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mardi, octobre 15, 2024

Un sexagénaire tué par une « balle en caoutchouc » à Annaba : les véritables dessous de cette bavure et les nombreux couacs entre les institutions de l’Etat

Un drame survenu la semaine passée à Annaba a secoué tous les Algériens provoquant ainsi une polémique nationale sur les violences et bavures policières en Algérie.  Le mercredi 20 mai 2020, le décès tragique d’un sexagénaire par « balle en caoutchouc » au niveau de la cité Mokhtari Abdelmadjid plus connue sous le nom d’ »El-Qariya » dans la commune de Sidi-Amar à Annaba, avaient provoqué des violentes émeutes. 
Dans la nuit du mercredi au jeudi derniers, des dizaines de jeunes du quartier, munis de produits pyrotechniques et de pierres ont attaqué le commissariat de police. Ces jeunes expliquaient leurs actes de violences  comme une manifestation de leur colère à l’encontre des « policiers » qui avaient eu recours « à de balles réelles » lors de leur intervention musclée la veille dans leur quartier. Plusieurs vidéos de la scène du drame avaient circulé sur les réseaux sociaux. Des vidéos où l’on voyait des jeunes montrer les douilles laissées par les forces de l’ordre, tout en affirmant qu’il s’agissait de douilles de balles réelles. Des sources médicales ayant examiné la dépouille de la victime avaient assuré que le projectile avait perforé et pénétré le thorax, mettant à rude épreuve l’hypothèse d’une balle en caoutchouc. Seul le résultat de l’autopsie et de l’enquête, ordonnées par le Procureur de la République près le tribunal d’El-Hadjar, pourront révéler la vérité à propos du type de projectiles utilisés par les forces de la DGSN.
Emeutes, articles, démenti et contre-démenti 
Sur une vidéo publiée sur les réseaux sociaux, on peut voir des jeunes d’ « El-Qariya » utiliser des jets de pierres et de produits pyrotechniques contre un « ennemi inconnu » qui n’est pas visible sur la vidéo. Des médias ont rapporté l’information ce samedi 23 mai 2020, mais celle-ci a rapidement été démentie par le ministère de l’Intérieur. En effet le ministère de l’Intérieur, des collectivités locales et de l’Aménagement du Territoire a publié un démenti sur sa page Facebook officielle, qui a largement été repris par de nombreux médias algérien, notamment l’agence de presse officielle APS, la télévision publique et de nombreuses chaines TV, radios et presse électronique.
« Suite à un article paru dans un quotidien dans son numéro de ce samedi 23 mai 2020, intitulé ‘Nuit d’émeutes à Annaba’ illustré par des photos, le ministère de l’Intérieur, des Collectivités locales et de l’Aménagement du Territoire dément catégoriquement ce qui a été rapporté par ce journal et affirme que ces informations sont erronées et sans fondement, un calme total régnant dans la wilaya », pouvait-on lire dans ledit communiqué.
Quelques instants après, la sûreté de wilaya d’Annaba, qui a une meilleure maitrise du dossier vu que les incidents se sont déroulés sur un territoire relevant de ses compétences, a publié sur sa page Facebook, un autre communiqué qui ressemblait étrangement à un contre-démenti. Dans ce communiqué établi en réponse au même article de presse à propos des émeutes, la sureté de wilaya confirme les faits rapportés par l’article et démentis par la tutelle, précisant tout de même que les émeutes n’ont duré que 15 à 25 minutes et non toute la nuit comme cela a été rapporté par la presse.
« … suite à l’incident (NDLR : décès par balle d’un sexagénaire) qui est arrivé en date du 20/05/2020 des jeunes dépravés du quartier (NDLR : El-Qariya), dont le nombre est estimé à 30 personnes, se sont approchés et ont canardé le commissariat de jets de pierres. Après l’intervention des éléments de la police, ils ont été dispersés après 15 à 25 minutes, contrairement à ce qui a été rapporté sur l’article à propos de toute une nuit d’émeutes. [Les services de la sureté de wilaya d’Annaba] précisent qu’aucune perte humaine ou matérielle n’est à déplorer », lit-on sur le communiqué de la sureté de wilaya d’Annaba. Le communiqué en question a été supprimé moins de 2 heures après sa publication, avant d’être remplacé par celui du ministère de l’Intérieur.
