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jeudi, avril 18, 2024

EXCLUSIF – L’Extraordinaire Histoire du Phosphate Algérien, Entre Corruption et Incompétences ! 1ère Partie.

Au début du mois de Mai 2020, le Président de la République, M. Abdelmadjid Tebboune avait souligné la nécessité de lancer l’exploitation des ressources minérales inexploitées en Algérie à ce jour. Le Ministre algérien de l’Industrie et des Mines, Ferhat Ait Ali Braham a depuis, annoncé la relance prochaine du mégaprojet intégré d’exploitation et de transformation du phosphate à l’Est du pays.

Ait Ali évoquait le projet intégré d’exploitation et de transformation du phosphate qui « va être relancé dans le plutôt possible » et qui s’étend sur cinq wilayas de l’Est du pays (Tébessa, Souk Ahras, El Tarf, Skikda et Annaba), qui en principe devra permettre à l’Algérie de se placer parmi les plus grands exportateurs d’engrais dans le monde.

Il faut dire qu’avec une réserve estimée à 2 milliards de tonnes, l’Algérie a les capacités d’être un des principaux producteurs de phosphates et d’engrais. Aussi, les autorités ont tout intérêt à développer cette filière en accordant une attention particulière à un certain nombre d’actions comme la valorisation des phosphates qui occupent une place de choix dans les richesses minières nationales et l’industrie des engrais, qui visent à développer des produits intermédiaires et des engrais composés.

Sauf qu’à aujourd’hui, le secteur du phosphate n’a jamais réellement décollé, et se retrouve même embourbé dans une crise dont la cause essentielle reste la mauvaise gestion de nos gouvernants et des responsables du secteur.

Annoncée en grande pompe, la signature, lundi 26 novembre 2018 à Tébessa, d’un accord de partenariat de 6 milliards de dollars entre l’Algérie et la Chine s’est avérée être un véritable fiasco.

Ce mémorandum d’entente liant la société Asmidal (filiale du groupe Sonatrach) qui détient 34% de ce complexe, le groupe Manadjim El Djazair (Manal) qui lui est propriétaire de 17% des parts, soit un total de 51% pour la partie algérienne, les 49% restants étaient détenus par un groupement chinois (le groupe Citic, le Fonds de la Route et de la soie, le Fonds sino-africain pour le développement ainsi que la société Wengfu, le bailleur de licence dont les missions étaient d’extraire, de transformer et de commercialiser le phosphate).

« Je représente dans cette cérémonie, le président de la République, Abdelaziz Bouteflika. Cette signature constitue une étape dans la concrétisation de ce projet qui engage 4 wilayas de l’Est du pays. Le projet intégré de transformation du phosphate est le premier grand et important projet industriel que lance l’Algérie depuis près d’une décennie et dont le rendement métamorphosera la région Est du pays et consolidera l’économie nationale » avait alors déclaré le Premier ministre Ouyahia.

Un discours surprenant de la part des hautes autorités de l’état complètement coupées des réalités, et que l’absence du groupe chinois Wengfu à la cérémonie aurait dû alerter quant au futur incertain de ce projet gigantesque, censé faire de l’Algérie un grand producteur d’engrais phosphatés et d’acide phosphorique…

Car l’industriel et bailleur de licence Wengfu représentait en fait la pièce essentielle du projet, étant donné qu’aucun des partenaires algériens et chinois ne maîtrisait les technologies spécifiques à l’industrie du phosphate.

Selon le PDG de la Sonatrach de l’époque « Wengfu a refusé d’investir dans le projet au-delà de leur seule technologie et ne souhaitait pas partager les risques ».

Une source proche de ce dossier avait déclaré évoquant l’absence de Wengfu à la cérémonie officielle de lancement du projet : « Ils ne voulaient pas cautionner, devant le Premier Ministre et les membres du gouvernement, la mise sur rail d’un projet qu’ils jugeaient peu viable et non-rentable. Wengfu, qui s’est lancé dans ce projet bien avant la Sonatrach et CITIC, n’a jamais été contre le fait d’investir. Mais à condition que le complexe soit moderne, rentable et permette de fabriquer des produits à haute valeur ajoutée. Ce n’est finalement pas le cas », indique cette même source…

Il faut dire que Wengfu avait proposé un plan qui s’appuyait sur un système de transport du minerai de phosphate par pipeline jusqu’au site de transformation, la mise en place d’un système d’extraction de l’iode et la production d’acides phosphoriques purifiées utilisées dans l’agroalimentaire et l’industrie automobile.

