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mardi, avril 30, 2024

Analyse. Le Populisme après Trump

Avant qu’il soit président, Donald Trump avait construit son personnage de téléréalité sur la formule : « Vous êtes viré. » C’est aujourd’hui le peuple américain qui l’a viré. Et la défaite de Trump porte aussi un coup dévastateur aux populistes nationalistes en Europe et ailleurs. Pourrait-il s’avérer mortel ?

Les marais qui ont donné naissance au populisme nationaliste n’ont pas été asséchés. Trop de gens se sentent encore lésés par la dégradation perçue (ou crainte) de leur situation économique et sociale ou déconsidérés, voire maltraités par les responsables politiques. La stagnation des salaires, la désindustrialisation et l’injustice économique posent encore de graves problèmes. Beaucoup sont convaincus que l’immigration et l’évolution culturelle font peser sur leur sécurité et leur mode de vie une menace. La crise du Covid-19 a renforcé ces anxiétés.

La persistance de ces peurs et de ces frustrations s’est traduite dans les résultats des élections aux États-Unis. Si le président élu Joe Biden en sort vainqueur, avec une avance sur Trump supérieure à cinq millions de voix – soit l’équivalent de 3,4 points de pourcentage –, plus de 72 millions d’Américains ont néanmoins voté pour le président sortant.

Biden a néanmoins démontré que le populisme pouvait être vaincu – et pas seulement par la surenchère. Rejetant les tactiques des populistes, refusant de se plier à leurs conceptions ou de flatter leurs préjugés, Biden a construit une vaste coalition électorale, autour de la promesse d’un changement concret, d’une sobriété mesurée et d’une gouvernance compétente. Cette victoire contient une leçon essentielle pour les partis politiques de centre gauche et de centre droit en Europe, qui ont parfois succombé à la tentation populiste – en reprenant par exemple les antiennes socialement conservatrices et dirigées contre les immigrants de leurs concurrents – pour tenter d’arracher des votes.

L’échec de Trump sonne comme un avertissement pour les autres populistes d’extrême-droite, comme le président brésilien Jair Bolsonaro et le Premier ministre hongrois Viktor Orbán. Plus tôt, cette année, Orbán avait lancé : « Nous pensions que l’Europe était notre avenir, aujourd’hui, nous savons que nous sommes l’avenir de l’Europe. » Mais avec la défaite de Trump, ses mots sonnent creux. Même si ces dirigeants demeurent jusqu’ici populaires – grâce, dans le cas de Bolsonaro, aux aides substantielles distribuées suite à la pandémie – leur succès ou leur maintien n’ont rien d’inexorable.

Outre qu’il fait voler en éclat le récit commode de l’inéluctabilité, l’échec de Trump jette le discrédit sur des choix profondément erronés, et par conséquent en réduit l’attraction pour ses épigones. Au cours des quatre années passées, Trump a mené une politique qui prétendait défendre sans vergogne « l’Amérique d’abord », piétinant les traités commerciaux et utilisant l’arme des sanctions pour tenter de favoriser les entreprises et les salariés américains.

Dans ce contexte, il semblait presque naïf pour quiconque, y compris pour les gouvernements européens, de rechercher des solutions multilatérales et une approche coopérative sur des marchés ouverts. Tandis que certains responsables des grands partis découvraient les attraits du protectionnisme, le nationalisme économique extrême, tel que le préconisent des partis comme le Rassemblement national (ex-Front national) français – dont les dirigeants entendent considérer « la France et les Français d’abord » – paraissait presque raisonnable. En outre, comme je l’explique dans mon livre Them and Us: How Immigrants and Locals Can Thrive Together (« Eux et nous : comment immigrants et populations locales peuvent prospérer ensemble », non traduit), la rhétorique xénophobe de Trump et son exaltation d’un sentiment national « de souche » ont ouvert la voie à un durcissement des politiques migratoires, aux États-Unis comme ailleurs.

