En pleine pandémie de la COVID-19 et face à l’une des crises financières ou économiques les plus dures de l’historie contemporaine, l’Algérie se retrouve également livrée à des tensions géopolitiques qui menacent grandement son environnement avec de lourdes conséquences sur sa propre sécurité et stabilité nationale.
En Libye, un pays avec lequel l’Algérie partage plus de 982 KM de frontières, la situation n’a jamais été aussi explosive. Le commandement militaire américain pour l’Afrique (AFRICOM) a publié ce samedi des images satellites datant du 13 et 14 juillet prouvant que la Russie continue de fournir des armes au groupe Wagner en Libye. La première image montre les forces et les équipements militaires russes de Wagner en première ligne du conflit à Syrte.
Dans un communiqué, le général Bradford Gering, chef des opérations d’AFRICOM, a affirmé que la Russie « continue de jouer un rôle inutile en Libye en livrant des fournitures et du matériel militaire au groupe Wagner ». Selon le général Grégory Hadfield, directeur adjoint du renseignement à AFRICOM, les images satellites reflète l’implication d’envergure de la Russie dans le conflit libyen. « La Russie continue à chercher un point pour s’implanter en Libye » a-t-il ajouté. Parmi les derniers équipements fournis à Wagner se trouvent des avions cargo, y compris des IL-79, des systèmes de défense aérienne, ainsi que des blindés.
Ces graves accusations interviennent 3 jours après la visite du chef de la diplomatie algérienne, Sabri Boukadoum qui avait affirmé mercredi à Moscou que « les chars et les canons ne pouvaient être une solution à la crise libyenne » qui doit « plutôt être réglée par le dialogue et le retour à la table des négociations ». La position algérienne semble caduque et dépassée par les réalités du terrain car toutes les puissances ayant pris partie dans ce conflit libyenne sont justement sur le point d’affûter leurs armes. Preuve en est, les députés égyptiens ont approuvé ce lundi 20 juillet une possible intervention armée en Libye si les forces du gouvernement de Tripoli, soutenues par la Turquie, continuent leur avancée vers l’est du pays.
Le parlement égyptien a approuvé à l’unanimité l’envoi « d’éléments de l’armée égyptienne dans des missions de combat hors des frontières de l’Etat égyptien, pour défendre la sécurité nationale égyptienne », selon un communiqué du Parlement. Cette annonce n’est pas surprenante selon Luc Debieuvre de l’IRIS, spécialiste de la Libye. « L’Egypte est prête à intervenir car le régime du maréchal Sissi a réellement peur que la Turquie mette la main sur le pays », estime Luc Debieuvre.
« La Turquie, au mépris des réactions de la Communauté internationale, déverse des tonnes d’armes au profit du GNA, basé à Tripoli. Un navire militaire français dans le cadre d’une mission de l’OTAN a ainsi été visé par une manœuvre de la marine turque alors qu’il cherchait à contrôler la cargaison d’un cargo soupçonné de détenir une cargaison d’armes », insiste le chercheur. « La Turquie est réellement rentrée dans une logique d’expansion en Méditerranée orientale. Elle veut contrôler le gaz et le pétrole de cette région », estime le chercheur. De son coté, souligne toujours Luc Debieuvre, « le régime du Maréchal Sissi a en horreur les Frères musulmans. Il a renversé d’ailleurs le président egypotien Mohamed Morsi, issu de cette mouvance. » Le GNA de Tripoli est aux mains des Frères Musulmans. La Turquie soutient les Frères musulmans et donc il est impératif pour l’Egypte de soutenir le maréchal Haftar. « L’Egypte intervient également parce que le maréchal Haftar est actuellement en difficulté militaire après son échec militaire devant Tripoli. Cette position de faiblesse depuis un mois inquiète Le Caire », insiste Luc Debieuvre.
L’appel de l’Algérie en faveur des négociations et la fin des hostilités armées ne semblent donc guère avoir été entendu. La Turquie ne se laisse pas impressionner par les menaces égyptiennes et maintient son soutien militaire sans écarter davantage d’implication logistique dans le conflit libyen. Un récent rapport du Pentagone révèle que la Turquie a envoyé plus de 3 500 combattants syriens en Libye ces trois derniers mois, au profit du gouvernement de Tripoli. Pour minimiser les pertes humaines, la Russie comme la Turquie laissent, du moins pour le moment, de côté leurs armées nationales pour recourir à des mercenaires, des étrangers qui combattent pour de l’argent. La Libye est en train de devenir une Syrie-Bis.
Pendant ce temps-là, l’Algérie continue à faire croire au monde que sa voix compte sur l’échiquier libyen. Dans un entretien accordé à la chaîne « RT Arabic », à l’occasion de la visite de travail qu’il effectue à Moscou, M. Boukadoum a déclaré: « nous sommes déterminés à convaincre toutes les parties de l’importance de préserver l’intégrité territoriale de la Libye et la pleine souveraineté des Libyens, en les exhortant à faire preuve de vigilance à l’égard de certains comportements qui risqueraient de mener, volontairement ou pas, à la division de la Libye ».
Lors de cet entretien présenté sous le titre: « Algérie…ballet diplomatique pour le règlement de la crise en Libye », M. Boukadoum a affirmé que l’Algérie œuvrait par le biais de sa diplomatie à convaincre toutes les parties en Libye de l’importance de préserver l’unité et la souveraineté du pays. Des paroles qui ne semblent convaincre personne car sur le terrain, les armes font un bruit étourdissant et les mercenaires comme les armes les plus sophistiquées s’amassent tout près de la frontière algérienne. Le danger est à prendre très au sérieux.
