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samedi, avril 20, 2024

Révélations. COVID-19 : comment le premier test de dépistage made in Algérie a tourné au scandale

Flop. Fiasco. Les qualificatifs manquent cruellement pour qualifier ce scandale qui vient d’éclater en Algérie. Un scandale qui touche de plein fouet depuis la fin de la semaine passée le ministère et le secteur de la Santé. Un scandale qui concerne directement ce fameux test de dépistage au COVID-19 made in Algérie. Un test qui relève, désormais, du mensonge et de l’affabulation. C’est du moins ce que la rédaction d’Algérie Part a découvert au cours de ses investigations. 

Le 11 mai dernier, l’Algérie a affirmé officiellement qu’elle avait entamé lundi la production de kits de dépistage du Coronavirus avec un premier volume de 200 000 unités/semaine permettant des résultats en 15 minutes, une première dans la région du Maghreb, avait annoncé la télévision publique (ENTV) sur un ton laissant transparaître une grande fierté.

Implantée à Baba Ali (Ouest d’Alger), c’est l’usine de l’entreprise privée Vital Care qui s’était chargée de la production de ces kits qui devait permettre, en plus des résultats en un temps record, de diagnostiquer des cas de contamination de sujets asymptomatiques, s’enorgueillissait l’ENTV.

En direct à la télévision algérienne, « un essai jugé concluant de ces kits de dépistage a été déjà effectué au Centre Hospitalo-universitaire de Beni Messous (Alger). L’Algérie devient ainsi le premier pays du Maghreb à produire ce genre de tests et le deuxième en Afrique, après l’Afrique du Sud ». Tout ce processus de fabrication avait été supervisé et validé par le ministre délégué à l’Industrie pharmaceutique, Lotfi Benbahmed.

C’est ce dernier qui avait vendu au gouvernement algérien et au président Abdelmadjid Tebboune le rêve de la fabrication d’un kit de dépistage made in Algérie. Ce test de dépistage était censé couvrir les besoins des hôpitaux publics et des pharmaciens algériens. Or, un mois, plus tard ce test de dépistage n’a jamais été fourni à un quelconque hôpital public algérien ni un quelconque laboratoire. Pourquoi ? Pour la simple raison que depuis le 11 mai, ce test de dépistage n’a jamais été enregistré auprès de la direction générale de la pharmacie au niveau du ministère de la Santé. Mieux encore, ce test de dépistage n’a jamais été également analysé et expertisé par l’agence nationale des produits pharmaceutiques.  

Il faut savoir que depuis cette année 2020, les missions de contrôle de qualité des produits pharmaceutiques qui incombaient auparavant au laboratoire national de contrôle des produits pharmaceutiques (LNCPP) ont été transférées à l’Agence nationale des produits pharmaceutiques (ANPP). Selon la réglementation algérienne, l’Agence nationale des produits pharmaceutiques répond à « un besoin de régulation, d’homologation et de contrôle de qualité des produits pharmaceutiques et des dispositifs médicaux, à l’instar de tous les pays du monde ».

Cela signifie qu’aucun produit pharmaceutique, médicament ou équipement médical ne peut être commercialisé en Algérie s’il n’est pas contrôlé et examiné par l’ANPP. Or, les tests de dépistage rapide produits par l’entreprise privée VITAL CARE n’ont jamais été homologués par l’ANPP. Lotfi Benbahmed, nommé ministre délégué à l’Industrie Pharmaceutique, a fait cavalier seul en donnant toutes les autorisations pour la mise en production de ces kits de dépistage par Vital Care qu’elle n’a nullement l’autorité légale pour mettre en circulation un médicament ou un produit pharmaceutique.

En réalité, Lotfi Benbahmed espérait épater le président Tebboune et l’opinion publique algérienne. Mais pour réaliser son grand coup, il espérait également que le directeur général de la Pharmacie, Mohamed Nibouche, allait lui accorder toutes les autorisations nécessaires à l’enregistrement et homologation des tests de dépistage produits par Vital Care. Or, ce haut responsable du ministère de la Santé avait longtemps tergiversé sentant du louche dans cette affaire étant donné que l’Institut Pasteur, la plus importante institution scientifique et médicale algérienne et la seule qui disposait de tous les équipements nécessaires pour mener les prélèvements nécessaires au dépistage du COVID-19, n’a pas été associé à ce projet industriel.

Au grand dam de Lotfi Benbahmed, une enquête interne au ministère de la Santé découvre les irrégularités dans ce dossier et Mohamed Nibouche est suspendu de ses fonctions alors qu’il venait être installé le 9 avril dernier. Il a été remplacé officiellement et dans la grande discrétion la semaine passée par Soumia Benhamida, de formation maitre assistante en pharmacologie à l’université de Blida, et celle qui était sous directrice de l’enregistrement au niveau de la direction de la pharmacie du ministère de la santé.

Par ailleurs, Lotfi Benbahmed perd un autre allié de poids. Il s’agit d’un certain Omar Bouredjouane, le puissant et influent chef de cabinet du ministre de la Santé qui a été remplacé la semaine passée par le docteur Smail Bouchlaghem. Pour rappel, Omar Bouredjouane est sous enquête pour son implication dans le scandale qui ébranle la Pharmacie Centrale des Hôpitaux (PCH). Dans le sillage des chamboulements et scandales ébranlant le ministère de la Santé, l’affaire des tests de dépistage produits par Vital Care éclate au grand jour.

