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lundi, octobre 2, 2023

Décryptage. L’Algérie et la Nouvelle Constitution : l’obsession du pouvoir présidentiel

Dans les Constitutions qui organisaient les pouvoirs au sein de l’Etat, depuis l’instauration des trois pouvoirs, en premier lieu dans le Constitution de 1989, – Exécutif, Législatif, judiciaire – le terme « séparation », qui est le fondement et la marque de leur indépendance, les uns vis-à-vis des autres depuis Montesquieu, n’existait pas. L’absence de ce terme, fondamental, permettait au pouvoir exécutif en Algérie, par des détours subtils et des règles énoncées dans les Constitutions antérieures applicables au soit disant « pouvoir » judiciaire, de dominer les deux autres pouvoirs.

La Constitution de 1976, la plus autoritaire, après celle de 1963, ne parle pas de pouvoir mais de « fonctions » qui relèvent toutes du pouvoir absolu du Président de la
République, Secrétaire général du Parti, sans aucun contrôle. Ainsi, ce projet à cet avantage d’ajouter, pour la première fois dans une Constitution, à l’appellation de pouvoirs, le terme « Séparation » qui implique le fonctionnement indépendant d’un pouvoir par rapport à l’autre mais suppose aussi un contrôle réciproque de l’un sur l’autre dans le cadre d’une collaboration dans l’intérêt du Peuple et de la stabilité des institutions de l’Etat.

Il convient de rappeler, toutefois, qu’aucune Constitution au monde, qui a adopté le principe de « séparation des pouvoirs », n’arrive à asseoir une collaboration sereine et une application les principes de cette séparation inscrits dans la Constitution, encore moins le modèle en la matière, la Constitution des Etats-Unis. Dans tous les pays, particulièrement les pays du Tiers-Monde, les règles constitutionnelles sont faussées par le jeu trouble des
partis politiques, l’intrusion des réseaux sociaux, la décadence du système d’enseignement, l’interférence de puissances étrangères, la manipulation des mouvements de foule (exemple des gilets jaunes en France, du hirak en Algérie) et bien d’autres causes. Beaucoup d’auteurs considèrent que « L’indépendance et la séparation des pouvoirs est un idéal délicat ».

Mais il demeure utile que le principe de séparation, qui implique celui de l’équilibre
des pouvoirs et de leur contrôle réciproque, soit inscrit dans la Constitution à titre de garantie pour les institutions. Qu’en est-il dans le projet qui a introduit quelques améliorations dans les rapports entre pouvoirs, par rapport à la Constitution précédente mais en maintenant quelques ambiguïtés.

La première ambiguïté découle du fait que le chapitre III parle de « L’organisation et de la séparation des pouvoirs », mais ne qualifie pas ces pouvoirs, notamment s’il s’agit des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. La qualification du pouvoir reste dans le vague.

1 – Indépendance de l’exécutif et du législatif et leur collaboration dans le respect de cette indépendance :

Ces deux pouvoirs étant élus par le peuple, aucun ne peut éliminer l’autre ou le remplacer, sauf sous certaines conditions. Cette caractéristique définit le régime présidentiel qui fait du Président de la République le chef du gouvernement.

En Algérie, l’existence d’un Premier ministre ou d’un chef du gouvernement annonce un régime semi-présidentiel où le chef du gouvernement, quelle que soit son appellation, assume la responsabilité du gouvernement et sert de paravent au Président de la République. Mais la situation est plus complexe, lorsqu’on examine la responsabilité des
différentes composantes des pouvoirs auquel fait référence le titre III, sans les
qualifier expressément.

A – LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE : Le projet de Constitution ne le qualifie pas de « Pouvoir exécutif » mais lui consacre un « Chapitre Premier :

Du Président de la République », suivi d’un « Chapitre 2 : Du Gouvernement » puis d’un « Chapitre 3 : Du Parlement » sans précision de sa qualité de pouvoir législatif », comme les deux précédents chapitres ne qualifient pas le Président de la République et le Gouvernement de pouvoir exécutif. D’ailleurs cette  absence de qualification des pouvoirs envisagés – comme exécutif, législatif et judiciaire – se retrouve dans la dénomination du titre III « De l’organisation et de la séparation des pouvoirs » sans précision, contrairement à la Constitution en cours. Ce flou soulève des interrogations, surtout pour le pouvoir judiciaire que certains pays qualifie « d’Autorité » et non de pouvoir, parce qu’il n’est pas issu d’élection, comme aux Etats-Unis. Mais dans son fonctionnement, il s’agit bien d’un pouvoir et reconnu comme tel, car ses décisions sont rendues « Au nom du peuple » par des magistrats supposés être  » Indépendants ».

a) « Pouvoir » du Président de la République :

– Nouvelles obligations :  L’article 84 reprend les mêmes dispositions de l’article 84 de la Constitution de 2016 avec cependant un renforcement de ses obligations, qui n’existaient pas auparavant, en lui imposant de « veiller en toutes circonstances à l’intégrité du territoire et à la souveraineté nationale » et « Au respect de la Constitution ».

