L’expression « Dutch disease » ou « syndrome hollandais » est apparue au cours des années 70 et fait référence aux difficultés rencontrées par l’économie hollandaise suite à la mise en exploitation, dans les années 60, des réserves de gaz naturel du gisement de Slochteren.
Après la hausse des prix du pétrole du début des années 70, l’économie hollandaise s’est trouvée confrontée à un étrange phénomène: la production industrielle n’a pas augmenté depuis 1974 et l’investissement brut privé a chuté en dessous de 15%. La part des profits des secteurs non gaziers dans le revenu national, qui avait atteint le seuil de 16%
en moyenne par an entre 1965 et 1970, ne s’élève plus qu’à 3.5% en moyenne par an au
cours des cinq années qui ont suivi le choc pétrolier. Le taux de chômage, qui était de
1.1% en 1970, est passé à 5.1% en 1977 tandis que l’emploi, dans le secteur manufacturier a chuté de 16% entre 1970 et 1977. Cependant, sur le plan extérieur, le pays enregistre de bonnes performances.
Ce contraste entre, d’une part, une conjoncture économique interne plutôt récessionniste et, d’autre part, des comptes extérieurs excédentaires, est révélateur des symptômes de ce que la revue anglaise « The economist » appela « Dutch Disease ».
Le même phénomène est par ailleurs observé en Australie où un développement du secteur minier s’était accompagné d’un déclin relatif de l’industrie manufacturière. Les nouvelles hausses des prix du pétrole survenues en 1979-1980 allaient permettre un nouveau regain d’intérêt pour le phénomène du syndrome hollandais. Plusieurs modèles ont été élaborés à partir des années 80 et ont pour but d’expliquer les effets pervers survenus dans l’économie de certains pays en développement ayant bénéficié de la hausse des prix du
pétrole.
L’économie algérienne se reconnaît-elle dans « le syndrome hollandais » ?
A cette question, que nombre d’auteurs se sont posés, de manière récurrente pour certains, la réponse n’est cependant pas simple. La raison, comme nous le verrons, en est que, « morphologiquement », l’économie algérienne présente tous les symptômes du syndrome, mais pas ses mécanismes. Ainsi, pour Y. Benabdellah (2006), l’économie algérienne présente, ces dernières années, une configuration sectorielle de plus en plus conforme à celle qui est décrite par la théorie du dutch disease.
En effet, cette configuration, dont on a déjà présenté les traits caractéristiques dans le
chapitre précédent, est marquée par :
– Une croissance vigoureuse du secteur minier (hydrocarbures) ; celui-ci ayant mobilisé des investissements de l’ordre de 21 milliards de $ entre 2000 et 2005, de 32 milliards de $ entre 2005 et 2009 ;
– Une croissance appréciable dans le secteur des biens « non échangeables »,
notamment dans le BTP et les services marchands ;
– Un déclin du secteur industriel (secteur des biens échangeables), notamment public. Selon l’auteur, la libéralisation des prix, l’ouverture du commerce extérieur et la convertibilité courante du dinar ont contribué conjointement à faire émerger une configuration qui tend, sans toutefois les atteindre, vers les hypothèses du modèle du dutch disease.
D’où la question, légitime, de savoir si l’émergence d’une telle configuration est le
signe que le syndrome a opéré. Autrement dit, il s’agit, en l’occurrence, de savoir si le boom pétrolier survenu depuis 1999 n’a pas induit d’effet de dutch disease dans le cas de l’Algérie. A ce stade de l’analyse, il nous semble opportun de faire passer la réponse à la question par l’examen de l’évolution du taux de change effectif réel (TCER), seul canal d’action du dutch disease.
Selon des statistiques émanant du FMI (voir tableau ci-dessous), il semble que l’on ne
puisse, manifestement, parler de dutch disease puisque le taux de change effectif réel a suivi, durant cette période de boom, une tendance à la baisse alors même que les termes de l’échange n’ont cessé de croître.
Entre 1999 et 2006, le TCER s’est déprécié d’environ 20 % alors que les termes de l’échange ont augmenté. Il n’y a donc, à l’évidence, pas de relation entre l’évolution des termes de l’échange et celle du taux de change réel.
Une telle situation (paradoxale) s’explique par le fait que le TCER ne constitue pas, dans la pratique, un élément déterminant la politique de change. Cette dernière se traduit, par
ailleurs, par une accumulation sans précédent des avoirs extérieurs bruts (réserves de change) à la Banque centrale.
S’il en est donc ainsi, c’est parce qu’un facteur d’ordre institutionnel, en l’occurrence
la politique de change, a agi pour contrecarrer le scénario auquel nous aurions certainement assisté si l’on était en présence d’une situation où la détermination du taux de change était laissée au libre jeu des forces du marché.
Le désindustrialisation pour conséquence…
Ceci nous amène à considérer la dimension institutionnelle du problème de la désindustrialisation à laquelle nous assistons dans la majeure partie des pays à régime rentier en général et en Algérie en particulier.
