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vendredi, septembre 29, 2023

Interview. « En s’acharnant sur les Ahmadis, les Algériens se trompent de cible »

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Asif Arif est Avocat au Barreau de Paris et intervenant ponctuel en Libertés Publiques à l’Ascencia Business School. Asif est Directeur du site internet Cultures & Croyances et Directeur de la collection « Religions & Laïcités » chez l’éditeur L’Harmattan. Asif est également très actif dans le milieu des Droits de l’Homme et, plus précisément, en ce qui concerne les minorités religieuses. Il s’occupe des affaires publiques concernant les violations des Droits de l’Homme et les Persécutions subies dans le monde par la minorité religieuse Islam Ahmadiyya.

Propos recueillis par Abdou Semmar 

– Vous êtes l’avocat qui s’occupe des affaires publiques concernant les violations des Droits de l’Homme et les Persécutions subies dans le monde par la minorité religieuse Islam Ahmadiyya. Pouvez-vous nous dire si cette minorité est réellement menacée en Algérie ?

 

[Asif Arif] Considérée la question de la menace de l’Ahmadiyya revient à interroger s’il est possible pour ce mouvement qui se revendique de l’islam d’exister en Algérie. La cabale menée ces derniers mois contre les membres de ce mouvement semble tout à fait donner des signaux forts d’une impossibilité pour l’Ahmadiyya d’exister sur le sol algérien, et, partant, d’être menacé dans son existence en Algérie. Le Ministre aux affaires religieuses est toutefois revenu sur ses déclarations en estimant qu’il s’agissait davantage de blocages juridiques. Or, les blocages juridiques en questions relèvent de l’absence d’existence d’un décret concernant les associations religieuses. On fait alors porter les conséquences d’une carence juridique de l’Etat à des algériens qui souhaitent simplement vivre pacifiquement et en harmonie avec les algériens.

 

– Plusieurs arrestations et des peines de prison ont été prononcées contre les membres de cette communauté en Algérie. Qu’est-ce qui explique selon vous cette répression décidée par les autorités algériennes ?

 

[Asif Arif] Les autorités algériennes soutiennent qu’il s’agit d’un blocage lié aux textes de loi : les dons illicites et l’association non déclarée. Mais, encore une fois, la déclaration d’association religieuse n’est pas possible en l’absence d’un décret venant décrire la procédure, donc il s’agit d’une justification fallacieuse. Les raisons justifiant une telle répression peut être liée à un carcan idéologique dans lequel souhaite s’enfermer l’Algérie, en proclamant qu’en matière d’islam, seule l’école Malikite est admise. Or, une telle affirmation est contraire à la Constitution algérienne, proclamant avec force la liberté de religion. Il revient en effet au pouvoir algérien d’accorder plus de confiance à ses citoyens. Cette peur de ce qui est différent est sûrement justifié par la décennie noire mais nous ne comprenons pas alors pourquoi l’Algérie signe des gros contrats avec certains pays du Moyen-Orient qui ont une responsabilité dans la diffusion des idées radicales qui ont fomenté la décennie noire. Il existe donc, à notre sens, des raisons juridiques et des raisons plus complexes, liées à l’histoire du pays et à l’histoire de l’islam.

 

 

– Parlez-nous d’abord de l’Ahmadiyya. C’est quoi au juste ? Est-ce réellement une faction de l’Islam ou s’agit-il d’une secte qui ne veut pas s’assumer ? 

 

[Asif Arif] L’Ahmadiyya est un mouvement dans l’islam qui a été fondé en 1889 par Hadhrat Mirza Ghulam Ahmad, à Qadian, en Inde. Elle se revendique fièrement de l’islam, et ouvertement. Elle ne commet aucune activité secrète ou cachée, il suffit de regarder comment elle se comporte dans les autres pays. L’Ahmadiyya respecte tous les principes élémentaires de l’islam : 5 piliers de l’islam et les 6 piliers de la foi. Il convient de noter que les mots « ahmadiyya », « ahmadi », « ahmadiyyat » ou encore « ahmadisme » (comme on peut le lire sur certains sites internet) ne renvoient à rien d’autre qu’à l’islam et il ne s’agit pas là de différencier les ahmadis de l’islam, tout comme il convient d’affirmer qu’Ahmad de Qadian a nommé sa communauté Ahmadiyya en raison du deuxième prénom de Muhammad (Fondateur de l’islam) qui était Ahmad.