Wengfu, qui avait également opté pour un transport par rail, a vu sa proposition de production d’iode et d’acides purifiés rejetée par Sonatrach et CITIC… C’était trop parfait pour la partie algérienne.

A l’époque, le dossier de la transformation du phosphate était géré exclusivement par le ministère de l’Industrie et des mines (les mines étant par le passé sous la coupe du ministère de l’Energie).

Abdeslam Bouchouareb, alors à la tête de ce nouveau département, avait décidé de se concentrer sur le projet. C’est d’ailleurs lui qui avait ouvert les portes à l’indonésien Indorama, introduits en Algérie par le patron de Tell Group Yacine Bouhara, ex membre influent du Forum des Chefs d’Entreprises (FCE), pour le projet de réalisation du projet de complexe intégré de transformation de phosphate de Bled el Hedba.

Les premiers contacts entre Wengfu et le duo Manal-Asmidal ont eu lieu les derniers mois du règne chaotique de Bouchouareb, les responsables algériens et les responsables du secteur des mines se savaient incapables de lancer un projet réaliste de transformation du phosphate sans un professionnel. Wengfu aurait pu être le véritable sauveur.

Bien entendu, aucun des projets gérés par Bouchouareb n’a jamais vu le jour en Algérie, et indorama a été liquidée au profit des chinois de Citic, qui n’ont pourtant aucune expérience dans le phosphate.

  Le Ministre indien des transports et produits chimiques Mansukh L. Mandaviya avec le ministre de l’Industrie et des mines Abdessalem Bouchouareb à Alger en 2016.Photo by Vijay Kumar Joshi

Le but de leur réelle présence dans ce méga projet serait, nous dit-on, de simplement récupérer leurs avoirs bloqués en Algérie et ce en s’imposant dans la réalisation clé en main du projet de phosphate (EPC), car comme nous le disions plus haut, le dossier est adossé à un financement souverain étatique chinois garanti de 25 ans par l’Algérie…

Les chinois ont ainsi clairement verrouillé le projet espérant que les profits générés et les possibles surfacturations ultérieures sur les équipements les aideraient à récupérer leur dû.

Cela devrait interpeller les autorités algériennes, car l’urgence consisterait plutôt à identifier un nouveau bailleur de licence pour relancer le méga complexe de phosphate. Une mission qui est loin d’être aisée puisque le nouveau partenaire ne pourra être que nécessairement chinois, tant il est peu probable que les bailleurs de fonds, qui ne lâcheront certainement pas prise de sitôt, acceptent un groupe étranger…

C’est ce qui expliquerait d’ailleurs la reconduction du mémorandum pour une seconde période de deux années, accord signé par l’ex responsable du projet Mr Ferhat Ouanoughi, alors que le bon sens aurait voulu tout remettre à plat et repartir avec de nouveaux partenaires et un nouveau montage plus réaliste !

Et c’est justement là que réside toute la complexité dans la gestion de ce dossier. Le montage financier, le choix de la Chine, l’inexpérience dans le domaine du phosphate, la dilution des responsabilités entre la Sonatrach, ses deux partenaires et le ministère de l’Industrie et des mines, l’improvisation et la corruption… Voilà donc les véritables raisons qui jusque-là ont réduit à néant les ambitions de l’Algérie dans ce secteur porteur !

Ce volet corruption avait fait l’objet d’un scandale vite étouffé quand Wengfu s’était plaint en haut lieu du niveau de commissions demandées par des officiels algériens et étrangers.

En effet, les responsables du groupe chinois auraient indiqué à des sources diplomatiques que des intermédiaires tunisiens se disant proches de Faouzi Derbal, PDG de la société tunisienne Soremat, et d’autres en contact avec Louhichi Miloud, l’ex Directeur Général d’Asmidal et dont le beau-frère n’est autre que le général Mohamed Metlaoui, l’un des hauts responsables les plus influents du ministère de la Défense Nationale, ainsi que Ali Haddad et d’autres membres influents de la Issaba, auraient exigé d’être très grassement payés pour des services fictifs… Une véritable mafia !

