médical ayant le statut de médicament (AMM). De formule O2 (dioxygène), l’oxygène est un élément constitutif de l’air que nous respirons, à une teneur de 21%.

Mais comment est-il fabriqué ? Au sein d’usines spécialisées dans la séparation des gaz de l’air (ASU) ; le principe de fabrication repose sur une purification de l’air ambiant, suivie d’une opération de liquéfaction de cet air purifié et d’une distillation fractionnée de l’air liquéfié en ces composants principaux, dont l’oxygène (21%) et l’azote (78%). Obtenu sous forme d’un liquide dit « cryogénique », l’oxygène ainsi produit est stocké dans des réservoirs à double parois, permettant de l’isoler thermiquement et de le conserver à très basse température (-183°C).

Aujourd’hui, plus que jamais, la pénurie de l’oxygène médical dans les hôpitaux algériens dans un contexte de forte crise sanitaire de COVID-19 traduit  cette incompétence notoire à doter le pays d’une véritable stratégie industrielle pour répondre à ses besoins. L’absence de cette politique industrielle est en train de causer des dégâts mettant en péril la vie des Algériens et les médecins seront encore une fois, comme au mois de juillet lors de la première vague impressionnante des hospitalisations massives de cas infectés par la COVID-19, contraints de sélectionner les patients auxquels il sera possible d’administrer de l’oxygène médical. Une sélection qui laissera des patients sur le carreau. C’est terrifiant.

 

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2 تعليقات

  1. Bonjour
    « Mais comment est-il fabriqué ? Au sein d’usines spécialisées dans la séparation des gaz de l’air (ASU) ; le principe de fabrication repose sur une purification de l’air ambiant, suivie d’une opération de liquéfaction de cet air purifié et d’une distillation fractionnée de l’air liquéfié en ces composants principaux, dont l’oxygène (21%) et l’azote (78%). Obtenu sous forme d’un liquide dit « cryogénique », l’oxygène ainsi produit est stocké dans des réservoirs à double parois, permettant de l’isoler thermiquement et de le conserver à très basse température (-183°C). » C’EST VALABLE POUR UN ASPECT PRODUCTION INDUSTRIELLE ET VENTE (TRANSPORT STOCKAGE .etc…)
    Sinon un élève de seconde (des années 70) est capable de produire (pour un usage courant et utilisation sur site et sans recourir à une technologie sophistiquée) de l’oxygène.
    Hélas cet élève il est soit à la retraite, soit désabusé soit parti vivre ailleurs ou peut être dans le système algérien pour empêcher que la roue tourne dans le bon sens VA SAVOIR
    CQFD