En Algérie, un autre scandale est en train d’ébranler discrètement le secteur des hydrocarbures. Mais, cette fois-ci, ce scandale concerne un secteur très discret dans les hydrocarbures. Il s’agit de la distribution et de la vente en gros des carburants. Un marché qui engage des centaines de millions de dollars par an en Algérie permettant l’enrichissement troublant d’une bande de milliardaires privés au vu et au su des autorités algériennes. Révélations.
Il faut, d’abord, savoir que la consommation globale des carburants a atteint 14,68 millions de tonnes (Mt) en 2017. Chaque année, elle enregistre des hausses importantes. L’Algérie produit du carburant, mais pas en quantité importante pour répondre aux besoins de sa population et de son parc automobile, le deuxième plus important parc sur le continent africain. Le parc automobile de l’Algérie a atteint 6 418 212 véhicules en 2018, une hausse de 4,15% par rapport à 2017, soit l’équivalent de 255 538 nouveaux véhicules. L’Algérie est donc contrainte depuis plusieurs années d’importer en devises des carburants pour ensuite les revendre à perte à ses consommateurs puisque le prix de l’essence ou gazoil importé depuis l’étranger n’est pas du tout celui qui est affiché à la station-service en Algérie.
Le prix des carburants est subventionné par l’Etat algérien dans le cadre de la politique des subventions sociales alloués aux transferts sociaux. En 2020, l’Algérie a consacré à ses transferts sociaux l’équivalent de 14 milliards de dollars. C’est dans ce budget que l’Etat puise les fonds nécessaires pour soutenir les prix des carburants même si des augmentations importantes ont été décidées depuis 2015/2016. Effectivement, malgré ses augmentations qui avoisinent les 100 %, les carburants en Algérie restent parmi les moins chers dans le monde.
Mais, pour ce faire, il faut financer leurs importations en Algérie. En 2017, la facture d’importation des carburants s’est chiffrée à près de 1,6 milliard de dollars (2,96 millions de tonnes de carburants importés) contre 1,35 milliard de dollars (3,06 millions de tonnes) en 2016. Cela représente donc une somme très considérable.
Maintenant, il faut savoir qu’en Algérie, il n’y a pas que l’opérateur public NAFTAL, filiale du groupe Sonatrach, qui est chargé de la commercialisation et distribution des carburants. En effet, les opérateurs qui interviennent dans la distribution de gros de ces carburants sur le marché national, isont au nombre de dix (10). Il s’agit bien sur de Naftal, mais également de neuf (9) opérateurs privés (Petrobaraka, Petroser, GBS, Petrogel, Galaoil, Alpetro, Hamdi Petrolium, Propal et Stpp). C’est donc un groupe très fermé d’opérateurs privés derrière lesquels nous retrouvons des oligarques puissants, mais totalement méconnus de l’opinion publique.
Les deux groupes privés les plus puissants de ce secteur sont Petrobaraka et Petrogel. Le premier est basé à Biskra et il est dirigé par le milliardaire FRADI ZERIBI qui possède également une minoterie à Biskra appelée la SARL Minoterie El Baraka. Petrobaraka réalise des revenus dépassant l’équivalent de 70 millions de dollars par an. Selon nos investigations, Zeribi entretient des liens très privilégiés avec l’entourage familial de l’ex-Chef d’Etat-major de l’ANP, Ahmed Gaid Salah. Ce qui explique sa fulgurante réussite et richesse ses dernières années.
Petrogel, le deuxième opérateur, est basé dans la wilaya de Batna. Les revenus de cet distributeur en gros des carburants dépassent l’équivalent de 32 millions de dollars par an. Algérie Part a publié récemment plusieurs révélations concernant les pratiques opaques et les relations troublantes du propriétaire de Petrogel.
Un autre média algérien, El Watan en l’occurence, a pu confirmer également ces informations en rapportant que « les services de sécurité ont agi suite à des informations émanant de Naftal faisant état de l’approvisionnement de bateaux étrangers en carburant subventionné dans les différents ports du pays ».
« Il n’y a pas de station-service à l’intérieur du port pour approvisionner les navires étrangers. L’opération s’effectue via les camions-citernes de Naftal avec un tarif réel applicable à l’international. La différence, c’est-à-dire la subvention, sera immédiatement versée au Trésor public. Est-ce que Petrogel obéit à la même pratique ? », s’interroge, d’ailleurs, un cadre de Naftal cité dans les colonnes d’El Watan. Et d’après la même source, « ce dossier est également entre les mains des douanes au niveau du port d’Annaba qui, actuellement, l’épluchent pour vérifier la présence des autorisations et la réglementation régissant cette activité sensible ».
Petrogel ne dit absolument rien sur ce scandale dans sa mise au point d’autant plus que l’affaire du port d’Annaba confirme officiellement les révélations faites par Algérie Part sur les pratiques occultes de Petrogel.
Le propriétaire de cette entreprise privée refuse également de s’expliquer sur les conditions dans lesquelles il a obtenu son agrément lui permettant de vendre du gasoil maritime aux navires étrangers et même du kérosène aux avions étrangers. Cet agrément a été obtenu au mois de mars 2019 lorsque l’Algérie était en pleine ébullition. A l’époque, Toufik Hakkar était vice-président à Sonatrach chargé du développement et de la commercialisation. C’est lui qui avait intervenu auprès du ministre de l’Energie, Mohamed Arkab, pour lui délivrer ce précieux agrément qui lui offre les mêmes privilèges que… Sonatrach !
Pourquoi de tels « indus avantages » ? En vérité, derrière Petrogel, il n’y a pas que Toufik Hakkar. Il y a, surtout, de gros bonnets de la hiérarchie militaire algérienne. De gros bonnets qui veulent profiter de l’immense manne financière de la vente en gros des carburants. Selon nos investigations, au cours de l’année 2019, Petrogel a vendu pour l’équivalent de 200 millions de dollars de carburant maritime aux navires étrangers. Combien de bénéfices ont été engrangés par la suite par Petrogel ? Cette société privée a-t-elle rapporté ses nouveaux gains dans ses bilans financiers ? Quelle a été la part du Trésor Public ? Et pourquoi avoir concédé ce marché à ce milliardaire privé sans aucune transparence ? Quel rôle pour l’Autorité de régulation des hydrocarbures (ARH) ?
Algérie Part poursuit ses investigations et révélera prochainement l’identité du véritable protecteur de Petrogel et les rouages de ce réseau affairiste qui prospère au détriment des subventions de l’Etat algérien accordé aux produits énergiques.