 

 

– Qu’est-ce qui différence principalement l’Ahmadiyya des autres courants de l’Islam ? 

 

[Asif Arif] La différence réside dans l’interprétation différentes de plusieurs versets coraniques. Dans la croyance historique et orthodoxe de l’islam, Isa’ (à savoir Jésus) va redescendre en qualité de Messie à la fin des temps afin de pacifier le monde musulman et il va accomplir plusieurs œuvres majeures qui vont démontrer qu’effectivement il est le Messie Promis attendu par les différentes religions. Reste que pour développer une telle doctrine eschatologique, ils soutiennent, qu’en vertu d’une disposition Coranique, Isa’ ne serait pas mort physiquement et qu’il aurait été élevé – sinon soulevé – aux cieux dans l’attente d’un retour proche. Dans son ouvrage « Massih Hindustan main », Ahmad de Qadian démontre, à la lumière des évangiles, que Jésus (donc Isa’) est décédé d’une mort naturelle. Il démontre également, dans plusieurs de ses ouvrages, que ce n’est pas Isa’, à savoir Jésus de Nazareth, qui va revenir physiquement à la fin des temps.

Les musulmans orthodoxes ont objecté à Ahmad de Qadian qu’il dénaturait les dispositions Coraniques et qu’il portait atteinte, par la même occasion, à l’essence même de l’islam. En réalité, cette question a fait l’objet d’une réponse complète et précise tant par Ahmad de Qadian que par plusieurs de ses successeurs.

Plusieurs arguments ont été apportés pour conforter cette thèse, tirés tant du Coran lui-même que des Traditions (Ahadiths). Dans la Sourate Al Maidah, Jésus dit à Dieu à propos de ceux qui modifieront son message que : « j’ai été témoin d’eux tant que j’étais parmi eux, mais depuis que tu m’as donné la mort, c’est Toi qui en a été le Témoin et le Gardien ». Dieu déclare en réalité que le message de Jésus, tant qu’il était vivant, était pur et intact mais qu’après sa mort son message a été totalement modifié par les chrétiens. Un autre argument est souvent avancé par les musulmans ahmadis pour prouver la mort physique de Jésus dans le Coran. Ce verset est très clair et est traduit de la manière suivante : « Lorsqu’Allah dit : ‘Ô Jésus ! Je te ferai mourir d’une mort naturelle et je t’élèverai à moi et te laverai de toutes les accusations portées contre toi par les mécréants […] ». Selon Mirza Basheerudin Mahmood Ahmad[1], le terme « élevé » au ciel vient après celui de « mort » et il faut ici observer les simples règles de langage.

