La gouvernance dans la conscience collective est tout simplement l‘opposé de la bureaucratie, de la concentration des pouvoirs et des décisions arbitraires. Elle fait référence plutôt à la démocratie, à la légitimité, à une conception partagée du devenir commun et à une participation citoyenne dans les choix publics. Mais elle renvoie surtout à des valeurs intellectuelles et morales telles que : égalité, justice, civisme, intérêt général…etc. qui font perpétuer la dignité et la noblesse du service public.
Pour le modèle actuel de gouvernance en Algérie, la source de sa crise de légitimité, est le
poids de l‘appareil administratif qui se substitue au rôle des élus dans le choix et la gestion
des politiques publiques. Ce genre de problème n‘est pas spécifique à l‘Algérie. Son
apparition date depuis la naissance du concept de l‘Etat. Au début, pour les démocraties,
l‘administration été une élémentaire continuation de l‘Etat. Mais les hommes politiques
appréhendaient déjà le rôle des administrateurs vu la continuité du pouvoir et du savoir qu‘ils représentent.
En effet, les hommes politiques passent et les administrateurs subsistent. A titre d‘exemple, Mr BOUCHAMI Ex P/APC Annaba, note que « Lorsque le P/APC fait des arrêtées ils ne sont pas exécutable. Même la police ne les applique qu‘après approbation du Wali ».
Rappelons que le P/APC est un élu et que le Wali est un administrateur nommé. En Algérie, en 1962 après l‘accession du pays à l‘indépendance et le départ massif des colons, l‘Algérie s‘est vue confrontée à un autre épiphénomène, celui des postes vacants. M. CÔTE relate assez bien cette situation en précisant qu‘« A l‘indépendance, le pays se trouvait dans
un état de désorganisation profond, par suite des destructions de la guerre, du départ précipité de la quasi-totalité des Européens, et du manque flagrant de cadres, dans quelques secteurs que ce soit de la vie économique ou administrative ».
S‘appuyant sur ce constat, le jeune Etat algérien voulait légitimement remplir ses missions
institutionnelles et son devoir incontestable d‘administration des affaires du pays. En
s‘engageant d‘un bout à l‘autre et vigoureusement dans toutes les sphères de la vie publique politique, économique et sociale. Ceci afin de pallier les déficits et dans un souci de gagner le pari de la post-indépendance.
Ce défi à été relevé, entre autres, grâce à l‘adoption d‘une nouvelle constitution en 1963. Et surtout grâce à l‘instauration d‘un puissant secteur public considéré comme levier de
l‘économie nationale. Mais avant tout un outil de politique sociale, dans une démarche de consolation et comme une réponse à la soif de l‘époque du peuple algérien de justice sociale et loin de toute rationalité économique.
Durant cette époque, le mouvement des réformes s‘est concentré sur la concrétisation et
l‘officialisation de la nouvelle souveraineté nationale. Au moyen de l‘algérianisation de
l‘administration et le remaniement de sa règlementation et des lois encadrant son
fonctionnement. Cependant, la domination transcendante du FLN parti unique à l‘époque s‘est reflétée par une politisation de l‘administration.
Face à la persistance de ce constat, l‘Algérie est secouée durant les années 80 par une crise
socio-économique et des aspirations de démocratisation sur le plan politique. Cette crise s‘est soldée par un désengagement partiel de l‘Etat sur le plan économique et des réformes
structurelles sur le plan politique. Ceci, dans un but d‘instaurer une économie de marché et le ralliement de l‘économie nationale au processus de la mondialisation.
Ces réformes prescrites par le Fonds monétaire international avaient pour objectifs la
diminution des dysfonctionnements structurels de l‘Etat, le redémarrage de la croissance et la réduction de l‘inflation dans un but de redressement de l‘économie nationale et de justice
sociale. C‘est dans cette conjoncture que des réformes structurelles des institutions Etatiques et des collectivités locales sont engagées. L‘une de ces réformes clés est le nouveau dispositif juridique instauré par la loi N°90-08 et la loi N°90-09 relatives respectivement à la wilaya et à la commune. Cette réforme vise nt l‘instauration d‘une décentralisation des collectivités locales.
Mais dans la réalité, la décentralisation en Algérie n‘a jamais dépassé le seuil d‘une
déconcentration des pouvoirs administratifs du sommet de l‘Etat vers les directions
d‘exécutifs et des agences déconcentrées de l‘Etat au niveau des wilayas et à moindre degré au niveau des communes.
Durant les années 70, l‘Algérie qui a choisi d‘adopter son modèle de développement
économique sur la théorie des « industries industrialisantes » dont les lignes directrices et la philosophie …ont été portées et abondamment développée par G. Destanne DE BERNIS dans le courant des pôles de croissances prônés par François PERROUX. Ce courant préconisait comme moteur de développement les industries « industrialisantes » avec à leur tête : les industries chimiques, la sidérurgie et les matériaux de construction.
