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lundi, septembre 25, 2023

Enquête. Dans la tête de ces femmes Algériennes qui restent longtemps célibataires

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Le célibat des femmes est un phénomène qui  a explosé ces dernières années en Algérie. Et les statistiques le démontrent. Mais comment ces femmes algériennes envisagent-elles leu avenir ? Veulent-elles réellement s’affranchir du modèle familial traditionnel algérien ? A quoi aspirent ces algériennes ? Et quelles sont les véritables raisons de leur célibat ?  Feriel Abbas, socio-anthropologue, chercheur au Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle (Crasc) basé à Oran, a mené une précieuse enquête de terrain pour tenter de trouver des réponses à toutes ces questions. Algériepart a obtenu cette enquête et vous propose de la consulter pour comprendre les évolutions complexes de notre société. 

Notre étude traite un  phénomène social qui affecte de plus en plus les femmes algériennes qui est le célibat féminin. Ce choix de vie voulu ou non est attesté par les derniers recensements de population. On est passé de 31,5% de femmes célibataires en 1987 à 41,6% en 2008, et de 45,2% d’hommes célibataires à 51,1%. Si nous prenons par exemple la tranche d’âge de 25 à 29 ans, la part des femmes célibataires est passée de 45,3% en 1998 à 51,6% en 2008, soit un accroissement de 6 points en 10 ans. Pour la tranche d’âge 30 à 34 ans, la proportion des femmes s’est accrue de 12 point en passant de 22,4 à 34,7%.

Concernant les hommes, la proportion des célibataires pour la tranche d’âge 25 à 29 est passée de 77,7% en 1998 à 82,4% en 2008, soit un accroissement de 5 points en 10 ans. Et de 37,9% à 50,0% pour la tranche d’âge 30 à 34 ans

La comparaison des données de 2008 à celles de 1998 nous révèle que le phénomène du célibat connait une étendue remarquable pour les deux sexes.

Et c’est ce qui contribue à bouleverser l’une des institutions à l’origine de la fondation de la famille, c’est-à-dire le mariage.

De fait, l’augmentation de la part des célibataires, pour les deux sexes, s’est accompagnée d’une baisse de la part des mariées, ainsi on passe de 62,3% de femmes mariées en 1977 à 49,4% en 2008. Et de 60,7% d’hommes mariés en 1977 à 47,9% en 2008.

La prise en compte des données statistiques révèle une tendance réelle qui semble indiquer que le célibat s’installe dans une phase de longue durée « Pour le groupe d’âge 35 à 39 ans, on observe une même proportion des célibataires. Elle est de 24,3% chez les hommes et 23,3% chez les femmes ».

L’évolution du célibat s’avère remarquable. Il ne s’agit pas d’une mode passagère mais d’un véritable phénomène de société. Il s’étend du nord vers le sud et des villes vers les campagnes.

Le célibat peut traduire une difficulté pour établir une relation dans la durée, une difficulté pour constituer un couple conjugal, et lui donner une place dans la famille. Il peut être aussi révélateur de l’évolution des comportements matrimoniaux, car il ne faut pas oublier que les chiffres données par l’Office National des statistiques (ONS) et les institutions publiques concernant les proportions des célibataires sont strictement statistiques, c’est-à-dire sont considérés comme célibataires tout ceux et celles qui ne sont pas passés devant le maire et n’ont pas donc inscrit leur mariage à l’Etat civil.

En plus des changements dans les conditions d’entrée dans le mariage, on observe une évolution majeure dans les modalités et dans le processus de formation du couple dans la société. Les couples commencent à se former bien avant la contraction du mariage, et « le mariage n’est plus l’acte fondateur du couple ».

Il est important de signaler qu’en général être célibataire dans la société, c’est-à-dire non marié, est synonyme d’une absence de relations amoureuses et forcément d’une vie de couple. On ne tient pas compte généralement de leurs éventuelles liaisons amoureuses ou sexuelles, qu’elles soient durables ou non mais dans la réalité, le célibat peut recouvrir plusieurs situations, soit vivre seul, on n’ayant aucune relation, ou entretenir une relation ou vivant seul, ou encore entretenir une relation de couple et vivre avec son partenaire.

C’est pourquoi il convient de cerner la question des modalités qui président au choix conjugal, à déterminer les principaux facteurs qui agissent sur les décisions des jeunes gens. En d’autres termes, l’analyse des processus mis en jeu dans la formation du couple est à prendre en compte.