Sonatrach, qui a hérité d’Asmidal en 2015, avait été désignée chef de file de la partie algérienne du consortium en charge du projet du phosphate. Pour les autorités politiques algériennes, seule la Sonatrach serait capable de mener à terme un projet aussi important et sa participation constituerait un gage de sérieux à même de rassurer les partenaires chinois.

Face à elle, CITIC a été chargée de financer- en grande partie- la réalisation du projet. Le géant chinois, qui a réalisé l’autoroute Est-ouest, a laissé en garantie plusieurs centaines de millions de dollars ces dernières années que les autorités algériennes ont exigé qu’ils soient transformés en investissement.

Au final, ce montage financier chinois va faire grimper le montant du projet de 4 Milliards de Dollars du temps des indonésiens d’Indorama à plus de 6 milliards avec les chinois… Une aberration en ces temps de disette !

Des pratiques si peu communes et si obscures qu’aucun des principaux partenaires mondiaux n’a voulu investir aux côtés de l’Algérie, ni les indiens de Gujarat fertilizer parmi les premiers importateurs de produits phosphatés ou le Groupe indien IFFCO, ni les russes de Phosagro, ni les Qataris de Qatar Petroleum International (QPI), ou encore les espagnols Ferteberia, ni les pakistanais Fatima group et bien sûr Wengfu…

  Cérémonie de signature d’accords commerciaux entre l’Algérie et l’Indonésie.     © APS 97/2016

Il faut savoir par ailleurs qu’aussi aberrant que cela puisse être, l’Algérie ne transforme pas son phosphate et le vend en l’état ! Somiphos, entreprise chargée de développer cette ressource, peine à exporter 1 million de tonnes annuellement.

Notons également une autre incongruité liée à ce secteur stratégique qui a laissé les responsables algériens du secteur opter étrangement pour une politique de contrats d’exclusivité signés avec un groupe restreint de traders. Une démarche qui reste incompréhensible et contreproductive pour sortir le pays de la dépendance…

Car cette situation ne profite au final qu’a un groupe restreint de « traders » tels Indagro, Getax, Rahimatullah qui avec l’aide de complicités internes ne sont guère obligés d’investir dans la filière, ni de pas de passer par des transformateurs.

Indagro est une entreprise privée d’engrais fondée en 1981. Elle compte quatre divisions principales de soutien commercial qui sont : un Conseil technique et agronomique, l’expédition et logistique, le financement du commerce et marketing et la distribution. Indagro s’approvisionne en engrais dans 32 pays et livre physiquement le produit brut à plus de 240 entreprises situées dans 54 pays.

Mais ça l’Algérie sait faire ! Alors dans ce cas pourquoi recourir à une compagnie qui n’amène aucune valeur ajoutée au pays ?

Les cadres du Ministère de l’Energie ou le Ministre de l’Industrie ont-ils réellement et préalablement cherché des partenariats dans le domaine industriel et une relation commerciale durable sur le plan commercial pour l’exportation du phosphate algérien vers les marchés européen, américain et asiatique ? Ou sommes-nous encore à palabrer et continuer sur les mêmes erreurs du passé ?

Car il s’agit cette fois d’engager une série d’investissements pour augmenter les capacités d’extraction de phosphate brut, l’enrichissement du phosphate, la production d’acide sulfurique, d’acide phosphorique et de DAP (diammonium phosphate), de nitrite (solution de base pour le NPK) et d’amonitrate. Ce qui correspond à un investissement de 1,5 et 2 milliards de dollars.

Sinon nous sommes condamnés qu’à enrichir les traders et subir leur diktat en termes de prix.

En effet, depuis plusieurs années, les prix de vente appliqués par les traders sont étrangement bas : une moyenne de 85 dollars la tonne pour les sociétés étrangères alors que les offres internationales concurrentes pouvaient atteindre les 150 dollars la tonne !

Au début de notre enquête, nous n’avons vraiment pas saisi pourquoi les responsables algériens du secteur préfèrent-ils recourir à des intermédiaires. Incompétence ou intérêts occultes ?

Ce que notre enquête nous a révélé est que l’explication viendrait de Charaf edinne Amara, l’actuel PDG de Madar Holding (ex-SNTA, Société nationale des tabacs et allumettes), qui a imposé cette politique douteuse alors qu’il était le directeur du développement à Ferphos, la société d’État d’extraction de phosphate, avant d’être nommé Président du conseil d’Administration de Somiphos…

Amara Charaf eddine rencontre avec des entreprises chinoises en Chine.

