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lundi, juin 5, 2023

Décryptage. Des propositions concrètes pour responsabiliser chaque dirigeant algérien envers le citoyen

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Tous les acteurs de l’Etat doivent normalement répondre aux besoins et aux attentes des citoyens et travailler uniquement dans l’intérêt de ceux-ci. C’est le fondement de la redevabilité et de la responsabilisation de l’administration devant le citoyen, directement ou via ses représentants élus (Président, députés, maires) qui, à leur tour, doivent être redevables auprès du citoyen qui les a choisis.

Malheureusement, la redevabilité envers le citoyen arrive en dernière place aujourd’hui dans la liste des motivations auxquelles répondent la plupart des responsables publics, à tous les niveaux (de l’agent de l’Etat au haut fonctionnaire et quel que soit le niveau des responsables élus). En effet, en l’absence d’instruments et de canaux permettant aux citoyens de responsabiliser les institutions (vote libre et transparent, droit d’association, libertés publiques, accès à l’information, indépendance de la justice, moyens de contestation des décisions, mesure transparente et indépendante de la qualité des services
publics, etc.), il n’est pas surprenant que la redevabilité devant le citoyen figure généralement en dernière place dans la liste des incitations auxquelles répondent les institutions.

C’est cette absence de redevabilité qui favorise la pérennité de règles informelles, conduisant à des comportements contraires à l’intérêt général et, au quotidien, au mauvais service rendu au citoyen.

Ainsi, « Changer de système » revient à affecter les incitations de chaque responsable, pour que l’intérêt et les attentes du citoyen prennent plus de poids dans cette liste d’incitations auxquelles chacun répond. Imaginer que seul l’intérêt du citoyen compte pour chaque responsable est illusoire. Le « système » d’incitations, les réseaux, les loyautés, les amitiés, les hiérarchies informelles et les influences ne se transformeront pas par miracle.

Il est néanmoins impérieux de les contrebalancer en réduisant leur poids au profit d’un comportement de redevabilité devant le citoyen. Chacun à ainsi une part de la solution pour changer le système. Chaque représentant de l’Etat peut, à son échelle, changer son comportement et devenir un acteur du changement de « système ». Il lui suffit
de trouver la manière qui permette de rendre son institution – ou lui-même – plus redevable devant les citoyens qu’elle est censée servir.

Les propositions de ce chapitre œuvrent précisément à introduire des mécanismes de redevabilité des responsables publics, à tous les niveaux. Leur objet est de diminuer les mauvaises influences qui détournent les institutions de leur mission et d’accroître la redevabilité envers le citoyen. Ces mécanismes sont de trois ordres : internes aux institutions, internes aux individus et, facteur le plus novateur, en intégrant un nouvel acteur chargé du contrôle direct de l’action de l’Etat ; le citoyen ou la société civile de manière générale.

Les exemples suivants de pratiques indues et courantes de la part de fonctionnaires ou d’élus donnent une idée du type de réformes à mettre en œuvre pour réduire ces pratiques, en rendant les responsables plus redevables envers les citoyens :

Un fonctionnaire d’une administration locale qui abuse de sa position (octroi d’agrément,
blocage dans la délivrance d’une autorisation ou document administratif, contrôle abusif,
distribution de logement social à des proches, etc.) ;

Le douanier qui laisse passer des marchandises moyennant rétribution, ou par connivence avec un entrepreneur privé, ou même sur ordre d’un responsable en dehors de l’institution
douanière ;

L’inspecteur des impôts qui soit ne contrôle pas soit valide de mauvaises déclarations de la part des citoyens, des entreprises etc. ;

L’agent d’administration qui fait traîner une démarche administrative en vue de recevoir un
« dessous de table » ;

Le banquier du secteur public qui octroie des crédits sur des critères non liés à la viabilité du projet ;

Le maire qui utilise son pouvoir local pour s’enrichir, ne s’intéresse pas aux problèmes des
citoyens ou ne se montre pas impartial dans ses réponses aux attentes des citoyens etc. ;