Ces changements nous obligent à nous interroger sur la notion même de couple. Dans ce travail, nous allons tenter de répondre aux questions suivantes :

Pourquoi les jeunes tardent à se marier ? Est-ce qu’ils refusent le mariage ? Quelle image du mariage et du couple ont les célibataires ? Comment le couple est pensé ou encore imaginé aujourd’hui ?

Méthodologie

Cette étude réalisée auprès des célibataires a privilégié une approche qualitative menée dans la région constantinoise. Les données ont été recueillies grâce à des entretiens semi directifs, auprès de vingt femmes et trois hommes, tous célibataires. Le recrutement de la population générale est effectué selon la méthode dite de la « boule de neige», à partir de plusieurs réseaux de connaissances.

Outils de recherche

L’entretien semi-directif, outil central utilisé dans cette étude, a visé à cerner le parcours familial, personnel et professionnel de l’individu, sa biographie affective et sexuelle, sa perception du mariage et du couple. Les entretiens ont été réalisés à partir d’un guide. Celui-ci comporte plusieurs itemes dont la définition du couple, du mariage, du célibat, les causes du célibat, les représentations de la vie du couple, la sexualité et les relations amoureuses.

De même que des discussions rassemblant un nombre restreint d’individus ont pu être réalisées, et les uns et les autres ont fait part de leurs expériences personnelles[6]

J’ai également utilisé l’observation dans des espaces privés et des lieux de sociabilité (fêtes familiales, Hammam, sites de rencontres sur Internet, cyber café, associations,…), afin de combler les lacunes de l’entretien sur des questions qui n’ont pas donné lieu à des réponses précises.

L’enquête de terrain 

La question du célibat n’a pas toujours été facile à aborder à cause de la délicatesse du sujet. J’ai eu des difficultés à entrer en contact avec des hommes célibataires, je n’ai  pu   contacter  que trois. En effet, j’ai essuyé  plusieurs refus de la part d’hommes et de femmes que j’ai sollicités pour me mettre en contact avec un membre de leur famille ou de leur entourage.

Parmi les difficultés que j’ai  rencontré, la difficulté de trouver un lieu convenable pour le bon déroulement de l’entretien. Pour certaines qui habitent la périphérie, il m’a été difficile de les rencontrer, elles ne pouvaient pas se déplacer à Constantine et n’acceptaient pas de me recevoir chez elles dans leur domicile.

Il faut noter également que j’ai eu plus de facilité à obtenir l’accord des femmes ayant un niveau universitaire (enseignantes, diplômées..,). Par contre, avec celles qui ont un niveau d’étude primaire ou moyen, le contact a été limité à deux jeunes femmes, habitant la ville de Constantine.

En général, les femmes sollicitées ont répondu de manière positive à ma demande. Certaines des enquêtées ont manifesté un besoin de parler, de partager leur histoire, d’autres étaient un peu réticentes au début et toute la difficulté était de les amener peu à peu à parler de leur situation de célibataire ouvertement.

Présentation des résultats

1. Célibat et représentation du conjoint idéal

Il semble que le célibat est le résultat de plusieurs facteurs, c’est ce qui est ressorti des entretiens du travail de terrain.

– c’est d’abord le manque de prétendants qui est invoqué. Nassima (37ans, 3ème As, Dirigeante d’une Pme, Constantine) et Sihem (43 ans, 3ème As, secrétaire, Constantine), Amel (37ans, Magister, Khroub) et Samia (40 ans, Ingénieur, Didouche Mourad) ont signalé avoir reçu plusieurs demandes en mariage (quatre pour Amel et trois pour Samia), mais que le prétendant ne correspondait pas à leurs attentes.

En revanche Nassima et Sihem, elles ont en fait la connaissance de jeunes gens et la relation a été vite rompue car elles furent déçues. Or sur la question de savoir les raisons de la déception, Sihem réponda qu’elle se faisait une autre idée de la relation hommes/femmes et sur le couple qui est plus proche de la modernité :

*Par exemple, elle refuse qu’il ait son mot à dire dans le choix de sa tenue vestimentaire, alors qu’elle s’habille à l’occidentale.

*Le contrôle de ses va et vient, c’est-à-dire de ses sorties, le contrôle de ses fréquentations (immixtions dans le réseau des relations amicales ou les relations de voisinage).

