À l’heure actuelle, l’action territoriale des politiques publiques en Algérie demeure caractérisée par une forte intervention de l’État et ce, malgré les différentes réformes entreprises en matière de déconcentration et décentralisation appuyées par une refonte du découpage administratif (1963, 1974, 1984, 2015) et accompagnées par la mise en place promulgation d’un nouveau cadre juridique (les codes de la commune de 1967, 1990 et 2011 et la loi relative à l’aménagement et l’urbanisme de 1990) procurant aux collectivités locales des missions territoriales importantes.
Mais dans les faits, ce transfert du pouvoir vers le local ne se limite qu’à quelques prorogatifs étant donné que les collectivités locales ne contrôlent pas la fiscalité et dépendent des subventions de l’État pour assurer leur fonctionnement. Ces réformes territoriales ont servi à renforcer la présence de l’État en consolidant son réseau institutionnel comme elles ont servi à orienter les actions publiques à l’échelle locale (équipements, routes, eau…). Elles ont contribué à la recomposition territoriale et ont permis de normaliser le local selon une vision du centre en procurant quelques marges de manœuvres aux autorités locales sous le contrôle de l’administration.
La question de la décentralisation – déconcentration dont le processus a commencé dans les pays du Maghreb dans les années 1970, évoque aussi celle de la gouvernance territoriale et du rôle de nouveaux acteurs qui ont émergé suite à la mise en place de cette nouvelle organisation territoriale.
Dans le Sud algérien, la question de promouvoir des pouvoirs locaux n’a jamais été envisageable par l’État pour des raisons stratégiques et géopolitiques car il s’agit de territoires fragiles avec une géographie et une histoire particulièrement sensible. Bien au contraire, l’État accentue sa présence depuis les années 2000 pour marquer sa souveraineté et réinvestit ces espaces dans une perspective de désenclavement et d’intégration (Kouzmine, Fontaine, Yousfi, Otmane, 2009, p. 681 ; Fontaine, 2005, p. 439).
Ce choix se justifie par rapport à un contexte international particulier à la région du Sahara et du Maghreb où l’insécurité et l’instabilité menacent ces territoires fragilisés. D’abord, l’instabilité politique des pays voisins comme le Mali où la révolte des Touareg risque de déclencher un mouvement de solidarité des Touareg algériens. Secundo, le conflit du Sahara Occidental et le problème du tracé frontalier avec le Maroc créent des espaces flous, auxquels s’ajoute la forte présence des zaouïas marocaines notamment celle de Ouazzane (la Taïbia dans le Sud-Ouest).
Tertio, la montée des réseaux terroristes et des réseaux mafieux impliqués dans le trafic d’armes et de stupéfiants, qui constituent la nouvelle menace sécuritaire à laquelle se trouvent confrontés tous les pays de la région et les puissances internationales comme la France et les États-Unis d’Amérique. Enfin, l’immigration clandestine, de transit (orientée vers l’Europe) ou définitive, draine des milliers d’Africains chaque année dans cet espace. Il faut rappeler aussi que ces territoires étaient séparés administrativement du Nord de l’Algérie durant la colonisation jusqu’à 1958 (départementalisation du Sahara) et ont constitué un enjeu majeur dans les négociations de l’indépendance de l’Algérie entre le Front de Libération National (FLN) et la France. C’est dans ce contexte particulier qu’est menée l’action publique dans ces territoires.
Pour accompagner ses actions, l’État a intégré dans ces dix dernières années de nouveaux concepts dans son discours officiel comme ceux de la bonne gouvernance et de la participation citoyenne qui renvoient à l’intégration des acteurs locaux dans le processus de la prise de décision. Ce recentrage du discours politique vers le local est imposé par la pression des populations locales revendicatrices d’une redistribution plus équitable de la richesse nationale et d’une participation dans la prise de décision, et parallèlement par des institutions financières internationales.
Un nouveau découpage administratif (wilayas déléguées) a vu le jour en 2015, pour ne concerner, au départ, que les territoires sahariens, quelques années après la promulgation d’un nouveau code de la commune (2011). Dans ce long processus de construction et de recomposition territoriales des espaces sahariens, de nouveaux acteurs de prise de décision sont apparus : collectivités locales, représentants de l’administration, nouveaux groupes sociaux, société civile ; d’autres ont été mis en quarantaine sans qu’ils soient forcément dissous : les institutions traditionnelles telles que les confréries religieuses et les djemaas.
Ce jeu de redistribution de pouvoir se heurte souvent à l’organisation traditionnelle de la société locale au Sud algérien, ce qui suscite une certaine opacité. Quels sont les acteurs territoriaux identifiables ? Quels rôles jouent-ils pour accompagner l’action publique de l’État ? Quel est le devenir et le rôle des anciennes notabilités locales ?
Pour répondre à nos interrogations formulées ci-dessus, nous nous sommes appuyés sur des recherches ayant traité la thématique de la construction des territoires sahariens et de l’action publique depuis la colonisation jusqu’à nos jours. Une lecture du cadre juridique portant sur l’organisation territoriale en Algérie a été effectuée. Ceci a été complété par un travail de terrain qui a concerné la région du Sud-Ouest. Plusieurs entretiens ont été menés auprès d’élus locaux, de responsables administratifs, de notables locaux, de bureaux d’étude et d’habitants.
Ce texte a été extrait d’une étude menée par Badreddine Yousfi, enseignant à l’Université d’Oran et Chercheur associé au CRASC, et publiée initialement par la revue universitaire l’Année du Maghreb