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mardi, octobre 3, 2023

« Servir et ne pas se servir » : le Dr Ouziala, un éminent néphrologue, est mort en exil

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Il est très difficile de trouver les mots justes pour décrire fidèlement la personnalité d’un homme de la trempe du Dr Messaoud Ouziala que nous venons de perdre subitement et cruellement.

Messaoud est tout un symbole et je ne sais par où commencer tellement les souvenirs et les idées se bousculent dans ma tête.

Tout d’abord Messaoud est le symbole représentatif d’une génération de scientifiques et de techniciens, produits de l’effort éducatif de l’Algérie indépendante, venus à la politique par le biais d’un ressourcement et d’un enracinement dans l’Islam et par refus de la corruption et de la déculturation, et qui ont su gagner la confiance d’une majorité d’algériens.

Messaoud a été élu maire FIS de Ain Taya lors des élections municipales de 1990. Il a servi la population avec dévouement et sincérité. Ce médecin humble et modeste était aimé par le peuple. Il était tout à fait le contraire de « l’élu » parachuté qu’avait l’habitude de connaitre la population. La devise de Messaoud était « servir et ne pas se servir » ; Aimé et respecté par tous il sera réélu lors des élections législatives de 1991. Messaoud était un pacifique, un homme de dialogue et de science qui a cru sincèrement aux élections et au changement par l’affrontement pacifique des idées.

Malheureusement les décideurs avaient décidé que le peuple algérien n’était pas mur pour faire son choix. Et c’est comme cela que le Dr Ouziala, élu du peuple, au lieu de rentrer au parlement rentrera en prison, puis sera déporté et interné dans les camps du grand sud à l’instar de milliers d’élus. A ce titre il symbolise la grande Hogra de 1992, celle de l’avortement violent du choix populaire et de l’injustice qu’a subi toute une génération.

Messaoud a passé 4 ans dans les camps d’internement irradiés du grand sud, ballotté entre Ain Mguel, Oued Namous et Reggane dans des conditions effroyables et inhumaines. Sa mère, Khalti Zineb, moudjahida de la révolution était obligé chaque semaine de parcourir plus de 3000 kilomètres pour rendre visite à son fils unique et lui ramené le fameux couffin dans ces camps de la honte.

La famille de Messaoud est le symbole de la famille algérienne révolutionnaire qui a donné ses meilleurs fils pour l’indépendance de ce pays et qui a dû subir l’arbitraire et l’ingratitude de « l’Algérie indépendante ». Mon père rahimaho Allah me disait que Massoud ressemblait beaucoup à un de ses oncles Ahmed BOUDA rahimaho Allah, un nationaliste de la première heure qui était connu pour son sens du sacrifice, son humilité, son honnêteté et sa piété.

Le Dr Ouziala est l’exemple type du médecin compétent expert poussé à l’exil et qui a fait le bonheur des hôpitaux français. Messaoud était un néphrologue spécialiste de la transplantation rénale et une référence indiscutable dans ce domaine pour l’ensemble de la communauté scientifique. Le professeur Legrain père de la néphrologie française qui a séjourné plusieurs années à Alger pour lancer la néphrologie et la transplantation rénale ne tarissait pas d’éloges sur ce néphrologue hors pair formé dans les meilleurs centres parisiens. J’ai eu pour ma part la chance et le privilège de travailler avec lui plusieurs années à Mustapha, des moments de complicité et de fraternité inoubliables. J’ai vu Messaoud passé plusieurs nuits au chevet des patients transplantés sans rentrer chez lui « il faut surveiller les malades transplantés comme le lait sur le feu » aimait il répéter. J’ai vu Messaoud donné de l’argent aux malades pour un taxi, pour acheter des médicaments ou des vêtements , j’ai vu Messaoud pleurer à chaude larmes la perte de patients, j’ai vu Messaoud prendre les patient et leur famille chez lui à Ain Taya ou Khalti Zineb fournissait gite et couvert.

Je témoigne devant Allah que je n’ai jamais vu un médecin avec une telle disponibilité, un tel dévouement et une telle humilité.

En juillet 1997 il sera encore une fois kidnappé de son domicile et effroyablement torturé il ne devra son salut, après Allah, qu’à la mobilisation de l’opinion publique nationale et internationale en sa faveur. Sauvagement torturé il sera relâcher une vingtaine de jours après son arrestation. Ses amis et sa famille le supplieront alors pour qu’il accepte de quitter le pays et pour qu’il sauve sa peau. C’est la mort dans l’âme que Messaoud quitte cette terre d’Algérie qu’il aimait tant et ce peuple qu’il chérissait de façon maladive.

Malgré son exil forcé en France il continuera à servir son peuple. Son corps était certes là-bas en France mais son âme et sa raison sont restée ici en Algérie. Je ne pourrai fournir une liste exhaustive des patients que je lui ai envoyés et les dizaines de compatriotes qu’il a aidés matériellement et humainement ; ni les tonnes de médicaments et équipements de toutes sortes qu’il a achetées et envoyées en urgence pour les nécessiteux du « bled ». 


Messaoud a travaillé dur en France : Kremlin Bicêtre, Hôpital Européen Pompidou la Roseraie… ; les hôpitaux prestigieux parisiens se disputaient les compétences de ce néphrologue expérimenté disponible et d’un grand humanisme. Et ce n’est pas avec l’argent de la rente pétrolière et de la corruption qu’il achètera une maison au sud de Paris à Vitry sur seine. Il aménagera un étage indépendant avec toutes les commodités pour accueillir les « 3abiri Sabil », les malades, les pauvres et toutes sortes de nécessiteux. L’exemple le plus frappant est celui de cet officier supérieur du DRS à la retraité que j’avais confié à Messaoud pour une maladie de Berger compliquée . A son retour cet officier me racontait les larmes aux yeux comment il a été pris en charge par le Dr Ouziala, ce médecin qui avait toujours le sourire aux lèvres. Il restait impressionné par sa bonté, son humilité, sa disponibilité, son hospitalité, la cuisine de sa mère Khalti Zineb. A la fin notre officier à la retraire n’a pu se retenir et a éclaté en sanglot.

Mon ami, mon frère Khoya Messaoud, nous sommes peinés par ta séparation, et ce matin, tu es parti, subitement… L’Algérie te pleure ya Messaoud
Nos pensées profondes, notre sympathie et nos condoléances d’abord à ta mère Khalti Zineb avec laquelle tu avais une relation fusionnelle ; tu étais son enfant unique sa raison de vivre elle a tellement souffert pour toi ; Je ne sais pas si elle pourra s’en sortir après ton départ.

A ton épouse, à tes enfants, qu’Allah leur donne la force pour surmonter cette Mossiba. Que toutes celles et tous ceux qui ont connu Messaoud prient pour lui.

Les enfants de Ain Taya, la famille du Handball, les lycéens de l’Emir Abdelkader, les centaines de transplantés, les malades, les collègues, les membres de la SAHA, de la SAC, de la société de néphrologie, du CHU Mustapha, des hôpitaux parisiens, ses codétenus des camps de la honte, ses tortionnaires et ses bourreaux et toutes celles et ceux qui lisent ces lignes… Priez pour Messaoud.

Nos prières t’accompagneront comme le souvenir de ta présence, de ta générosité et de ton sourire.

Que Dieu t’accueille dans Son amour Sa miséricorde et Son vaste paradis
Innâ li’Llahi wa innâ Ilayhi raji’oune. Allah Yerahmek ya Messaoud.

Par le Pr Salim Benkhedda

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