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jeudi, avril 25, 2024

Décryptage. Pourquoi l’Algérie est un pays très fragile face à l’actuelle crise économique mondiale

« La crise du coronavirus n’ait pas commencé comme une crise financière, elle pourrait bien acquérir une gravité systémique ». C’est avec ces mots que Carmen Reinhart, l’économiste américaine spécialiste des crises financières, a décrit la situation actuelle qui prévaut dans le monde d’aujourd’hui.  Et face à cette crise mondiale inédite, l’Algérie figure parmi les pays les plus fragiles. Pourquoi elle n’a aucune autonomie financière, économique ni alimentaire. Elle est entièrement dépendante des fluctuations du marché international pour gagner de l’argent, pour nourrir sa population ou pour s’équiper en produits pharmaceutiques les plus vitaux. 

Aujourd’hui, nous allons étudier le volet alimentaire où l’Algérie se distingue par une quasi absence de toute forme d’indépendance. Explications.

En 2011, selon les chiffres officiels communiqués par l’Office national des statistiques (ONS), c’est près de 42% des dépenses des ménages algériens qui ont été consacrés aux besoins alimentaires (contre plus de 44,6% en 2000), mais cette part est plus élevée dans les milieux ruraux (46%) que dans les milieux urbains (40,1%). A noter, que la population la plus défavorisée est à 44% rurale tandis que la population la plus aisée est composée de trois quarts d’urbains. Les dépenses alimentaires représentent plus de la moitié (53,7%) du budget pour les populations les plus défavorisées alors qu’elles atteignent à peine le tiers (32,3%) pour la population la plus riche.

A signaler également que la part de la population la moins aisée a vu sa part des dépenses alimentaires augmenter être multipliée par plus de 3 fois entre 2000 et 2011 : celles-ci est passée en effet de 412,6 milliards de DA à 1 288,3 milliards de DA.

Ces évolutions constatées dans les consommations alimentaires, face à une offre nationale en progression constante mais déficitaire, expliquent le recours croissant aux importations. La facture alimentaire qui avait atteint un niveau historique record avec plus de 11 milliards de dollars en 2014, enregistre un montant de 9,3 milliards de dollars en 2015, baisse due plus à une diminution des prix mondiaux des produits qu’aux volumes importés. Au cours de l’année 2015, l’Algérie a alloué une « allocation devises-alimentation » par habitant de 308 dollars US.

Cette allocation est supérieure à la dépense alimentaire en devises/habitant/an affecté au Maroc (189 dollars), en Tunisie (270 dollars) ou en Egypte (190 dollars), ou même d’un pays pétrolier comme le Venezuela (286 dollars). Cette « allocation devises-alimentation » par habitant est toutefois bien inférieure aux pays arabes tels que le Royaume d’Arabie Saoudite (806 dollars), le Kuwait (1378 dollars) ou les Emirats Arabes Unis (2000 dollars). Le coefficient de cette « allocation devises-alimentation » dans les dépenses alimentaires annuelles/an et par habitant a été multiplié par 3,5 en moyenne entre les années 2000 et 2011.

Selon les données disponibles entre ces deux dates, la part des produits des dépenses de consommation en devises serait passée de 78 dollars/habit/an à 267 dollars par habitant et par an . L’allocation devises-alimentation qui représentait 26,5% de la dépense alimentaire annuelle moyenne par habitant en 2000, occupait en 2011 plus du tiers (33,6%) de cette même dépense. L’Algérie figure de ce fait parmi les plus grands pays importateurs de blés au monde. Elle fait partie, depuis le milieu de la décennie 2000 d’un cercle restreint composé de 6 pays dont les importations sont supérieures à 5 millions de tonnes /an .

L’Algérie est le troisième importateur du monde de blé tendre et le premier importateur mondial de blé dur (50% des échanges mondiaux). En tant qu’acteur majeur du commerce mondial des grains, il arrive parfois que ses interventions, par des achats massifs (de 500 000 à plus de 800 000 tonnes), favorisent paradoxalement un maintien sinon une remontée des cours mondiaux. Elle est le deuxième importateur mondial de poudre de lait après la Chine, et représente, au cours des 5 dernières années, un opérateur tout à fait essentiel sur le marché des produits laitiers avec environ 17% du marché.

 

L’Algérie a par ailleurs le taux de couverture des importations par les exportations agroalimentaires le plus bas de la région Afrique du Nord. Entre 1992 et 2014, ce taux s’est situé au-dessous de 5%. En effet, alors que les importations de l’Algérie ont connu une augmentation inédite au cours de cette dernière période et atteignent des niveaux historiques en 2011 et 2015 (plus de 10 milliards de dollars), les exportations agricoles peinent à atteindre les 500 000 dollars, soit en moyenne 0,5% des exportations totales du pays. Les produits céréaliers et de la poudre de lait représentent plus de la moitié de la facture alimentaire. Les approvisionnements du marché national en recourant aux marchés mondiaux conditionnent non seulement la sécurité alimentaire et l’équilibre nutritionnel des populations, mais aussi l’activité de l’industrie agroalimentaire nationale qui reste elle aussi étroitement dépendante de ces marchés pour ses approvisionnement en matières premières.

 

Avant d’aborder la question de la vulnérabilité alimentaire, il est utile de faire remarquer que ce n’est pas parce qu’un pays importe des produits alimentaires que l’on peut parler d’échec agricole ou d’insécurité alimentaire. L’Algérie disposant de capacités financières pour acheter la ration alimentaire de sa population et subventionner les produits de base consommés assure jusqu’à ce jour la sécurité alimentaire de la population. Ce qui peut être considéré comme un risque au plan de la sécurité alimentaire et qui place l’Algérie dans une situation de vulnérabilité réelle, c’est sa situation de dépendance exclusive de recettes issues des hydrocarbures pour s’approvisionner sur les marchés mondiaux pour des produits qui constituent la base alimentaire des populations (blés, lait, sucre et huiles).

La facture alimentaire- et donc la capacité de financer la ration alimentaire des algériens- dépend étroitement d’un marché mondial des hydrocarbures dont les règles de fonctionnement sont dictées par d’autres acteurs qui le dominent, et de facteurs exogènes (croissance mondiale, géopolitique de l’énergie…, ) sur lesquels le pays n’a aucune prise. Il convient de rappeler que la sécurité alimentaire ne résulte pas des seules performances du secteur agricole car quels que soient les efforts consentis, le pays ne sera jamais en mesure d’acquérir l’autonomie sur ce groupe de produits alimentaires qui constituent l’essentiel de sa ration alimentaire de base blés, laits, sucre et huiles alimentaires.

La sécurité alimentaire est définie par les experts comme la traduction d’indicateurs de performances de l’économie globale. En d’autres termes, elle est la résultante de structures productives nationales diversifiées mobilisant des technologies à hautes qualifications, d’entreprises économiques et de services créant des richesses durables et d’un potentiel de ressources (financières, matérielles et humaines) rationnellement exploitées.

C’est, malheureusement, ce qui fait gravement défaut à l’Algérie à cause de l’absence d’une politique agricole et économique efficace tournée en faveur de la croissance et l’innovation. Le système rentier algérien a emprisonné le pays dans une logique de dépenses onéreuses et de dépendance vis-à-vis du pétrole et le gaz. Le système algérien est prisonnier de son propre luxe ou confort aujourd’hui en disparition avec la nouvelle crise mondiale qui va redessiner le visage du monde.

Le monde l’après COVID-19 sera beaucoup moins tendre avec les pays fragiles et rentiers comme l’Algérie… Et cette vulnérabilité risque de précipiter la chute du système algérien dans un futur proche.

 

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