Depuis le départ, le régime algérien n’a pas reconnu la spontanéité ni la légitimité du mouvement populaire algérien du 22 février dernier. Le ministère de la Défense nationale et la Présidence de la République avait commandé des enquêtes dés le début du mois de février sur les appels circulant sur les réseaux sociaux en faveur de l’organisation de grandes marches populaires pour faire barrage au 5e mandat auquel était candidat Abdelaziz Bouteflika. Et pas moins de trois rapports confidentiels de sécurité ont été élaborés à la mi-février 2019 par les services secrets coordonnés par le général Bachir Tartag, la gendarmerie nationale commandée par Ghali Belkecir et la Direction Centrale de la Sécurité de l’Armée (DCSA) qui est placée directement sous l’égide du chef d’Etat-Major de l’ANP, Ahmed Gaid Salah.
Selon nos sources, les trois rapports sécuritaires accablaient les réseaux de l’ex-DRS du général Toufik, mis à la retraite à la fin de l’année 2015. Les trois rapports écartaient la thèse de la spontanéité de cette colère populaire qui allait enfanter les grandes manifestations des vendredis du Hirak algérien. Pour les services de Tartag, le cabinet du général Ghali Belkecir ou la DCSA de Gaid Salah, le « Hirak » était une opération montée par le général Toufik et ses réseaux dans l’optique de saboter le projet du 5e mandat auquel s’opposait vigoureusement le clan des anciens hauts gradés du DRS.
Les trois rapports ont atterri sur les bureaux de Said Bouteflika et Ahmed Gaid Salah. A quelques jours de la première grosse manifestation du vendredi 22 février, Bachir Tartag avait tenté de convaincre Said Bouteflika de placer le général Toufik en résidence surveillée pour empêcher son « influence sur les manifestations populaires ». Tartag était fermement convaincu que le général Toufik et ses anciens réseau alimentaient, voire manipulaient la colère populaire contre le 5e mandat. Cette thèse est restée longtemps bien enracinée dans les esprits des dirigeants algériens jusqu’à ce Said Bouteflika décide d’écarter définitivement cette option en renouant contact avec le général Toufik à la mi-mars 2019. Said Bouteflika n’a pas voulu accorder du crédit à cette « théorie de complot ». Le frère et conseiller d’Abdelaziz Bouteflika fait le choix de pactiser avec le général Toufik pour profiter de son expérience et son génie afin d’imaginer une sortie de crise. La suite, les Algériens la connaissent : Ahmed Gaid Salah mobilise son staff à l’Etat-Major et persuade ses collaborateurs que Said Bouteflika et le général Toufik préparent un « complot contre l’Etat » et « l’Autorité de l’Armée ».
Le 4 mai 2019, Said Bouteflika, le général Toufik et Bachir Tartag sont arrêtés par les services de la DCSA et seront placés en détention à la prison militaire de Blida. Le 25 septembre dernier, lors d’un procès expéditif et totalement opaque, les trois anciens puissants hauts responsables du régime algérien sont condamnés à 15 ans de prison ferme par le tribunal militaire de Blida pour « atteinte à l’autorité de l’armée » et « complot contre l’autorité de l’État ».