Les 200 mille tests de dépistage rapide produits au niveau de l’usine de Baba Ali n’ont pas été écoulés. Ils ont été facturés à 1000 Da le test et 25 mille Da la boite de 25 tests. Or, les initiateurs de ce projet n’ont absolument pas pu écouler le moindre test de dépistage en raison de l’absence d’une autorisation officielle de mise sur le marché. Un rapport interne et confidentiel du ministère de la Santé conclut que les installations de cette usine privée ne sont pas conformes aux normes mondiales et ce kit de dépistage soulève de nombreuses interrogations.

Et pourtant, Lotfi Benbahmed a bloqué plusieurs projets présentés par d’autres opérateurs privés et des investisseurs nationaux dans l’objet de commercialiser d’autres tests de dépistage. A titre d’exemple, à Sétif, le laboratoire Salem avait proposé aux autorités algériennes le kit Précisio contenant 20 tests COVID-19. « Toujours en attente, les autorités sanitaires n’ont pas encore décidé de l’autoriser ou pas sur le marché », explique ce laboratoire privé sur son site internet.

Lotfi Benbahmed nommé ministre délégué à l’Industrie Pharmaceutique a privilégié en réalité Vital Care au détriment de ses concurrents parce qu’il entretient des relations troublantes avec les propriétaires de cette entreprise privée. Il faut savoir que cette entreprise appartient à Abbas Turki Mahmoud qui possède près de 80 % des parts de Vital Care. Nous retrouvons derrière cette entreprise un autre associé, un certain Ait Said Malik. Le frère d’Abbas Turki Mahmoud, un certain Bachir Abbas Turki, est considéré comme le plus grand distributeur des produits pharmaceutiques en Algérie. Il possède le groupe Hydra Pharma qui draine l’équivalent de plus de 200 millions d’euros par an en Algérie.

Les deux principaux actionnaires de Vital Care, Mahmoud Abbas Turki et Malik Ait Said ont travaillé ensemble pendant de longues années à Aventis, le groupe pharmaceutique européen qui devient à partir de 2004 SANOFI.

A l’origine, l’entreprise Vital Care est spécialisée en bandelettes réactives pour la glycémie. Elle dispose des licences sud-coréennes pour fabriquer ces produits en Algérie. C’est une entreprise leader dans ce secteur d’activité et réalise jusqu’à 60 millions d’euros de revenus par an. Il s’avère, a-t-on découvert au cours de nos investigations, que l’un des associés de Vital Care est l’ami personnel du ministre délégué chargé de l’industrie pharmaceutique, Lotfi Benbahmed. Ait Said Malik est effectivement très proche du ministère délégué et le connait très bien. Ait Said Malik a donc fait l’intermédiaire entre les Abbas Turki et Lotfi Benbahmed pour réaliser ce projet ambitieux qui engage des intérêts financiers énormes puisque l’Algérie comptait importer en plusieurs dizaines millions de dollars des kits de dépistage.

Comme par hasard, Lotfi Benbahmed est également actionnaire d’une mystérieuse entreprise qui réalise des études de marchés dans le secteur pharmaceutique et du médicament. Cette entreprise s’appelle la Sarl Heat Care Business Intelligence. Basée à Alger-centre, elle a été créée le le 23 juin 2019. L’actuel ministre délégué chargé de l’industrie pharmaceutique a créé cette entreprise avec trois autres associés dont l’un réside en France.

Nous avons découvert au cours de nos investigations que l’entreprise Vital Care a recouru aux services et prestations de la Sarl Heat Care Business. Ce qui démontre que les propriétaires de Vital Care sont les clients de l’actuel ministre délégué chargé de l’industrie pharmaceutique ! Une situation de conflit-d’intérêt flagrante qui démontre une proximité troublante entre les propriétaires de Vital Care et un ministre du gouvernement algérien. Le même ministre qui avait accordé sa bénédiction et parrainage pour le lancement de la production des tests de dépistage rapide. L’arnaque saute aux yeux : Lotfi Benbahmed est un ministre ancien businessman qui a privilégié ses anciens clients pour s’accaparer de l’immense marché des tests de dépistage du COVID-19.

Le 11 mai dernier, personne n’a suspecté la moindre combine. Pourquoi ? Parce que personne n’a daigné enquêter sur cette société privée obscure qui fabrique un test de dépistage provoquant une véritable compétition internationale. Le président Tebboune est tombé dans le piège et il a cru aux annonces de Lotfi Benbahmed. Mais lorsque l’Institut Pasteur a tourné le dos à ce test fabriqué dans des conditions jugés non-conformes aux exigences des règles de réalisation des test de dépistage nécessaires aux prélèvements hors des laboratoires de biologie médicale et des établissements de santé, le gouvernement et la Présidence découvrent la supercherie. Lotfi Benbahmed perd ses alliés au ministère de la Santé et se retrouve enfermé dans un sombre bureau au premier étape de ce ministère.

Après l’échec de la commercialisation des tests de dépistage rapide produits par Vitale Care, les opérateurs pharmaceutiques ont été autorisés à importer depuis l’étranger un autre test de dépistage rapide.

 

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