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mercredi, juin 7, 2023

Document. Le saviez-vous ? L’Algérie n’exploite pas bien son eau

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Les surfaces irriguées à travers le monde, représentent 17% de l’ensemble des terres cultivées et elles assurent 40% de la production alimentaire mondiale. Officiellement, en Algérie, 50% de la production agricole provient de terres irriguées. L’agriculture industrielle intensive étant le premier consommateur d’eau douce dans le monde, jusqu’à 85%, il est donc facile de comprendre que pour assurer la sécurité alimentaire, c’est en grande partie relever le défi permanent de la gestion de l’eau. 

Cela fait plus de 5000 ans que l’homme s’est mis à pratiquer l’irrigation pour augmenter, et assurer la production agricole lorsque celle-ci est tributaire de déficit hydrique. On peut considérer qu’en Afrique du Nord, le grand passage de l’agriculture pluviale à celle irriguée, s’est effectué avec les réalisations hydrauliques de l’époque romaine. C’est dire que ces territoires sont confrontés à la gestion de la rareté de l’eau depuis des millénaires. L’eau apparait donc comme un déterminant majeur dans la production alimentaire, puisqu’elle est omniprésente dans quasiment tout projet de développement agricole.

Depuis la dernière moitié du 20èm siècle, la rapidité de la poussée démographique, et l’extension de l’urbanisation ont démultiplié les besoins en eau, surprenant à la limite les pouvoirs publics nationaux.

On considère que le réveil de l’hydraulique en Algérie, avec un accroissement notable du parc barrage, retenues collinaires, forages…, n’a réellement commencé que les années 80, en réponse aux années sèches de la décennie qui a précédée. Entre temps, les anciens modes d’organisation pour la gestion et l’exploitation des ouvrages qui existaient auparavant avaient pratiquement disparu (syndicats d’irrigation, coopératives d’irrigation et de drainage, etc.…), ce qui a conduit à une perte des connaissances sur les données des variations des crues, des crues exceptionnelles, leur débit….. , un appauvrissement des réseaux de stations hydrométriques, l’arrêt de certaines de stations de jaugeage… Ça s’est accompagné par une diminution de 14% (330 000 ha en 1900 et 282 000 ha en 1986) des surfaces irriguées, une réduction de la capacité des barrages de l’époque coloniale de 40 %.

Sachant qu’il faut au minimum 20 à 30 années d’observations pour avoir une assez bonne évaluation du potentiel réel en eau de surface d’une station. Malgré les investissements effectués, de façon précipitée, la réaction a prédominé la réflexion, à l’image d’un faux départ, le retard pris par le pays dans la mobilisation de ses ressources, a eu fatalement de fâcheuses répercussions sur l’efficience et la durabilité des réalisations ultérieures. Les ouvrages se retrouvent souvent avec des données erronées conduisant à des dimensionnements, ou choix de sites inadéquats.

Cette discontinuité, a été suffisamment longue pour miner les réalisations entreprises dans des espaces où la notion de climat agressif s’impose.

Entre 1974 et 2014, l’effort déployé aurait coûté 46 milliards de $, 6 autres barrages sont prévus pour 2017 pour atteindre une capacité de remplissage de 9 milliards de m3. Selon l’étude du CNES (2000), la capacité de mobilisation installée, est répartie entre les forages et les puits pour 72,6%, les barrages pour 21,4 % et les sources pour 6 %. La gestion de cette ressource est plus sociale qu’économique, la majorité des barrages sont destinés à l’AEP (à un moment donné on comptait sur 65 barrages en exploitation, 44 étaient à usage exclusif AEP). Il s’en est suivi une tarification qui a mis les organismes de gestion dans une situation financière particulièrement difficile, trop faible la tarification ne permet pas aux offices de dégager des ressources financières suffisantes pour l’entretien, empêcher la dégradation, voir l’abandon des installations…

Selon les chiffres du RGA, l’Algérie irrigue actuellement 1,13 million d’hectares, soit 13% de la (SAU) et les ambitions sont portées vers les 2 millions d’hectares en grande partie dans les zones arides. Des objectifs peu réalistes, surtout que les estimations des besoins sont basés sur une demande de 5000 m3/ha/an, un chiffre qui laisserait incrédule tout agriculteur du Sud, sachant que se sont des régions où l’ETP est le plus souvent supérieur à 10 000 m3/ha, avec le mois de pointe supérieur à 4000m3.