L‘auteur note à cet effet que : « La mise en place d’une telle structure industrielle cohérente ne peut se faire qu’à partir d’industries que l’on peut qualifier d‘industrialisantes, si l’on entend par là celles dont la fonction économique fondamentale est d’entraîner dans leur environnement localisé et daté un noircissement systématique de la matrice interindustrielle et des fonctions de production grâce à la mise à la disposition de l’entière économie d’ensembles nouveaux de machines qui accroissent la productivité du travail et entraînent la restructuration économique et sociale de l’ensemble considéré en même temps qu’une transformation des fonctions de comportement au sein de cet ensemble ».
Un modèle polarisé sur l‘entreprise publique, et une planification centralisée, jalonnés par des plans consécutifs de développement marquant la domination de l‘administration sur la gestion des affaires publiques. Marc COTE note à cet effet que : « Le maitre d‘ouvrage en était l‘Etat.
L‘absence d‘une bourgeoisie active et fortunée, l‘idéologie élaborée au cours de la guerre, le contexte international de l‘époque, tout poussait à accorder à l‘Etat un rôle privilégié : il fut le planificateur, l‘investisseur, le gestionnaire, quitte pour lui à déconcentrer une partie de ses pouvoirs au niveau de la wilaya. La planification était assurée par un secrétariat d‘État, devenu par la suite ministère du plan. Chaque ministère, chaque organisme d‘état, établissait également sa planification ».
Pour ces diverses raisons, le jeune Etat providence algérien, confronté à un secteur privé
impuissant et une société civile quasiment inexistence, s‘est vu contraint à adopter certains
choix systémiques en matière de gestion des affaires publiques. Ces choix ont abouti à un Etat très présent sur toutes les sphères de la vie économique, politique et sociale. Mais surtout, à une forte administration constitué en tant qu‘unique vecteur du développement et de cohésion sociale.
La crise de la dette des années 1980 et le bouleversement qu‘a connu le marché pétrolier à
cette époque, ont eu des conséquences importantes sur les pays exportateurs, dont l‘Algérie. Il faut rappeler que l‘Algérie dépend, jusqu‘aujourd‘hui à 70 % de sa fiscalité des recettes pétrolières.
Ce qui a constitué une sérieuse incertitude quant à l‘aptitude de l‘Etat à administrer seul l‘économie et la société. Cet état de fait, a amené l‘Etat algérien à se dessaisir de certaines de ses prérogatives, surtout économiques. Cette conversion politicoéconomique à fait basculer, à l‘époque, l‘administration algérienne dans une impérieuse crise identitaire, que l‘Etat s‘est éprouvé à maitriser par des formules de stabilisation conjoncturelle.
En ce qui concerne, les années 1990, cela à été plutôt une décennie de douloureuses
transitions économiques et politiques. C‘est sur fond d‘insécurité grandissante que les
Algériens et leurs institutions ont résisté. A cette époque, la presse mondiale parlait presque de guerre civile et de violence terroriste en Algérie. Cette phase de régression économique et d‘abattement social a vu naître un volontarisme politique pour la concrétisation des premières dispositions structurelles suivies dès 1994, par le programme d‘ajustement structurel matérialisé par des réductions des effectifs administratifs.
Enfin les années 2000, ont été des périodes de redéfinition de la ligne de conduite des
réformes administratives sur la gouvernance. C‘est dans un souci de cohérence entre la gestion des affaires courantes et une démarche globale de gestion des missions à long terme que ces réformes sont menées. Déjà la constitution de 1996 avait donné les prémices de cette nouvelle ligne de conduite, l‘article 23 stipule que : « L’impartialité de l’administration est garantie par la loi ».
En plus du programme d‘ajustement structurel, où pour la première fois, l‘Etat algérien assume ouvertement le fait que le système décisionnel est démesurément centralisé et que par conséquent il est inefficace et coûte donc très cher pour son fonctionnement.
Dans cette perspective, l‘Etat algérien a dressé en avril 1994, un certain nombre d‘objectifs à atteindre en termes de réforme de l‘appareil administratif, parmi lesquels on trouve :
– Le réaménagement de l‘appareil administratif en prenant en compte les nouveaux rôles de l‘Etat (le retrait partiel de l‘Etat de la sphère économique) dans un souci de modernisation interne.
– La libération de la tutelle des entreprises publiques stratégiques, mais qui reste tout de
même centralisée.
– L‘engagement du processus de déconcentration des administrations locales dans une
optique de réajustement du centre de décision et d‘une plus grande responsabilisation des
élus locaux.
– La restitution de l‘initiative en matière d‘investissement public au niveau local, à travers
le transfert de certains pouvoirs centralisés vers les walis. Face à cet état de fait, en l‘absence d‘une démarche cohérente en matière de choix et des finalités des réformes engagées, en plus, du flou persistant dans les prérogatives, les champs d‘intervention de l‘administration, ses limites, ses interrelations avec les élus et la société d‘une manière générale, l‘appareil administratif algérien demeure jusqu‘à aujourd‘hui bureaucratique, excessivement centralisé et très largement en position de dominance par rapport aux élus locaux.
Par Djamel TELAIDJIA, Ingénieur en aménagement et Magister en aménagement