Il y a également la question du Khateman Nabiyine. Pour les musulmans ahmadis, Muhammad est également central, du moins tout aussi central que pour toutes les autres branches musulmanes. Il représente le Sceau de tous les Prophètes, celui qui, par son autorité, a marqué et a scellé la notion d’apostolat de sorte qu’aucun Prophète à venir ne pourra égaler sa grandeur (Mokam’). Toutefois, la dernière phrase, telle que je viens de l’écrire, pourrait choquer plus d’un musulman « orthodoxe » ou même « modéré », même si je n’adhère pas à cette distinction artificielle puisque j’estime l’islam par essence modéré. J’ai en effet parlé de la possibilité d’un Prophète avec Muhammad. Cette thèse, aux yeux des plus grands ulémas est insoutenable en l’état. Le terme de Khatam-e-Nabiyine est celui qui est à l’origine de toute la discussion. Pour les musulmans orthodoxes, ce terme signifie que Muhammad est le dernier des prophètes et, qu’après son prophétat, plus aucun prophète ne peut venir sans contredire son office et sa grandeur et sans contrevenir à cette disposition coranique dont l’importance est capitale puisqu’elle traite de la question de la grandeur de Muhammad. En conséquence, même parmi les disciples du Prophète Muhammad, il ne peut plus y avoir de prophète, les portes de l’apostolat étant closes depuis l’avènement de Muhammad ; en réalité, Ahmad de Qadian soutient qu’une telle acception du mot Khatam-e-Nabiyine est impossible dans la mesure où elle n’est pas juste d’un point de vue linguistique. Concrètement, ce mot consiste à affirmer qu’ils ont atteint un tel stade, une telle hauteur dans leur domaine que personne ne peut venir les surpasser. Ils ont apposé le sceau dans leur domaine. A l’image de ces personnes, Muhammad est le Khatam-e-Nabiyine c’est-à-dire qu’il a apposé son sceau sur les différentes formes d’apostolat. Si un Prophète vient par la suite, il ne pourra pas le surpasser, ni même l’égaler. En revanche, les portes d’un nouveau prophète ne sont pas closes. Il se peut qu’un nouveau Prophète vienne mais son apostolat ne pourra pas égaler ou entrer en concurrence avec celui du Saint Prophète de l’islam.

A part ces deux divergences interprétatives, le rituel, la croyance et la pratique et la même que celle de l’islam sunnite.

 

– Les Algériens doivent-ils craindre le développement de l’Ahmadiyya dans leur pays ? 

 

[Asif Arif] Les Algériens doivent craindre tout mouvement qui aurait pour objet ou pour effet de diffusion une idéologie qui aurait pour finalité la violence, l’assassinat des innocents. En conséquence, les Algériens devraient craindre le développement du terrorisme qui pourrait toucher le sud de l’Algérie – Notamment à travers les mouvements terroristes qui sévissent dans le Sahel. Il est là le danger de l’Algérie. Les Ahmadis condamnent ouvertement le terrorisme, représente une communauté pacifique qui ne conteste jamais l’autorité en place, aux motifs que le Représentant de la communauté musulmane Ahmadiyya, Hadhrat Mirza Masroor Ahmad, soutient que la loyauté envers sa patrie est une condition de sa foi. Et dans ces circonstances, il rappelle constamment ce principe élémentaire rappelé par le Prophète de l’islam. Je pense qu’en s’acharnant sur les Ahmadis, les Algériens se trompent de cible.

 

 

– Avez-vous une vision précise sur le nombre des ahmadis en Algérie ? Et êtes-vous en contact avec eux et comment sont-ils organisés ? 

 

[Asif Arif] Il y a environ 2.000 ahmadis en Algérie. Les Ahmadis ont tenté de faire valoir un statut associatif mais cela est très complexe, comme le rappelle d’ailleurs le Ministre aux affaires religieuses. Si une association ne peut pas être constituée, les Ahmadis ne peuvent pas s’organiser.

 

 

– Comment envisagez-vous la défense de ces fidèles qui sont interpellés et emprisonnés ? 

 

[Asif Arif] La défense des Ahmadis est précisée et organisée par mes Confrères d’Algérie, notamment Salah Debouz. Il s’agit de démontrer que dans les faits l’immatriculation de l’association était impossible en l’absence du décret et que les dons collectés ne peuvent pas recevoir la qualification d’illicite. Mais je laisse le soin aux avocats algériens de répondre à la question dans le respect de l’instruction et des affaires en cours.

 

 

– Dites-nous enfin quelle serait la solution pour que l’Ahmadiyya soit acceptée et tolérée dans un pays comme le notre ?

 

[Asif Arif] La solution se trouve déjà dans la Constitution algérienne : liberté de religion. Toute personne doit être libre de pratiquer sa foi. Une simple phrase démontre la solution. En revanche, il convient également de prévoir les conditions dans lesquelles les religions peuvent s’exercer notamment en faisant adopter la libre association également. Les deux principes vont ensemble.

 

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