*Le refus de partager ensemble et d’échanger des points de vue sur un film, ou un livre… la conversation se résume exclusivement en une série d’ordres et d’interdits.

Dans ce cas précis, la relation entre Sihem et son prétendant est une longue liste de choses à faire et à ne pas faire. C’est une sorte de code de conduite qui est proposé et qui à fait l’objet d’un rejet de la part de la jeune femme qui, apparemment, envisage la relation de couple autrement, c’est-à-dire dans la communication et le partage de points de vues.

Ce cas laisse apparaitre une tendance à l’affirmation de soi par les femmes, elles se placent comme individu apte à choisir son partenaire en fonction d’un certain nombre de critères.

Les femmes, de plus en plus conscientes des relations de domination (subordination), ont une forte aspiration à vivre en harmonie une relation de couple, c’est-à-dire forte aspiration à l’égalité :

– Les déceptions amoureuses sont parmi les causes avancées par les femmes interrogées. Elles disent que les hommes ne sont pas dignes de confiance, qu’ils manquent de sérieux dans les relations amoureuses et n’ont pas le sens des responsabilités. Par ailleurs, elles redoutent la perspective du divorce, d’autant plus que les échecs conjugaux observés dans leur entourage sont nombreux : les mariages sont souvent rompus rapidement au bout de quelques mois de vie conjugale.

-Beaucoup d’enquêtées mentionnent la question de différence entre la mentalité عقلية des hommes et des femmes, elles se plaignent « de la mentalité des hommes algériens », affirmant que les femmes sont plus émancipées, modernes et plus progressistes, tandis que les hommes sont opportunistes et plus conservateurs.

– Certaines présentent le célibat comme un choix. Elles disent avoir choisi délibérément de ne pas se marier. Elles ont préféré une carrière, l’émancipation et la liberté. Mais leur discours est ambivalent. En effet, elles donnent d’un côté l’impression d’avoir pris leur décision suite à une réflexion, comme s’il s’agit d’un véritable choix conscient. D’un autre côté, elles ne refusent pas le mariage pour autant, et disent qu’elles ont du mal à rencontrer celui qui leur convient. Elles affirment que les opportunités de faire des rencontres sont très limitées.

Les femmes semblent en quête d’un conjoint idéal : quelles représentations ont-elles alors de lui?

1.1. Le conjoint idéal 

Les femmes enquêtées ont mit l’accent sur les qualités morales à savoir les principes, la morale, la religion dans la recherche du conjoint idéal. Elles ont souligné la nécessité de trouver un conjoint avec lequel elles s’entendent bien, un partenaire qui les comprennent, intelligent et bien éduqué, et surtout de bonne famille Oueld nassOueld familia comme on ditولد ناس، ولد فاميليا,

La question de l’aspect physique ne semble pas constituer un critère important pour le choix du futur conjoint pour les femmes.

Alors que les trois hommes interrogés attribuent aux qualités physiques de leur future épouse une place essentielle, ils ont insisté aussi sur le fait que leur future épouse doit être de bonne famille.

Je leur avais demandé que signifie un fils ou fille d’une bonne famille, ou qu’entendent-ils par une bonne famille ?

Bien que la réponse n’était pas facile à déterminer, une bonne famille, pour les enquêtées, c’est d’abord une famille dont ses origines sont bien connues (أصلهم معروف) et se distingue par la bonne réputation dont jouissent tous ses membres qui doivent être bien éduqués, honnêtes et respectueux. Elle ne doit pas être forcément riche mais dispose d’un réseau de parenté et de connaissances sur qui elle peut compter (sur qui ses membres peuvent compter) jouir d’une estime sociale et d’un respect dans son entourage.

L’âge et le niveau d’étude représentent deux facteurs essentiels dans le choix du conjoint selon les enquêtées, les partenaires doivent avoir presque le même âge, le même niveau d’étude

1.2. L’âge : l’homme doit être plus âgé que sa femme

Les enquêtées semblent ne pas être favorable à un écart d’âge important entre les conjoints, ce dernier ne doit pas dépasser les dix ans, l’idéal est de 03 à 05 ans de différence, toutefois c’est un facteur qui reste en faveur des hommes, c’est-à-dire que c’est l’homme qui doit être plus âgé que sa partenaire. Pour expliquer cela, les femmes disent qu’elles préfèrent un homme mûr et sage.

