Cette population saharienne, largement urbanisée, est dans son ensemble plus jeune mais moins active qu’à l’échelle nationale. Ce double constat participe à nourrir des frustrations croissantes en matière d’intégration économique, notamment dans les territoires qui génèrent, du fait de leurs ressources, la manne financière sur laquelle repose le budget de l’État algérien.
L’analyse démographique des strates par âges de 2008 fait apparaître une population globalement plus jeune au Sahara que dans le Nord algérien.
De 0 à 25 ans, la population saharienne est surreprésentée par rapport à la moyenne nationale, comme par rapport à celle du Nord. Ce constat se vérifie notamment pour la tranche d’âge 0-14 ans qui constitue 34,1 % de la population saharienne totale contre 27,3 % dans le Nord. Ce résultat procède de la réunion dans le même ensemble saharien de régions où la transition démographique est en cours, de régions traditionnellement natalistes (comme le Souf et Oued Righ) et de régions marquées par une présence importante de populations immigrées issues du Sahel (subsaharien) et présentant des comportements natalistes marqués par de forts taux de fécondité.
Un chômage structurel !
Dans les tranches d’âges supérieures, cet écart tend à se tasser pour arriver à un équilibre pour la tranche d’âge 20-24 ans (11,04 %). La part de la population saharienne âgée de plus de 25 ans est inférieure, plus ou moins cependant, aux moyennes du Nord algérien et du pays dans son ensemble. L’effectif de population pouvant être considérée comme active (15-59 ans) est inférieur de cinq points, en termes relatifs, à celui du Nord, tandis que les personnes âgées de plus de 60 ans sont elles aussi, avec 5,8 % de la population totale au Sahara contre 7,6 % dans le Nord, sous-représentées.
Ce constat peut traduire trois phénomènes, parfois articulés : l’existence d’un chômage structurel plus important dans ces régions qui, pour certaines, souffrent d’un sous-développement endémique ; la force d’une économie informelle, qui en découle ; ainsi que l’ampleur des mouvements migratoires au départ de certaines zones sahariennes vers les régions les plus actives de ce même Sahara ou du Nord algérien.
Spatialement, la répartition des communes les plus marquées par une prépondérance de populations jeunes (moins de 15 ans) appelle différents constats.
En premier lieu, la moitié environ des communes présente une part de population jeune (0-15 ans) supérieure à la moyenne saharienne (34,4 %), elle-même supérieure de sept points à la moyenne du Nord algérien. Les taux communaux les plus élevés se trouvent dans le Souf (régions d’El Oued), la partie méridionale (donc saharienne) de la wilaya de Djefla, les wilayas d’Illizi, Tamanrasset et, dans une moindre mesure, dans celle d’Adrar. La part de population jeune, non active, varie fortement entre les deux extrêmes que sont la commune de Oum Laddham (wilaya de Djelfa) avec 50,4 % et la commune de Tamert (wilaya de Bechar) avec 23 %. À l’inverse, les wilayas de Biskra et de Bechar comptent une part de population jeune inférieure à la moyenne.
En second lieu, on observe une dualité urbain/rural assez nette dans cette répartition des jeunes. À l’exception d’El Oued (35,4 %), oasis historiquement fortement nataliste, et de Tamanrasset (38,9 %), affectée par des mouvements migratoires de grande ampleur, les grandes communes urbaines connaissent des taux inférieurs à la moyenne saharienne, ce qui traduit des comportements natalistes se rapprochant des standards nationaux. Quant aux trente communes « les plus jeunes » (avec des taux supérieurs à 40 %), ce sont pour la plupart de petites communes rurales ou semi-rurales, encore marquées par des comportements traditionnels conservateurs natalistes.
En troisième lieu, il semble bien que l’importance de la part des jeunes dans la population totale soit liée au dynamisme naturel des populations. Trois exemples de wilayas à forte croissance démographique permettent de saisir plus précisément ces dynamiques qui, par ailleurs, en caractérisent aussi d’autres :
– la wilaya de Djelfa, longtemps marquée par le pastoralisme et le nomadisme est l’une des plus pauvres d’Algérie et elle a le taux d’alphabétisation le plus faible du pays (64 %, soit 13 points de moins que la moyenne nationale) ; c’est également la wilaya où la transition démographique est la moins avancée ;
– la wilaya d’El Oued, correspondant au Souf ; elle est caractérisée par ses fortes traditions culturelles, se traduisant par une natalité toujours élevée ;
– quant à la wilaya de Tamanrasset et, plus largement, le Sahara touareg, elle cumule une fécondité « locale » restée traditionnelle et la très forte fécondité des migrants sahéliens, particulièrement nombreux dans le Grand Sud algérien.
La géographie des communes marquée par une surreprésentation de la population en âge d’être active (15-59 ans) s’inscrit en négatif de celle de la population jeune (Fig. 3). Les wilayas de Tamanrasset, Illizi, El Oued, comme le sud de la wilaya de Djelfa sont caractérisées par des taux inférieurs à la moyenne saharienne (59,9 %), elle-même inférieure de 4,5 points à la moyenne nationale.
À l’exception de Tamanrasset, Ghardaïa et El Oued, les grandes communes urbaines connaissent des taux supérieurs à la moyenne : Biskra (63,6 %), Béchar (64,7 %), Laghouat (62 %), Ouargla (61,2 %) et Adrar (62,3 %). La polarisation des emplois dans les grandes agglomérations urbaines tend à se renforcer, du fait, à la fois, de l’agglomération croissante des populations et de la consolidation de leurs pouvoirs économiques et sociopolitiques. Sur les dix communes dont les taux sont les plus élevés, compris entre 64,5 % et 68,5 %, neuf appartiennent à la wilaya de Bechar, pôle régional d’envergure ; quant à Hassi Messaoud, la dixième, elle est la seule commune de la catégorie qui soit extérieure à cette wilaya ; elle se distingue avec son taux élevé de 65,4 %, dû à l’importance des migrations régionales et nationales de travail vers cette ville pétrolière.
