L’apparition de nouvelles raisons d’émigrer en Algérie a donné lieu à l’émergence de nouveaux profils. À l’image de l’ouvrier rural parti seul, ou accompagné par sa famille, pour travailler dans les usines ou dans les mines, se substitue une multitude de profils de jeunes, peu, moyennement ou hautement qualifiés.
Des jeunes universitaires, des scientifiques et femmes diplômées :
On retrouve parmi ces jeunes des universitaires, des scientifiques, des femmes diplômées ou sans qualifications, des étudiants, des sportifs, des artistes, des journalistes et autres intellectuels. Le trait commun de tous ces profils est que les départs ne sont pas motivés par des raisons économiques, mais par des motivations culturelles, sociales et politiques. La grande majorité ont décidé d’aller ailleurs pour réaliser des projets personnels qu’ils n’ont pu concrétiser dans leur pays d’origine. Ce rapport entre la recherche d’opportunités de promotion sociale et le choix de l’émigration comme stratégie d’action est confirmé par le constat que “les nouveaux émigrés” appartiennent à plusieurs catégories sociales et patrimoniales. Les statistiques des services consulaires algériens révèlent que les émigrés recensés entre 1980 et 1990 appartiennent à quatre catégories matrimoniales.
La reconfiguration des profils des émigrés algériens a donné lieu à un élargissement de l’espace migratoire algérien. Si la France et l’Europe demeurent le principal espace historique de la migration des Algériens, de nouvelles destinations les attirent de plus en plus, contribuant ainsi à la constitution de six espaces migratoires.
La France, première destination des Algériens
Représentant plus de 83 % des effectifs des émigrés algériens, la France reste la première destination des flux et le premier pays de séjour des émigrés algériens. L’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, la Belgique, le Royaume-Uni et les autres pays européens constituent le second espace, dont les effectifs dépassent légèrement le nombre des Algériens vivant dans le troisième espace constitué par les pays d’Amérique du Nord. Le Maghreb est la quatrième région où vit une communauté algérienne installée depuis longtemps. Constituant le cinquième espace, les pays du Moyen-Orient et, plus particulièrement, les pays du Golfe attirent les compétences algériennes. Le reste des effectifs se répartit dans les pays n’appartenant pas à ces cinq espaces.
Les statistiques consulaires algériennes, et sur la base de données du CARIM, donnent pratiquement le même ordre d’importance dans les six espaces. Ces données, bien que dépassées, permettent une comparaison entre 1995 et 2002. La France demeure le principal pays de séjour des émigrés algériens. 85 % vivent dans ce pays, auxquels il faut ajouter 8 % d’Algériens vivant dans les autres pays européens.
5 % vivent dans les pays arabes et seulement 2 % séjournent dans les pays d’Amérique du Nord. Entre 1995 et 2002, le taux de croissance annuel moyen était de 0,6 %. Ce taux s’élevait à 12,4 % pour les flux vers l’Amérique du Nord.
Les statistiques construites à partir des sources des pays de séjour et celles de la base du CARIM confirment l’émergence de nouveaux pôles d’attraction pour les flux d’émigrés algériens. C’est ainsi que l’Espagne est devenue une nouvelle destination pour les Algériens. En 2009, le nombre d’émigrés résidant dans ce pays était estimé à 56 201 individus, soit 6,3 % du total des effectifs d’Algériens établis à l’étranger. Le taux annuel moyen de croissance des Algériens vivant dans ce pays entre 1999 et 2009 était à 77,2 %. Cette diversification des destinations, aussi importante qu’elle soit, n’a pas encore modifié la configuration des espaces migratoires des Algériens.
Le couloir Algérie-France est le deuxième couloir dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, dernière le couloir Afghanistan-Iran et devant les couloirs Égypte-Arabie Saoudite et Maroc ce qui peut s’expliquer par le fait que ce couloir constitue un espace de circulation symbolique et de reproduction de la mémoire collective avant d’être un canal de recherche de meilleures conditions de vie. En effet, si la France exerce toujours un effet structurant sur l’imaginaire algérien, il n’en demeure pas moins que le rapport entretenu par les Algériens avec l’ex-colonie est marqué par la quête de la légitimité de circulation et d’installation en vue de jouir d’une réciprocité historique de mobilité. La France s’étant donné le droit de venir occuper l’Algérie, les Algériens demandent que la France leur accorde le droit de venir en métropole.
Les difficultés rencontrées pour vivre dans ce pays n’ont pas provoqué de retours au pays d’origine. Elles ne font pas baisser les flux, mais l’espace de la réussite par l’émigration s’élargit à d’autres pays.
Ils reviennent au pays pour repartir à nouveau…
L’amorce de cette évolution de l’émigration algérienne intervient au moment où l’installation dans les pays de séjour enregistre un changement qualitatif sensible : les ménages émigrés se restructurent, le marché matrimonial voit les mariages mixtes augmenter, l’acquisition de la nationalité du pays de séjour répond à la mise en œuvre de stratégies d’insertion sur le marché de l’emploi. Le développement de ces nouveaux modes d’installation des émigrés algériens modifie la notion de retour au pays d’origine, ce que confirme l’enquête réalisée par le CREAD dans le cadre du projet MIREM. 34,7 % des émigrés de retour enquêtés envisagent de repartir à l’étranger, et 26,6 % n’ont pas pris de décision.
60,9 % de ceux qui envisagent de repartir comptent retourner dans le dernier pays de séjour et 20,9 % vers un nouveau pays d’immigration. Cette évolution montre que les retours tendent à fonctionner comme une étape de projet de circulation migratoire. C’est ainsi que le retour est devenu, pour une partie des émigrés, le moyen d’acquérir une résidence dans le pays d’origine s’ajoutant à celle déjà obtenue à l’étranger. Ces derniers deviennent en quelque sorte des bi-résidents. Le retour constitue également, pour une autre partie d’émigrés, un instrument de gestion de leur carrière professionnelle. Bénéficiant de la double nationalité, ils gèrent leur retour pour réaliser des projets professionnels avec des sociétés françaises ou dans le cadre de partenariats avec des sociétés privées algériennes pour acquérir l’expérience nécessaire à leur insertion future dans le marché du travail international. Devenus citoyens dans les pays d’installation, les émigrés algériens entretiennent désormais de nouveaux liens avec leur pays d’origine.
Leur participation au développement de leur société d’origine par la réalisation de projets économiques et le transfert des fonds ne peut plus être envisagée sous l’angle d’un devoir moral ou patriotique. Elle doit être motivée et entretenue du point de vue utilitariste de sa rationalité économique.
Les émigrés algériens se trouvent ainsi engagés dans une nouvelle dynamique qui les pousse à jouer de nouveaux rôles orientés davantage vers la modernisation, le transfert des technologies et des savoirs et la constitution de capacités d’innovation. La mise en place de nouvelles formes d’organisation, telles que la constitution de réseaux de diasporas et la volonté du pays d’origine de mettre en œuvre le partage des compétences acquises à l’étranger, indique que cette évolution structure dorénavant le devenir de l’émigration algérienne.
Par Hocine Labdelaoui, Professeur de sociologie, université d’Alger-2, chercheur associé au Centre de recherches en économie appliquée pour le développement (CREAD).