C’est une question très osée à laquelle a tenté de répondre le chercheur Elyamine Settoul est maitre de conférences au Conservatoire national des arts et métiers et docteur en sciences politiques de l’Institut d’études politiques de Paris. Dans une longue contribution publiée dans le prestigieux média universitaire australien The Conversation , ce chercheur a décrypté les différences et similitudes entre la mouvance Daech et les groupes armés algériens.
Et d’après l’analyse de cet expert, comme en Algérie durant les années 90, une large part des combattants de Daech provenait « des territoires les plus relégués de leur société d’origine et ont été fascinés par l’utopie politico-religieuse du projet califal ». Le même chercheur en veut pour preuve afin d’étayer ses propos les statistiques de l’Unité de coordination de lutte antiterroriste (Uclat) qui sont, à cet égard, très instructives : parmi les 265 djihadistes français morts jusqu’en septembre 2017 dans les régions syro-irakiennes, près de 55 % de provenaient de zones urbaines reléguées et conjuguaient des difficultés sociales protéiformes (échec d’intégration, antécédents judiciaires).
« Mais ces deux mouvances présentent également de nombreuses divergences. L’une des plus frappantes concerne la sociologie ainsi que la nature des motivations des recrues. Le djihad algérien des années 1990 s’était cantonné à un recrutement de combattants nationaux essentiellement composé de hittistes, ces « teneurs de murs » désœuvrés et déclassés des grandes agglomérations », décrypte l’auteur de cette contribution selon lequel « avec près d’une centaine de nationalités, le vivier de recrutement de Daech a eu un caractère éminemment globalisé ».
En effet, Daech a formé « une mosaïque sociologique beaucoup plus complexe et hétérogène, agrégeant des jeunes hommes et femmes, attirés certes par le projet d’une société musulmane idéale mais également par des motifs aussi divers que la quête d’adrénaline, le désir d’escapisme, d’héroïsation ou encore de réparation (inceste, viols…) », constate le même chercheur qui ne manque pas de souligner enfin un important trait de distinction entre Daech et les groupes islamistes armés algériens des années 90.
Ce trait distinctif « réside dans le mode de propagation des idées djihadistes ». « En Algérie, la radicalisation de la jeunesse s’est principalement réalisée à l’ombre des mosquées, seules véritables espaces d’expression et de contestation en dehors des radars étatiques. C’est à l’intérieur de ces espaces que se sont cristallisés et développés des discours de rupture véhiculant l’idée d’une altérité irrémédiable entre le « eux » et le « nous » », assure le chercheur Elyamine Settoul.
En revanche, avec Daech, les idées djihadistes se sont déployées de manière horizontale via des espaces de rencontre et de socialisation extrêmement variés (Internet, prisons, halls d’immeubles, clubs de sport..). « Ceci a eu pour effet de diluer le phénomène sur l’ensemble du corps social, le rendant par là même difficilement détectable par les services de renseignement », conclut enfin l’expert qui vient de défricher un terrain très complexe en nous fournissant des lectures novatrices concernant les dangers du radicalisme religieux.