Les wilayas et les communes marquées par un fort taux de populations âgées correspondent peu ou prou à celles évoquées précédemment, caractérisées par un taux élevé de populations ayant entre 15 et 59 ans. La moyenne saharienne (5,7 %) s’établit 1,7 point en deçà de la moyenne nationale (7,4 %). Presque 60 % des communes sahariennes ont un taux supérieur à cette moyenne, avec néanmoins des écarts significatifs entre Metarfa ou Mekhdama (5,7 %) et Abadla (10,4 %) ou Adrar (9 %). À l’inverse, dans les wilayas où cette tranche de population est sous-représentée (Tamanrasset, Illizi, Ouargla et le sud de Djelfa), les taux varient entre 1,9 % et 5,6 %. On doit cependant regarder avec scepticisme (ou avec réserves) ces taux lorsqu’ils sont aussi faibles : il est en effet possible que certaines personnes âgées, ne disposant pas de pièces d’identité officielles, se soient quelque peu rajeunies au moment de déclarer leur âge aux agents recenseurs.
En 2008, la population saharienne comptait en proportion moins d’actifs que le Nord du pays (42 % contre 44,1 % des plus de 15 ans) et le très fort déséquilibre entre taux d’actifs masculins et féminins est particulièrement marqué au Sahara (rapport de 1 à 5,5, contre 1 à 5 dans le Nord).
Mais ces chiffres globaux masquent des disparités interrégionales importantes. Les forts taux d’actifs (masculins comme féminins) se retrouvent essentiellement dans :
– les zones frontalières du Sud, du Sud-Est et du Sud-Ouest. Fortement corrélée à la dynamique démographique globale de ces zones, l’explication de taux d’actifs élevés dans ces communes doit être trouvée dans la volonté étatique d’aménager et contrôler ces zones, deux ambitions génératrices d’investissements et d’emplois, particulièrement dans les secteurs les plus enclavés ;
– les grandes agglomérations urbaines qui polarisent les emplois du secteur industriel (par exemple Ghardaïa et Biskra) mais surtout tertiaire, secteur dont les effectifs, à l’échelle nationale, ont bondi de + 75 % entre 1966 et 2011 (passant de 32 % à 52,5 %) et qui structure fortement l’économie des agglomérations sahariennes, quasiment toutes faiblement industrialisées ;
– et les zones de production d’hydrocarbures qui, depuis les années 1950, polarisent les flux de travailleurs à l’échelle saharienne, mais également nationale : Bas-Sahara et bassin de Hassi R’Mel.
En négatif, des taux particulièrement bas d’actifs caractérisent les régions du Touat, du Gourara, du Souf et du Grand Erg oriental, hors agglomérations urbaines. Ces régions, marquées par des économies encore fortement agricoles et par une relative faiblesse de la dynamique économique locale, sont de fait génératrices de migrants économiques vers des grandes villes proches, des villes en essor dont les chantiers créent un appel d’air à l’échelle macrorégionale (Bechar et Tindouf) ou encore vers des zones pétrolières (du Souf vers Hassi Messaoud par exemple).
Le profond déséquilibre entre taux d’emploi masculin et féminin, qui se traduit statistiquement par un écart moyen de 60 points entre les taux d’actifs masculin (70,7 %) et féminin (12,5 %) et qui constitue un fait structurel de l’économie algérienne, se trouve encore davantage affirmé au Sahara.
Ici encore, la distribution spatiale fait apparaître des disparités qui marquent de manière particulièrement négative une partie des Ziban, le Piémont central, le Souf et le Grand Erg oriental, ainsi que les communes limitrophes du Mali. Ces régions se caractérisent par une structure économique encore fortement marquée par les activités agricoles, où l’emploi féminin semble souvent sous-déclaré et relèverait d’activités économiques familiales.
Les disparités régionales demeurent fortes et les contrastes sont grands entre les espaces « modernisés » (centres administratifs et politiques, régions de production d’hydrocarbures) et les espaces demeurés plus traditionnels : zones marquées par le pastoralisme ou les espaces enclavés et aux marges.
Les résultats du Recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) de 2008 confirment l’évolution de la population saharienne constatée depuis l’indépendance. Cette population conserve un grand dynamisme démographique du fait de sa croissance naturelle plus élevée que celle enregistrée dans l’Algérie du Nord. Par ailleurs, en raison des politiques conduites par l’État algérien (développement économique et social, contrôle du territoire, etc.), le Sahara – et en particulier ses villes – conserve une grande attractivité, même s’il demeure largement sous-peuplé comparativement à l’Algérie du Nord.
70 % de la population saharienne dans les villes
Cet accroissement de la population profite principalement aux villes qui concentrent plus de 70 % de la population saharienne. Néanmoins, ce dynamisme démographique n’est pas uniforme : les zones frontalières méridionales, le Piémont saharien central et l’axe méridien Laghouat-Tamanrasset (sauf le M’Zab), ainsi que certaines villes (Adrar, Tindouf, El Oued) ont connu un accroissement rapide grâce à la forte implication de l’État pour contrôler les zones frontalières ou assurer la promotion de certaines villes. À l’inverse, d’autres régions ont connu une croissance beaucoup plus lente, notamment la Saoura, le Gourara, ainsi que le M’Zab.
Par Yaël Kouzmine et Jacques Fontaine des Cahiers de l’EMAM, Revue interdisciplinaire traitant des questions urbaines dans le monde arabe et autour de la Méditerranée