Nos potentialités en matière de ressources en eau, montrent un plafond pluviométrique naturel, sous exploité, l’ordre de 130 milliards de m3/an (France 440 milliards). L’apport moyen pour l’Algérie tellienne (7 % de la superficie du pays 90 % de l’écoulement total) est évalué à 65 milliards de m3, dont ; 47 milliards s’évaporent, 3 s’infiltrent et 15 ruissellent (les ¾ du débit annuel des oueds s’effectue au cours de 2 à 3 mois d’hiver). Donc sur les 18 milliards de mètres cubes, 10 milliards proviennent principalement des eaux souterraines surexploitées.

Quant au fantasme sur les abondantes ressources du Sahara, bassin le plus important par la surface, qui ne renferme que 0,2 milliard de m3 d’eau superficielle renouvelables, on oublie qu’on entend exploiter des eaux profondes (les réserves théoriques des deux aquifères sont estimées à 60.000 km3), coûteuses à mobiliser, et très peu renouvelables. S’agissant du Complexe Terminal « CT », captée à des profondeurs variant de quelques dizaines de mètres à quelques centaines de mètres, l’eau est chargée(faciès sulfaté sodique) à de 2-3 g/l, pouvant atteindre les 8g/l avec une température de 25 à 27° C. Pour celle du Continental Intercalaire « CI », la plus importante, atteint des profondeurs dépassant les 2.000 mètres, sa minéralisation totale est à moins de 1,5 g/l mais l’eau, ayant une propriété entartrante, peut avoir une température supérieure à 50° C. Différentes études ont clairement montré, que la simple poursuite des prélèvements actuels entraînerait la contamination du « CT » par les chotts, ce qui serait fatal en termes de salinité. Continuer à exploiter encore plus les nappes du « CI » et du « CT », équivaut à réunir un niveau de compétence en mesure de gérer à postériori la salinité des sols cultivés sous des climats arides.

A l’heure actuelle les efforts déployés se heurtent, à l’entretien de l’existant (les taux annuels de déperdition seraient de 40% en moyenne), et à la réponse aux besoins sans cesse croissants. S’il est connu que le Maghreb, enregistre les valeurs de l’érosion parmi les plus élevées de la planète, une moyenne de 2000 t/an/km², cela implique certainement que toute forme d’amateurisme est exclue quant à l’aménagement d’ouvrages hydrauliques.

La capacité de mobilisation des eaux souterraines étant prédominante (72,6%), les aquifères des zones telliennes sont toutes surexploitées. Fait plus aggravant encore, les pouvoirs publics n’arrivent pas encore à contrôler leur exploitation, c’est à dire que nous ne savons pas vraiment quelle est la situation sur le terrain, d’où de fortes incertitudes quant à leur gestion. Selon l’ANRH, il a été recensé en 2001, 911 forages illicites dans la nappe de la Mitidja, 2.000 dans la wilaya de Mascara, et 20.000 à l’échelle nationale, de toute évidence, ces chiffres seraient loin de refléter la situation réelle d’aujourd’hui.

Les barrages (un petit barrage c’est moins de 10 millions de m3) et les retenues collinaires, en plus du constat fait plus haut, sont donc confrontés à une forte érosion des bassins hydrographiques, avec pour conséquence, le grand mal de l’envasement qui ronge les capacités de stockage, les pertes sont estimées à 17%/an en Algérie contre 0.5% au Maroc. L’inquiétude vient de l’évolution en croissance des taux d’envasement, une moyenne de 20 millions de m3/an dans les années 80, 35 les années 90, 45 à 50 millions les années 2000.

Se retrouvant devant la situation du travail qui n’est ni fait ni à faire, les conséquences financières, …sont lourdes à supporter.