Bien sûr, certains gouvernements européens n’ont pas eu besoin d’encouragements pour diaboliser les musulmans, dresser des barbelés à leurs frontières ou maintenir en détention dans des camps sordides les demandeurs d’asile ; de fait, ces comportements ont vu le jour avant l’élection de Trump, notamment lors de la crise des réfugiés de 2015-2016. Mais les décisions de l’administration Trump – parmi lesquelles la séparation des enfants de leurs parents et leur détention dans des conditions atroces, l’expulsion sans jugement des demandeurs d’asile, l’interdiction de l’immigration à des ressortissants de pays à majorité musulmane et la construction d’un mur à la frontière des États-Unis avec le Mexique – ont considérablement renforcé en Europe les forces hostiles aux immigrants.

Ainsi Matteo Salvini, le chef de la Ligue d’extrême-droite en Italie, qui fut ministre de l’Intérieur de 2018 à 2019, se flattait-il d’être le « Trump italien », tandis qu’il interdisait aux navires transportant des migrants sauvés en mer d’accoster dans les ports italiens. Lorsque l’administration Trump a refusé, en 2018, d’adhérer au Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, pourtant non contraignant, neuf gouvernements de l’Union européenne – et quelques autres pays, dont l’Australie – lui ont emboîté le pas.

Biden offrira un exemple très différent, qui renforcera probablement les internationalistes et affaiblira les nationalistes en Europe. Certes, le président élu – à l’instar des démocrates en général – n’entend pas lever toutes les restrictions à la liberté des échanges et à l’immigration. Mais il comprend les avantages d’une politique étrangère tournée vers la coopération commerciale entre l’Amérique et ses alliés européens, et il s’est engagé à annuler les mesures migratoires les plus controversées prises par la précédente administration dans les jours qui suivront sa prise de fonctions, tout comme à réformer, sur le long terme, le système migratoire américain. Biden rompra aussi avec l’attitude de Trump concernant le changement climatique, et commencera par réintégrer l’accord de Paris sur le climat, dès le premier jour de sa présidence.

Trump parti, non seulement les représentants politiques des populistes ne jouiront plus de la même légitimité, mais les gouvernements devront payer pour leurs postures nationalistes un prix international plus élevé. Trump fut un allié puissant des gouvernements nationalistes européens, tout particulièrement en Hongrie et en Pologne. Lorsque le parti Droit et justice au pouvoir en Pologne a cherché querelle à l’Allemagne, contesté la politique d’asile de l’Union européenne et mis en cause l’indépendance de la justice, sans compter le reste, il faisait confiance à Trump, même s’il s’attirait les foudres de ses partenaires européens, pour le protéger de la Russie revanchiste de Vladimir Poutine et de ses semblables. Avec Biden à la Maison Blanche, le gouvernement polonais se sentira plus enclin à une attitude constructive.

Il en va de même pour le Premier ministre britannique Boris Johnson. Trump s’était fait l’avocat du Brexit, où il voyait l’expression de la souveraineté nationale, et encourageait Johnson à suivre une ligne dure envers l’Union européenne, faisant miroiter, en guise de récompense, un accord commercial bilatéral.

Biden n’est pas un chaud partisan du Brexit – ni, on aurait pu s’en douter, de Johnson, dont il n’est pas près d’oublier l’affront raciste fait au président Barack Obama, « en partie kenyan », selon les termes employés lors de la campagne pour le référendum par l’actuel Premier ministre britannique. En outre, Biden, qui évoque fréquemment son origine irlandaise, a très clairement fait savoir qu’il n’accepterait aucune menace à la paix en Irlande du Nord. Les délais pour une négociation d’un accord commercial post-Brexit touchant à leur terme, Johnson est désormais soumis à une pression beaucoup plus forte pour parvenir à un compromis.

Ainsi le nationalisme populiste n’est-il pas mort. Mais il peut être vaincu – et la chute de Trump rend probablement plus facile cette victoire. Les Européens se montreront-ils à la hauteur de la tâche ?

Traduit de l’anglais par François Boisivon

Philippe Legrain, ancien conseiller économique du président de la Commission européenne, est professeur invité à l’Institut européen de la London School of Economics; il est également l’auteur de Them and Us: How Immigrants and Locals Can Thrive Together (non traduit).

Copyright: Project Syndicate, 2020.
www.project-syndicate.org

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1 تعليق

  1. Le populisme après Trump ou plutôt le racisme décomplexé, structurelle et systématique au sein des appareils de l’état Américain. Tel dans l’état français où le président français en l’occurrence Macron qui change comme un caméléon du socialisme a la droite et maintenant dans l’extrême droite et va vers le cannibalisme.