C’est officiellement une suggestion. Mais le ton martial avec lequel Ahmed Gaid Salah, le patron de l’armée, a exprimé cette suggestion indique clairement qu’il s’agit d’une ferme instruction. Le chef d’état-major a affirmé qu’il serait « opportun » de convoquer le corps électoral le 15 du mois de septembre courant, et que les élections puissent se tenir dans les délais fixés par la loi.
Cela signifie que le prochain scrutin présidentiel doit se tenir avant le 15 décembre prochain. Comme il a été révélé auparavant par Algérie Part, Ahmed Gaid Salah rend public la feuille de route du pouvoir consistant à organiser une élection présidentielle avant la fin de l’année en cours pour sortir de l’impasse actuelle. Mais Gaid Salah a surpris tout le monde. Il a pris au dépourvu tous les acteurs et observateurs politiques en prenant lui-même l’initiative d’imposer en quelque sorte la date de l’échéance électorale aux Algériens et aux autorités civiles, à leur tête le Président par intérim de l’Etat, Abdelkader Bensalah.
C’est à ce dernier que revient normalement la mission de convoquer le corps électoral. Et, d’après la feuille de route dessinée dans les laboratoires du régime, cette annonce devait intervenir après le 10 septembre prochain, date à laquelle la commission des personnalités composant le panel de dialogue devait remettre un rapport officiel à Bensalah pour synthétiser les revendications et les mesures qu’il faut appliquer ou concrétiser pour sortir de la crise qui paralyse le pays.
Ahmed Gaid Salah a dévié du chemin tracé par cette de feuille pour prendre lui-même la situation en main et annoncer les dates et délais de l’organisation de cette élection présidentielle. Pis encore, Gaid Salah va jusqu’à expliquer qu’il n’est pas nécessaire de changer beaucoup de choses à la loi électorale pour organiser le futur scrutin présidentiel.
L’approche défendue par Ahmed Gaid Salah « requiert également la révision de quelques textes de la loi électorale pour s’adapter aux exigences de la situation actuelle, et non pas une révision totale et profonde qui toucherait tous les textes, tel que revendiqué par certains, ce qui prendrait beaucoup de temps ». Cela signifie que les prochaines élections présidentielles se dérouleront, à en croire Ahmed Gaid Salah, comme les dernières échéances électorales suivant le même mode d’organisation.
Cette prise de position est dangereuse, voire provocatrice à l’égard d’une rue qui s’embrase chaque vendredi pour réclamer pacifiquement le changement radical en Algérie. Ahmed Gaid Salah répond aux millions de manifestants qu’il balaie d’un revers de main les revendications des Algériens. Symboliquement, il tue Abdelkader Bensalah et lui enlève toute crédibilité ou légitimité. Gaid Salah démontre que le pouvoir est entre les mains des militaires et que ces derniers veulent uniquement désigner un nouveau Chef d’Etat sans prendre en compte le désir de changement des Algériens.
Ce qui rend ces élections « irréalisables » car le mouvement populaire avec son ampleur inégalée dans l’histoire contemporaine du pays risque de saboter facilement les préparatifs de ce rendez-vous électoral. Le climat politique ne permet nullement aussi l’organisation d’une telle élection avec l’absence d’une totale confiance entre les électeurs et une classe politique en crise existentiel après la chute du régime Bouteflika.
Gaid Salah a fait cavalier seul et cette sortie était inattendue. L’imprévisible chef d’Etat-Major ne travaille pas en équipe, il veut se conduire uniquement en chef. Il fixe lui-même les délais, les conditions et les exigences qu’il faut satisfaire. Il n’a abordé ni la nécessité de créer une commission d’organisation des élections présidentielles ni l’importance de garantir la transparence de ce futur scrutin présidentiel. Avec une telle conduite, Ahmed Gaid Salah pousse l’institution militaire dans une posture délicate, voire très sensible. Celle d’une institution qui bloque les revendications de tout un peuple…