Plus au sud, l’Algérie doit regarder également du côté du Mali où une dangereuse crise politique est en train de déchirer ce pays voisin qui incarne la profondeur stratégique de l’extrême sud algérien. Le Mali est miné de l’intérieur par de gros problèmes politiques qui vont permettre aux groupes armées radicaux de prospérer sur son grand territoire notamment au nord du pays tout près de l’extrême sud algérien. Tout a commencé lorsque de violents affrontements ont agité la capitale malienne Bamako après une manifestation, le 10 juillet, emmenée par un rassemblement hétéroclite qui demande la démission du président malien Ibrahim Boubacar Keïta, dit IBK, accusé notamment d’inaction face à la crise sociale et sécuritaire.
Dans le courant du mois de mai, des adversaires d’IBK ont noué une alliance inédite autour d’un imam influent et respecté, Mahmoud Dicko. Ensemble, ils ont lancé un appel à se rassembler dans la rue une première fois le 5 juin et se sont baptisés « M5-RFP » pour « Mouvement du 5 juin – Rassemblement des forces patriotiques ». Le M5-RFP réclame la dissolution du Parlement malien, la formation d’un gouvernement de transition dont il désignerait le Premier ministre, ainsi que le remplacement des neuf membres de la Cour constitutionnelle, accusée de collusion avec le pouvoir. Et la crise politique de ce pays voisin dure depuis le mois de juin menaçant ainsi toute la stabilité régionale du Sahel.
L’Algérie a réagi officiellement le jeudi 23 juillet par le biais du ministre des Affaires étrangères, Sabri Boukadoum qui a exprimé le souhait que la situation qui prévaut au Mali soit « conjoncturelle », affirmant qu’il n’y avait pas d’alternative à l’accord de paix et de réconciliation issu du processus d’Alger pour instaurer la sécurité et le développement socioéconomique dans ce pays. Dans un entretien accordé à la chaîne Russia Today (RT) dans le cadre de la visite de travail qu’il effectue en Russie, M. Boukadoum a affirmé qu' »il n’y a pas d’alternative à l’accord de paix et de réconciliation pour instaurer la sécurité au Mali », souhaitant que toutes ses clauses soient mises en œuvre par toutes les parties. L’Algérie, qui est « en contact permanent avec toutes les parties concernées », préside encore les négociations pour la mise en œuvre de l’accord, et en dépit de toutes les difficultés actuelles « nous sommes déterminés à poursuivre cette action », a-t-il soutenu.
Après le Sahel et la Libye, c’est la situation en Méditerranée qui doit interpeller l’Algérie. La marine grecque a été mise en état d’alerte mercredi après que la Turquie a dépêché des navires militaires à proximité de la plus orientale de ses îles. Les tensions en mer Egée ne sont pas rares, mais le déploiement turc s’ajoute à ce que certains de ses partenaires de l’OTAN qualifient de provocations. Quinze navires militaires turcs ont pris la mer mardi pour accompagner un navire d’exploration gazière sous-marine, Oruc Reis, en Méditerranée orientale, jusqu’au 2 août. Un développement très près de la plus orientale des îles grecques, Kastellorizo, à 2 km du rivage turc, qui a conduit Athènes à mettre, mercredi après-midi, sa marine en état d’alerte. Les navires grecs ont reçu l’ordre d’ignorer une restriction de navigation décrétée par Ankara. Le Premier ministre grec, Kyriakos Mistotakis, a planifié des rencontres avec les dirigeants de partis politiques grecs pour ce jeudi et vendredi, et le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a convoqué mercredi soir son conseil national de sécurité.
Ces tensions risquent d’aboutir à une confrontation armée entre la Grèce et la Turquie, un autre scénario dangereux. L’Algérie est concernée par ce conflit aux retombées inquiétantes sur tout le bassin méditerranéen. L’Algérie entretient une proximité renforcée avec la Turquie d’Erdogan depuis l’arrivée au pouvoir d’Abdelmadjid Tebboune. Le 26 janvier 2020, Erdogan a été le seul chef d’Etat étranger qui a rendu visite à l’Algérie de Tebboune. La Turquie déploie un très fort lobbying en Algérie qui lui permet d’obtenir de nombreux projets importants dans plusieurs secteurs clés. A Alger, l’influence turque se fait ressentir au point de provoquer une véritable gêne au sein du sérail algérien. Selon nos sources, à Moscou, Boukadoum a été questionné par les russes sur les dessous de cette « lune de miel avec la Turquie », soulignent nos sources. Or, le chef de la diplomatie algérienne a tenté d’esquiver les interrogations russes, assurent encore nos sources. L’Algérie tente de rester neutre dans un monde déchiré par les puissants. Elle essaie de construire une relation avec les puissances régionales qui sont prêtes à la soutenir et lui apporter une plus-value dans cette période très tendue de l’histoire du pays avec une crise sanitaire paralysant le pays et le risque élevé d’un retour brutal des manifestations de la colère populaire.
Le pragmatisme algérien n’a pas pour autant dévoiler une stratégie claire et précise. La proximité avec la Turquie risque de couter des hostilités à l’Algérie de la part de d’autres puissances et partenaires étrangers avec lesquels Erdogan exercent des relations très exécrables. Le pouvoir algérien devra revoir sa copie et analyser davantage les enjeux de ces tensions géopolitiques porteuses de grands dangers pour l’avenir de l’Algérie.