Un tel constat statistique nous dispense par ailleurs de trop nous attarder sur la
question de savoir si le boom des années 2000 a un quelconque effet sur le secteur
manufacturier (dont on sait que la productivité est pour le moins médiocre), en empêchant
que les sources d’accumulation à long terme n’y apparaissent : l’examen de la structure
sectorielle de la croissance a montré en effet que celle-ci est essentiellement l’œuvre du
secteur en boom.De ce point de vue, la théorie de la régulation, à laquelle nous nous référerons dans la suite pour identifier les institutions fondamentales du régime rentier d’accumulation, offre une grille de lecture plus intéressante. D’abord parce qu’elle permet de fournir des éléments d’explication pertinents sur la trajectoire prise par l’histoire de l’industrialisation en Algérie, des débuts jusqu’à nos jours ; ensuite parce que, par rapport à la théorie dominante du dutch disease, l’approche par la régulation présente l’avantage d’avoir une portée plus générale.
Il est aisé de remarquer en effet que le phénomène du syndrome hollandais correspond en fait à une configuration particulière de la combinaison institutionnelle d’ensemble, particularité qui se lit notamment au niveau du mode d’insertion internationale (à travers notamment le degré d’ouverture et le régime des changes).
Concernant le premier aspect, il semble bien que seul le facteur institutionnel est à même d’expliquer la trajectoire prise par l’industrialisation durant les années 70. L’industrie a connu, durant cette phase que nous qualifions de « volontariste-étatiste » en référence à la configuration institutionnelle d’ensemble marquée par la prédominance de la volonté « subjective » de l’Etat dans la conduite du processus d’accumulation, une formidable croissance, qui, du point de vue de la théorie du dutch disease, semblerait paradoxale lorsque l’on sait que c’est le boom du secteur des hydrocarbures qui a rendu cela possible.
L’industrialisation du pays, entendue ici dans son sens morphologique, fut entreprise dans un contexte très éloigné des hypothèses du modèle du dutch disease puisque, comme le souligne à juste titre Y. Benabdellah (2005), la distinction habituellement opérée entre biens échangeables et non échangeables et sur laquelle est bâtie toute la structure du modèle, n’a aucune signification dans une économie où l’Etat détient le monopole absolu sur l’activité intérieure et sur le commerce extérieur.
Quant au second aspect, à savoir la portée plus générale de l’approche en termes de
régulation, il est clair que le caractère spécifique de la configuration institutionnelle à laquelle renvoie implicitement le modèle du dutch disease, à savoir une petite économie ouverte, non-contrôlée , insérée, par l’industrie, dans la DIT…, ne permet pas d’envisager, dans le cadre du modèle, des situations différentes, dont les configurations peuvent être multiples.
En identifiant clairement un ensemble de formes institutionnelles à partir desquelles une
typologie des situations concrètes peut être construite, l’approche en termes de régulation
offre une grille de lecture qui permet d’intégrer la diversité des situations dans l’explication une configuration particulière de la combinaison institutionnelle d’ensemble, particularité qui se lit notamment au niveau du mode d’insertion internationale (à travers notamment le degré d’ouverture et le régime des changes).
Concernant le premier aspect, il semble bien que seul le facteur institutionnel est à même d’expliquer la trajectoire prise par l’industrialisation durant les années 70. L’industrie a connu, durant cette phase que nous qualifions de « volontariste-étatiste » en référence à la configuration institutionnelle d’ensemble marquée par la prédominance de la volonté « subjective » de l’Etat dans la conduite du processus d’accumulation, une formidable croissance, qui, du point de vue de la théorie du dutch disease, semblerait paradoxale lorsque l’on sait que c’est le boom du secteur des hydrocarbures qui a rendu
cela possible.
L’industrialisation du pays, entendue ici dans son sens morphologique, fut entreprise dans un contexte très éloigné des hypothèses du modèle du dutch disease puisque, comme le souligne à juste titre Y. Benabdellah (2005), la distinction habituellement opérée entre biens échangeables et non échangeables et sur laquelle est bâtie toute la structure du modèle, n’a aucune signification dans une économie où l’Etat détient le monopole absolu sur l’activité intérieure et sur le commerce extérieur.
Quant au second aspect, à savoir la portée plus générale de l’approche en termes de
régulation, il est clair que le caractère spécifique de la configuration institutionnelle à laquelle renvoie implicitement le modèle du dutch disease, à savoir une petite économie ouverte, non contrôlée, insérée, par l’industrie, dans la DIT…, ne permet pas d’envisager, dans le cadre du modèle, des situations différentes, dont les configurations peuvent être multiples.
En identifiant clairement un ensemble de formes institutionnelles à partir desquelles une
typologie des situations concrètes peut être construite, l’approche en termes de régulation
offre une grille de lecture qui permet d’intégrer la diversité des situations dans l’explication. Il y a lieu de remarquer à cet égard que, bien que d’obédience néo-classique, la théorie
du dutch disease n’en préconise pas moins une stérilisation, mesure qui nécessite une
intervention de l’Etat, d’une partie des ressources du boom pour endiguer la menace de la
désindustrialisation.
De ce point de vue, il semble manifestement que les nouvelles configurations institutionnelles qui se sont mises en place en Algérie ces dernières années se caractérisent par une incohérence dans la mesure où, au moment où certaines d’entre elles tendent effectivement à contenir le phénomène décrit par le modèle (manipulation du taux de
change nominal de manière à stabiliser le TCER, placement à l’étranger d’une partie des
surplus pétroliers), d’autres, au contraire, tendent à le libérer (ouverture extérieure,
démantèlement tarifaire, …)
Par Samir Bellal, Université Lumière – Lyon II