Cafouillage au sommet des institutions de la République 
Ce « problème de communication » entre la sureté de wilaya d’Annaba, la DGSN et le ministère de l’Intérieur révèle un manque de coordinations entre les institutions de l’Etat. Le ministère de tutelle n’aurait-il pas eu accès au rapport de la sureté de wilaya sur les émeutes ? Mais au-delà du fait que le ministère de l’intérieur n’avait pas reçu les informations à temps, comment expliquer le comportement de  la cellule de communication de la sureté de wilaya d’Annaba qui a décidé de publier un communiqué contredisant la version « officielle » ? Est-ce un manque de coordination ou bien le problème est-il plus profond qu’il n’en a l’air ? Des questions dont on ne peut avoir de réponses dans l’immédiat.
Retour sur le décès de « Ammi Salah » 
Mercredi, quelques instants avant la rupture du jeûne, des éléments de la police qui menaient une perquisition au domicile familial d’un présumé trafiquant de drogue ont rencontré de vives résistances au cours de leurs interventions. Attaqués par des jeunes du quartier, les policiers ont dû répliquer et ouvrir le feu. Le père du présumé trafiquant a été touché au thorax avant de succomber quelques instants plus tard au niveau du pavillon des urgences chirurgicales du CHU Ibn-Rochd.
Très vite, la DGSN a publié un communiqué pour expliquer la situation. Le communiqué affirme que les éléments de la Brigade mobile de la Police judiciaire (BMPJ) de Sidi-Amar ont arrêté un « repris de justice », soupçonné d’être impliqué dans une affaire de drogue.
« Pendant l’arrestation de ce jeune de 28 ans, qui se trouvait à l’intérieur de sa voiture devant son domicile, les policiers ont été attaqués par 50 à 60 habitants du quartier avec des pierres, des armes blanches et un fusil de chasse sous-marine », poursuit la DGSN.
Les policiers ont réussi à quitter le quartier avec la personne arrêtée qui a été transférée au siège de la BMPJ de Sidi Amar, ajoute la même source. Dans les affrontements qui les ont opposés aux habitants et proches du jeune arrêté, une personne a été grièvement blessée, « atteinte par une balle en caoutchouc ». Transférée au CHU d’Annaba, elle a succombé à ses blessures. La DGSN parle de légitime défense.
« Vu l’ampleur de la violence utilisée contre les éléments de la police, ces derniers ont été obligés d’utiliser des balles en caoutchouc pour se défendre, ce qui a provoqué des blessures à l’un des assaillants qui a été transporté au CHU Ibn Rochd où il a rendu l’âme », précise la DGSN, en ajoutant que le procureur de la République d’El Hadjar, informé des évènements, a ouvert une enquête. Une version corroborée par un communiqué rendu public le lendemain par le procureur territorialement compétent.
Deuxième décès et deuxième émeutes en moins de 3 mois 
Ce tragique décès qui implique directement ou indirectement la police de Sidi-Amar n’est pas le premier. Il y a moins de 3 mois, plus exactement le vendredi 28 février 2020, Dj. R., âgé de 39 ans et résident au niveau de la cité 508 logements de la commune de Sidi Amar a perdu la vie au niveau dudit commissariat. L’incident avait à l’époque provoqué des émeutes et des affrontements entre les forces de l’ordre et les jeunes du quartier de la victime. Ses proches avaient dénoncé des mal-traitances infligées à la victime à l’intérieur du commissariat de police. « Je suis sa sœur et je suis responsable de ce que je dis, il a reçu plusieurs coups létaux de la part des policiers de Sidi Amar. Il est d’ailleurs mort chez eux (NDLR dans le commissariat). Ils ont par la suite procédé, au niveau de la clinique à un dépôt de cadavre. Allah me suffit, Il est le meilleur garant », avait dénoncé la sœur de la victime dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux. « De son coté, son oncle affirme que la dépouille porte plusieurs traces de coups et blessures et même des brulures causées par l’électrochoc », avait rapporté, à l’époque, un quotidien régional.
Dans un communiqué de presse, la DGSN s’est expliqué en affirmant qu’« en date du 28 février 2020, vers 11h45, Dj. R., âgé de 39 ans, s’est présenté de son plein gré au commissariat extramuros de Sidi Amar –Annaba- où il a eu un malaise, avant de tomber par terre. Ce qui a nécessité son transfert vers la polyclinique de Sidi Amar, où il a rendu son dernier souffle »
Le procureur de la République près le tribunal d’El-Hadjar avait ordonné l’ouverture d’une enquête afin de déterminer les circonstances exactes de ce décès, mais les résultats de celle-ci n’ont toujours pas été rendus publics.
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