Ce sont des attributions qui allaient de soi pour un Président de la République, dans toutes les Constitutions, mais qu’il n’est pas inutile de les préciser afin de déterminer les importants domaines des responsabilités dont il doit rendre compte, en cas de
défaillance.

– L’article 87, reprenant la totalité des dispositions de l’actuel article 87, a apporté quelques mesures qui n’existaient pas notamment, en matière de conditions de candidature :
Ne pas avoir acquis une nationalité étrangère (condition tout à fait légitime)

Justifier de l’accomplissement du service national ou de tout autre motif légal de non accomplissement (mesure justifiée)

Cependant, certaines conditions pour être candidats mériteraient quelques observations :

– « Justifier de la nationalité algérienne d’origine et attester de la nationalité algérienne d’origine du père et de la mère ». Sur ce  point, il convient de relever que lorsqu’on justifie de la nationalité d’origine qui est déterminée par celle du père, celuici l’a obligatoirement.

Attester de la nationalité d’origine du père est superfétatoire. Pour la mère, effectivement, le père peut avoir épousé une femme d’origine étrangère. Celle-ci peut garder sa nationalité d’origine ou acquérir la nationalité de son mari.

Elle devient algérienne. Pourquoi un candidat à la présidence de la République ne peut pas avoir une mère naturalisée algérienne (Ben Bella avait des parents marocains) ?

Le plus surprenant serait qu’un candidat ait une mère de nationalité étrangère qui a participé à la lutte de libération nationale et devient algérienne. Cette situation de la
mère, qui peut très bien se présenter, lui interdirait d’être candidat.

Enfin, que dire d’un candidat qui remplirait la condition de nationalité d’origine et dont les parents sont décédés ? Pourquoi remuer cette question de nationalité pour des personnes qui ne sont plus de ce monde ?

– Par contre, une autre condition de candidature, qui nous semble importante, et qui n’a pas été mentionnée dans les conditions de candidature, c’est l’obligation pour le candidat
d’attester de sa bonne santé pour exercer « Le Pouvoir présidentiel », et l’annonce du Président de la République, une fois élu, de la situation de son état de santé, si possible annuel, lorsqu’on a à l’esprit le cas lamentable du Président Bouteflika qui pendant plusieurs années a camouflé, avec la complicité de son entourage, son incapacité à exercer ses fonctions présidentielles.

b) Mise en cause de la fonction présidentielle :

Elu par le peuple, le Président de la République est le seul à incarner « L’unité de la nation » et « l’Etat à l’intérieur et à l’extérieur », les autres pouvoirs ne disposent d’aucun moyen pour le démettre sauf sous certaines conditions notamment :

– Impossibilité totale d’exercer ses fonctions en cas de maladie grave en vertu de l’article 94 (ex article 102) :

Cet article soulève une certaine ambiguïté, qui est maintenu dans le projet et dont a profité le Président Bouteflika, lui permettant de rester au pouvoir, malgré son incapacité.
Cette ambiguïté découle du fait que la mise en œuvre de cette incapacité relève de la seule responsabilité du Conseil constitutionnel, chargé de prendre en charge ce problème de l’incapacité physique du Président, en se prononçant à « l’unanimité » pour saisir l’Assemblée nationale.

Cette unanimité est impossible à réaliser dans le cas de l’actuelle Constitution en vigueur parce que le Président du Conseil constitutionnel est nommé par le Président de la République. Dans le cas du Président Bouteflika, le Conseil constitutionnel ne se décidera jamais à appliquer les dispositions constitutionnelles qui lui donnent cette possibilité – des dispositions d’ailleurs obscures – en raison de l’attitude de son Président qui a
faussé le principe de l’unanimité, notamment son devoir de « reconnaissance » envers un Président de la République qui l’a nommé deux fois à ce poste, en violation de la
Constitution.

Quant à l’obscurité de la prise en charge de cette responsabilité, qu’attribue la Constitution au Conseil constitutionnel, elle découle du fait que la Constitution ne définit aucune procédure poussant le Conseil à s’intéresser à la santé du Président de la République.
Les mêmes dispositions ont été reconduites et vont entraîner également l’inaction du Conseil constitutionnel car rien ne lui permet de s’intéresser à l’état de santé du
Président de la République. Aussi, convient-il de prévoir, en raison de cette responsabilité du Conseil constitutionnel, une disposition qui oblige celui-ci à exiger, par décision de sa part, la communication annuelle et quand il l’estime nécessaire, puisqu’il est le seul compétent pour le faire, d’un certificat médical à jour de l’état de santé du Président de la
République. Cette procédure constitutionnelle permettra au Conseil constitutionnelle de se tenir au courant de la santé du Président de la République et de jouer son rôle de
déclencheur d’alerte que lui confie la Constitution.

La suite dans une prochaine partie… 

 

Par BENHENNI Abdelkader, Docteur en droit et ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel en Algérie 

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