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dimanche, mai 5, 2024

Contribution. L’Algérie : « un gros ventre et une petite tête »

Un historien géographe avait décrit l’Algérie comme un « gros ventre et une petite tête ». Le gros ventre est l’immense poche saharienne. La petite tête est la bande côtière (1 200 km) qui donne sur la Méditerranée. Cette zone côtière cultivable sur une profondeur de 100 km couvre à peine 05 % de la superficie totale du pays et où s’entassent trente millions d’algériens sans activité réellement productive vivant quasiment d’importations pour l’essentiel de leurs besoins vitaux. Une population qui s’est vue multipliée par quatre en l’espace de cinquante ans.

Quant au Sahara algérien, un désert grand comme quatre fois la France couvre les neuf dixièmes du territoire national. Avec son ciel bleu immense et ses espaces désertiques infinis, l’Algérie était méconnue jusqu’à ce que surgissent de ce sable stérile le pétrole et le gaz.

La découverte en 1956 par les ingénieurs français du pétrole et du gaz dans le sous-sol saharien va bouleverser le cours des événements : prolongement de la guerre de libération, tenue du congrès de la Soummam, naissance de l’UGTA, négociations d’Evian, accession à l’indépendance. Elle va garantir à la France une autonomie énergétique appréciable et procurer à l’Algérie des revenus considérables en devises. Le pétrole saharien a enrichi l’économie française et l’a rendu indépendante des importations en énergie des autres pays. Il a par contre appauvri l’Algérie la rendant dépendante du marché mondial pour assurer sa survie.

La France a une histoire, l’Algérie a un passé. Un passé qui a placé l’armée au centre du pouvoir. Une armée née de la lutte de libération nationale déclenchée par une poignée d’hommes sans armes, sans munitions, sans argent, sans même l’appui préalable du peuple.

Des hommes valeureux venus d’horizons divers animés d’une foi inébranlable celle de l’indépendance de leur pays. A l’accession  à la souveraineté, une lutte sanglante fratricide va s’engager entre les différentes factions du mouvement de libération dont le  but est de s’emparer du pouvoir. Deux tendances s’affrontèrent le GPRA, représentant légal du Front de Libération Nationale reconnu internationalement et l’Armée de Libération Nationale dépositaire de la violence révolutionnaire.

Le fusil l’emportera  évidemment sur la plume. « Qui vivra, verra » disait-on à l’époque. Une fois installée au pouvoir, l’armée ne se contentera d’être le « bras armé de l’Etat naissant» ; elle s’imposera comme « tête pensante et pesante de tout son poids sur  l’Etat post colonial ». Pour s’en convaincre, il suffit de remarquer que tous les présidents qui se sont succédés à la tête de l’Etat ont tous été installés et destitués par l’armée. Ce n’est pas un hasard si les anniversaires de l’accession à la souveraineté. soient célébrés au ministère de la défense comme la fête de la victoire de l’armée de libération nationale sur les forces d’occupation française et non du peuple algérien dans son ensemble frappant l’imaginaire collectif pour une longue période et de manière irréversible. L’indépendance n’est pas également l’œuvre d’une élite intellectuelle mais de l’armée de libération nationale conduite par le front de libération nationale.

La victoire n’est pas politique mais militaire. C’est un butin de guerre. « Qui tiendra l’armée, tiendra le peuple » confiera Krim Belkacem, un des leaders historiques de la révolution. Certains lancent le slogan « un seul héros le peuple » sans recevoir d’écho, d’autres partent de l’idée que  l’Algérie est une « terre de soldats » et ils en ont font une immense caserne de défense des intérêts occidentaux.  « Ceux qui ont pris les armes avaient raison et ceux qui ont les armes ont raison » lancera plus tard un nationaliste au long parcours, Abdelhamid Mehri. Forts de cette légitimité historique, les dirigeants algériens vont faire du secteur des hydrocarbures la source exclusive des revenus du pays rendant le recours aux importions incontournable à la satisfaction des besoins du marché local notamment en biens de consommation finale.