Sur 900 retenues collinaires réalisées les années 1980, pour un de stockage de 118 millions de m3, 500 ont été tout de suite hors d’usage, détruites par les crues ou envasées, les 400 retenues collinaires restantes, totalisent une capacité théorique de 72 millions de m3, soit 61% des objectifs.

Indépendamment de la diminution de la capacité du réservoir, il arrive que l’on déverse plus de 5 milliards de m3, l’envasement pose le problème de la stabilité de l’ouvrage. La poussée de la vase (densité autour de 1,6), présente un risque sur la sécurité du barrage. On estime qu’à cause des fuites plus de la moitié des quantités d’eau prélevées pour l’agriculture n’atteignent pas les cultures qu’elles devraient irriguer. Entre 2000 et 2010, plus de 20 millions de m3 de vase ont été extraits, sur un envasement qui va au rythme de plus 45 millions de m3/an. Depuis l’indépendance 7 barrages ont du être déclassés (la durée de vie moyenne d’un barrage en Algérie est de 20-30 ans), neuf ont été surélevés… Autre aspect important est la mise en services des barrages, forages, …, et leur raccordement qui se fait parfois 6 ans après leur réalisation. De nombreux barrages sont réalisés alors que les infrastructures à l’aval ne sont toujours pas opérationnelles ou que l’équipement des forages n’existe pas. Plus grave, il arrive que ni les études, ni exécution des travaux ne sont réalisés alors que le barrage est rempli (envasé aussi) au point de se déverser. Il arrive aussi que le transport de l’eau vers les utilisateurs revienne 3 fois le coût du barrage.

Toutes ces raisons ont amené des spécialistes à penser que les nouveaux barrages, mis en eau, servent surtout à combler les pertes occasionnées par l’envasement.

On peut toujours évoquer le recours aux eaux non conventionnelles comme potentiel hydrique, par le dessalement d’eau de mer, ou le traitement des eaux usées. La première ressource gratuite et inépuisable, encore trop onéreuse (sup à 150da/m3) reste cantonnée à la bande littorale, le déplacement de l’eau à plus de 100 km, n’est pas économiquement rentable. Les eaux usées, un véritable potentiel estimé, selon le ministère des ressources à 700 millions/m3/an un volume qui passera à 1.5 milliards à l’horizon 2020, moins onéreuses (22da/m3), l’épuration éviterait en plus la pollution des nappes phréatiques. En 2010 sur les 68 stations existantes le tiers était en service sans respect des normes. Si toutes les stations étaient opérationnelles, elles ne traiteraient que l’équivalent de moins de 4 millions d’habitants.

La lutte contre l’envasement des barrages en Algérie, dont on ne semble pas être tout à fait conscient, doit revêtir une dimension nationale tant les enjeux sont énormes.

Le reboisement du chevelu hydrographique des bassins versants, l’aménagement, la protection des zones en amont,…, toutes ces solutions techniques, sont intimement liées aux structures sociales paysannes. L’artificialisation du milieu doit être connectée aux communautés paysannes car elles sont de toute façon les premières impliquées. C’est pour cette raison que les appels s’orientent vers la petite et moyenne hydraulique. Dans le cas des retenues collinaires, les populations locales en ressentent directement l’impact économique.

Tous les spécialistes s’accordent à dire que les pays du Maghreb connaîtront des problèmes aigus d’eau, d’ici à 2025, l’Algérie enregistrera un déficit en eau d’un milliard de mètres cubes d’ici là. La disponibilité de l’eau sera critique selon les données de l’OMS (minimum vital estimé à 100 m3/an/hab.), elle sera de 280 m3, c’est à dire la préoccupation première pour les populations,

La sécurité alimentaire est étroitement dépendante de la gestion des capacités hydriques, à l’heure actuelle, 2014-2015, il n’y a que 46 000 hectares de céréales qui sont soumis à l’irrigation d’appoint, soit un taux de 1,37%, ce qui laisse imaginer l’énorme travail qu’il y a à faire si on veut accéder à un minimum d’indépendance alimentaire.

Sofiane Benadjila, Ing. Agronome ENSA (ex INA)

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