Le Wali qui favorise des projets sur des critères autres que le surplus collectif, qui bloque des projets pour avoir des privilèges, qui ne responsabilise pas ses services, n’essaie pas de répondre aux problèmes des citoyens, ou qui alloue le domaine foncier de l’Etat sur des critères autres que l’intérêt public ou des logements sociaux à des bénéficiaires qui n’y ont pas droit ;

Le responsable d’administration qui laisse subsister des flous juridiques ou un ensemble de
règles contradictoires pour pouvoir garder une « épée de Damoclès » sur les usagers, les
citoyens, les entreprises ;

Toutes ces situations ne se produiraient pas aussi fréquemment si l’institution et la hiérarchie de ces fonctionnaires étaient redevables auprès du citoyen et veillait à ce qu’ils fassent leur travail selon les règles formelles. Elles ne se produiraient pas non plus de manière aussi généralisée (sauf exception des personnes foncièrement malhonnêtes) si les fonctionnaires étaient convaincus que la raison d’être de leur travail est de servir le citoyen en respectant les règles formelles (loi, procédures administratives etc.).

Enfin, elles seraient rendues beaucoup plus difficiles si l’action publique était continuellement soumise au contrôle des citoyens, directement ou indirectement (presse, médias sociaux, accès à l’information, évaluations indépendantes, etc.). Nous ne sous-estimons pas le fait que changer son comportement, surtout lorsqu’il provient de règles informelles auxquelles on a du mal à se soustraire, est souvent très difficile, notamment dans les premières années de transition.

Trois facteurs doivent être rapidement combinés pour parvenir à transformer les incitations des responsables publics et des fonctionnaires en véritables acteurs du changement :

Un comportement honnête et responsable de la part des représentants de l’Etat et des élus
(d’où l’importance primordiale de la formation, de la sélection et du niveau de rémunération des fonctionnaires).

Des mécanismes incitatifs (et punitifs) à l’intérieur des institutions pour responsabiliser et
rendre redevables les représentants de l’Etat et les élus et les pousser à intégrer dans leur
comportement un devoir primordial de servir le citoyen et lui rendre des comptes. Au contraire, une bonne partie des efforts des responsables doit être consacrée à renforcer, protéger et constamment encourager une dynamique vertueuse (professionnalisme, honnêteté et redevabilité devant le citoyen etc.): une formation adaptée, la pression et l’exemple de la hiérarchie sont indispensables pour que les fonctionnaires et élus à tous les niveaux soient imprégnés de la culture du service public et de l’intérêt général.

Enfin, une société civile qui se dote de moyens d’actions, indépendamment de l’Etat, pour
évaluer l’action publique, responsabiliser et discipliner les institutions, voire discipliner et
responsabiliser les individus lorsque le contrôle et la transparence peuvent être établis à
l’échelle locale. La simple vertu des acteurs publics (simples ou hauts fonctionnaires, élus) n’est en effet pas suffisante. Notre postulat, conforté par les exemples de réussite durable à l’échelle internationale, est que sans une implication directe de la société civile, l’impact de ces incitations « internes aux institutions » risque d’être limité. Le citoyen doit retrouver toute sa place : s’organiser pour améliorer son quotidien, définir des intérêts communs et les défendre,  être force de proposition pour résoudre les problèmes auxquels il est confronté à tous les niveaux.

Les réformes de la gouvernance que nous proposons s’appuient ainsi sur quatre leviers majeurs :

I. Faire de la redevabilité et de la responsabilisation de l’Etat et de ses institutions vis-à-vis du citoyen le socle de l’action publique ;

II. Créer un cadre permettant à la société civile de se doter de réels outils de contre-pouvoir ;

III. Lever les obstacles qui entravent l’indépendance et l’autonomie des institutions, au-delà des textes existants qui ne les consacrent qu’en théorie ;

IV. Transformer l’Etat en catalyseur du développement économique et social à l’horizon 2020 par le biais d’institutions d’excellence. Ces quatre leviers viennent répondre à des déficiences structurelles de la gouvernance. Y correspondent dix chantiers de rupture qui seront détaillés ci-dessous. La figure suivante résume la stratégie de réforme de la gouvernance publique que nous proposons, en explicitant les déficiences structurelles, les
leviers de réforme correspondants et les chantiers de rupture pour les réaliser.

Par le collectif NABNI 

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