Disposant d’un double monopole politique (violence légitime de l’armée) et économique (rente pétrolière et gazière), l’élite dirigeante issue du mouvement de libération nationale va s’installer durablement au pouvoir. Le résultat de cette stratégie savamment orchestrée, a été de livrer l’économie algérienne « pieds et poings liés » au marché mondial. Cette intégration suicidaire à l’économie mondiale sans analyse préalable et sans objectif clairement défini a poussé l’ensemble de l’économie nationale à l’importation et l’agriculture en particulier à être incapable de reproduire la force de travail de l’homme en Algérie. Cette dépendance de l’économie aux hydrocarbures répond à une logique de conservation de pouvoir savamment orchestrée et patiemment mise en œuvre dans le seul but est de profiter des richesses du pays en toute impunité sans se soucier du sort des nouvelles générations.

Que faire pour sortir de l’impasse ? Force nous est de constater que là où « le pétrole coule  l’herbe ne repousse plus », le béton s’installe, le bitume s’étale, l’agriculture sombre. De même que là où la « terre respire le gaz », la société explose, le pouvoir s’enivre, l’individu s’exile, l’Europe le refoule, la mer l’engloutit, le feu le dévore, l’argent se volatile, les pénuries s’installent, la famine pointe du nez. En consacrant les recettes des hydrocarbures comme ressources quasi exclusives dans le financement du budget de l’Etat et du couffin de la ménagère, le pouvoir a condamné à la régression puis à la disparition des autres secteurs notamment la pêche, l’artisanat, l’agriculture. Que faire ?  Il n’y a pas de solution individuelle à un problème collectif, pas de maladie sans thérapie, pas de thérapie sans diagnostic, pas de diagnostic sans profession, pas de profession sans éthique et sans déontologie.

Le recours à l’histoire s’impose. L’Algérie a été façonnée par les guerres de résistance et par les armées d’occupation. Les invasions étrangères, des byzantins aux français, en passant par les romains et les arabes ont fait d’elle une « terre de soldats ». Durant la présence française, le maintien de l’ordre colonial était un impératif majeur des autorités. Le regard de la France conquérante sur l’Algérie colonisée est le suivant : « nous allons apporter les lumières aux hommes de barbaries ; nous sommes les hommes des lumières et vous êtes des hommes des ténèbres, c’est nous qui vous éclairons de notre savoir, notre démocratie, notre culture ».

En vérité la France n’est pas venue en Algérie pour la civiliser mais bien pour la militariser. Aujourd’hui la France soutient les dictatures militaires parce qu’’elles défendent ses intérêts. Le militaire a toujours supplanté le politique des deux côtés des rives de la Méditerranée : l’arrivée du Général De Gaule au pouvoir et l’avènement de la cinquième République en France, le déclenchement de la guerre de libération et la nationalisation des hydrocarbures en Algérie.

C’est l’Etat providence qui va légitimer le pouvoir militaire. En vérité, la providence ne se trouve pas au sommet de l’Etat mais dans le sous-sol saharien. L’histoire jugera les hommes et la géographie témoignera de leur perfidie. Le colonel Lotfi avait raison de dire « je n’ai pas peur des français car ils vont partir, j’ai peur des hommes qui vont gouverner l’Algérie de demain ». Une hirondelle ne peut faire le printemps dans un pays de faucons. Un pouvoir qui n’encourage pas la liberté de pensée critique peut asseoir son pouvoir dictatorial pendant un certain temps mais il condamne par là même son peuple au déclin en le nourrissant de peurs et de pain.

Faire appel à l’émotionnel plutôt qu’à la réflexion mène à  l’impasse. La liberté de pensée critique est une condition sine qua non de développement d’un pays dans le cadre d’un dialogue sérieux, rationnel et constructif à l’issue duquel des voies et moyens seront dégagés avec un calendrier précis de mise en œuvre animés par des gens de tout âge, de tous horizons et de toutes sensibilités plaçant l’intérêt supérieur du pays au-dessus de toute considération personnelle, de toute ingérence extérieure et de toute manipulation intérieure Il y va de la légitimité et de la légalité d’une autorité compétente et consensuelle devant fixer le cap à l’ensemble de la société afin de sortir le pays de l’impasse.

 

Par Dr A. Boumezrag

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