Elles expliquent cette préférence aussi par le facteur biologique, la femme vieillit plus vite que l’homme, elles ne veulent pas prendre le risque d’être rejetées par leur partenaire au bout d’un certain temps.

Cependant, « s’il n’y a aucune règle qui exclut les hommes du marché matrimonial à cause de leur âge et s’il n’existe pas d’âge au mariage strictement prescrit pour eux au contraire pour les  femmes, n’importe quelle période du cycle de la vie n’est pas propice au choix du conjoint ». Les femmes ont donc un âge-anti matrimonial selon l’expression  de François de Singly, le moment du mariage est circonscrit dans des limites d’âges précises, leur présence sur le marché matrimonial est liée à leur capacité d’être féconde, car il ne faut pas oublier que la finalité du mariage dans la société est la procréation même pour celles et ceux qui aspirent à construire un couple moderne. Cet aspect est révélé aussi par la question concernant le mariage sans désir d’enfants, à laquelle une grande majorité s’est montrée défavorable, l’enfantement est un des buts même du mariage selon eux.

1.3. Le niveau d’instruction

La majorité des enquêtées préfèrent que les deux partenaires aient le même niveau d’étude, sinon il vaut mieux que l’homme détienne un niveau d’instruction plus élevé pour qu’il n’y ait pas un déséquilibre dans le couple après. Trop d’écart social ou intellectuel entre les deux peut mener à des difficultés dans le couple et risque de le déstabiliser.

Il faut dire que les hommes aussi apprécient moins une femme plus diplômée qu’eux. Elles sont considérées comme un danger pour le bon fonctionnement du couple mais surtout pour leur autorité et pouvoir dans la gestion des affaires qui concernent la famille.

Beaucoup de femmes interrogées font la différence dans leurs propos entre le niveau d’étude et le niveau culturel, elles disent qu’un homme peut bien être cultivé même s’il n’est pas diplômé, d’ailleurs certaines préfèrent la culture au diplôme. Comme si les femmes diplômées essaient de ne pas vexer leur partenaire. en fait elles sont conscientes que leur niveau d’études élevé pose problème, elles savent qu’elles ont acquis une certaine autonomie et que  « sur le marché du mariage elles sont moins souvent élues par les hommes car elles menacent la paix intérieure des ménages. Plus souvent salariées, elles contrarieraient la nécessaire division du travail entre les conjoints, et leurs ressources leur donnent des armes pour « tenir tête ̋ au chef ».

La femme diplômée ou intellectuelle fait craindre l’homme qu’il soit diplômé ou non, il a peur de perdre son pouvoir comme le dit De Singly : « elle l’intimide et atteint son identité sexuelle […] elle fait peur en tant qu’intellectuelle ».

Nous constatons à travers ces deux éléments qui balancent en faveur de l’homme que le choix du conjoint a tendance à se faire d’une façon assez traditionnelle. C’est l’homme qui doit être le chef de famille et donc il doit être supérieur.

Il faut dire aussi que les filles sont élevées dans l’attente d’un mari : « trouver le prince charmant, l’homme parfait qui nous comprenne mieux que nous- mêmes […] fait encore figure d’idéale pour nombre d’entres elles ».

Ces indicateurs sont révélateurs de rapports sociaux de genre,
et soulèvent la question du pouvoir dans la société. Ils montrent que l’image du couple garde certaines valeurs traditionnelles malgré que les jeunes essayent de construire un couple plus moderne reflété part le changement de l’image du rôle que jouent les partenaires à l’intérieur du couple. Les femmes veulent que leur futur conjoint les aide et partage les tâches ménagères avec elles.

Cette image traditionnelle est renforcée aussi par l’aspect financier bien que la majorité des enquêtées disent qu’elles acceptent de partager les charges domestiques avec le futur conjoint et trouve naturel d’ailleurs un couple non traditionnel doit s’entraider, « le couple se pense dans l’accomplissement mutuel de l’homme et de la femme», elles y mettent quelques restrictions, le qualificatif d’Homme radjel ne peut être appliqué à un homme qui accepte d’être pris en charge financièrement par sa femme.

Les jeunes semblent donc tiraillés, leur idéal est loin d’être aussi simple, ils sont ballottés entre valeurs traditionnelles et aspirations modernes.

 

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