Cet homme de Bouchoureb avait été licencié par Farid Benhadji, ex PDG de Ferphos et du groupe Manal (Manadjim Aldjazaïr), avant de revenir en force, protégé par sa sœur qui été Présidente de la cour de Jijel et de Guelma, très proche de l’ex Ministre de la Justice Tayeb Belaiz, d’ailleurs promue par lui…

Charaf eddine Amara, qui est d’El Ouenza commune de Tébessa, a accédé en juillet 2019 à la présidence de la Société d’investissement hôtelière (SIH), dont Melzi était PDG jusqu’à son arrestation début mai pour « atteinte à l’économie nationale et espionnage économique ».

Pourtant Madar Holding ne détient que 8% de la SIH, à égalité avec les autres actionnaires, tous étatiques. Mais Amara a à son actif le très controversé transfert des activités de la SNTA à l’émirati Al Rashideen. Celui-ci s’était associé dès 2005 à la SNTA au sein de la STAEM pour fabriquer des Marlboro sous licence.

Amara aurait, selon plusieurs sources, ouvert une société off-shore en 2012 à Ras el Kheima aux Emirates arabe unis. Nous y reviendrons…

Si aujourd’hui aucune enquête le concernant n’a réellement abouti, c’est parce que Amara Charaf-Eddinne, qui roulerait en Audi avec gyrophares et habiterait la résidence d’Etat du club des pins, aurait, selon nos informations, réussi à faire bloquer toutes les enquêtes de la gendarmerie et présentées au parquet de Tebessa.

Tout comme il aura réussi à placer à maîtriser une bonne partie du secteur minier en y plaçant toutes les personnes en charge du secteur du phosphate.

L’unique personne qui lui tenait véritablement tête était Bakhouche Ahmed qui avait été DG de Somiphos. Charaf Eddine l’a éliminé de la scène et de quelle manière !

« Devenu un obstacle à la politique de l’argent facile et de la corruption généralisée, Bakhouche a été piégé dans une affaire de mœurs, filmé à son insu par une un jeune fille prénommée Sara qui l’a menacé de divulguer la vidéo. C’est ainsi que Bakhouche a été contraint de démissionner ! » nous déclare une source bien au fait de cette drôle d’affaire.

Voilà comment le secteur qui est censé libérer l’Algérie de sa dépendance vis-à-vis des hydrocarbures est mené…  Médiocrité, corruption et pratiques immorales.

Pourtant la situation aurait pu changer avec la désignation d’une nouvelle direction à la tête de l’entreprise publique Ferphos. En effet, l’année 2011 a vu arriver une nouvelle équipe à la tête de Somiphos qui a décidé de mettre un terme aux contrats d’exclusivité dont bénéficient ces sociétés de négoce.

Parmi les mesures que souhaitaient mettre en place la nouvelle équipe notons, l’équité de traitement de tous les clients, la signature du contrat à l’ouverture de la ligne de crédit et non plus lors du chargement, l’obligation aux partenaires d’investir dans la filière…

Car il faut savoir que les traders se contentaient de prendre la production algérienne au tarif le plus bas sans jamais investir un seul dollar.

Malheureusement la politique de transparence nouvellement prônée a été fatale pour les managers de Somiphos. Ils ont tous été remplacés à la fin du second semestre de l’année 2012… Si prévisible !

Et les affaires reprennent de plus belle pour les prédateurs en charge du secteur minier.

Au mois de mai 2013, en pleine période de mévente, une entreprise internationale de négoce basée à Londres avait proposé, en vain, d’acquérir du phosphate en proposant de payer 100 dollars la tonne pour la qualité 66/68/. Le phosphate avait été cédé à 96 dollars…

Des propositions d’achat de pouzzolane extrait de la mine de Béni-Saf avaient été formulées à Ferphos. Des analyses ont démontré que le produit était de bonne qualité marchande et intéressait plusieurs clients étrangers. Mais le groupe public a refusé de faire une cotation pour des quantités de 20 000 tonnes ou de 5 000 tonnes…

Pourquoi ? Vous le saurez dans la deuxième partie de cette extraordinaire enquête à paraître bientôt dans nos prochaines éditions.

Amir Youness

 

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