Quarante cinq (45) agents des services de l’ordre et 17 supporters ont été blessées, mardi à Jijel, lors de violences ayant émaillé le match CR Village Moussa- MC Alger pour le compte des 16es de finale de la Coupe d’Algérie de football. Encore des scènes de violences qui choquent les Algériens. La violence dans les stades est un fléau qui s’enracine dans notre pays. Mais pourquoi de telles violences dans nos stades de football ? Pour obtenir des réponses à cette question complexe, Algérie Part vous propose de lire ce travail de recherche mené par un chercheur en anthropologie sociale et culturelle.
Le stade est un lieu de mixité sociale ou l’on rencontre toutes les classes sociales mais il
est aussi en Algérie (dans un pays qui se targue de l’égalité des sexes) un lieu
exclusivement réservé à la gente masculine malgré certaines tentatives qui ont
échoués car les stades en Algérie ne sont pas équipés pour recevoir les familles.
Le stade est l’un des rares lieux de rassemblement où peuvent se retrouver des milliers de
gens venus se défouler, oublier le stress, dégager leur énergie et participer au vaste
mouvement de soutien populaire parfois inconditionnel : c’est le phénomène des
supporters.
Ils ont un rôle déterminant dans le financement des clubs et l’animation des
stades et permettent aux joueurs de donner le meilleur d’eux-mêmes sur le terrain. Ils
représentent également une forme de contre-pouvoir face aux dirigeants de l’équipe. On
les surnomme le « douzième homme ». Les fans d’un même club peuvent s’organiser en
mouvements appelés groupes ou associations de supporters.
L’idée selon laquelle, le football endort les masses et les détourne de leur conscience et de leurs tâches politiques a été défendue par de nombreux chercheurs et penseurs. Ces derniers soutiennent la théorie de l’aliénation, selon laquelle le football serait une sorte d’opium du peuple qui servirait à distraire les individus et les populations. D’autres tels Youcef Fatès considèrent plutôt le stade comme un espace d’expression et de contestation sociale et politique (difficile de concrétiser ailleurs). « Le stade est un espace de liberté dans lesquels ces jeunes viennent s’extérioriser, crier une joie de vivre ou exprimer une rage d’être, voire un désir de paraître », expliquait à ce propos Dominique Bodin dans son ouvrage « La déculturation du public du football comme facteur du hooliganisme. Mythe ou réalité ? »
Se défouler de la monotonie de la vie quotidienne
Dans un pays comme l’Algérie où les loisirs sont très limités, Les jeunes profitent des
événements sportifs pour se défouler de la monotonie de la vie quotidienne. Ces formes
d’exutoire où se rassemblent de grands nombres de supporters sont l’occasion de créer
des ambiances de fêtes, mais peuvent aussi déboucher sur des violences collectives.
Effectivement, le sport a des facettes antagonistes par le fait qu’il a des valeurs qui
rassemblent (esprit d’équipe, joie, entraide, etc.), mais également certaines qui opposent
(résultat, déroulement du match, arbitrage, etc.). Cette violence qui a toujours existé dans
le sport de compétition, fut aussi l’une des caractéristiques qui a accompagné le football
depuis sa création. Nous citerons l’exemple des violences qui ont accompagnées le jeu de
soule1 au moyen âge et celles qui ont accompagnées la pratique (du football) en 1868
avant que l’on assiste à sa séparation avec le rugby.
.
Aujourd’hui, les actes de violence touchent tous les sports et tous les âges, peuvent
survenir brutalement n’importe où, et prendre différentes formes (violence entre
pratiquants, envers l’arbitre, les dirigeants, les supporteurs entre eux, …) Cette situation
porte non seulement atteinte aux valeurs portées par le sport, mais constitue dans certains
cas une atteinte à l’ordre public et à l’intégrité physique des individus.
La « Rojdla’3″…
Ces violences physiques et surtout symboliques (résultants de la culture juvénile, du
phénomène de ‘rodjla’3 ainsi que de l’absence de contrôle social) déployés dans les
stades, au cours des matchs de football expliquent aussi en parti l’absence de l’élément
féminin sur les tribunes de nos stades. Le football est violent par nature ; il suffit d’observer les contacts qu’il entraîne et qu’il crée, dans sa quête de performance et de compétition perpétuelle. Dans tous les sports, à tous les échelons de la pratique, dans tous les pays, chez les amateurs comme chez les professionnels, la violence sportive sous toutes ses formes se manifeste à longueur d’année.
Il suffit de consulter attentivement la presse pour se rendre compte, non seulement de sa fréquence et de sa gravité, mais aussi de sa banalisation.
Beaucoup de jeunes vont au stade pour se défouler, la permissivité qui y règne fait
que les forces de l’ordre ne les interpellent pas pour qu’ils cessent leurs provocations car
n’étant pas instruit pour cela. Ces dernières commencent par des violences verbales qui
aboutissent souvent à des violences physiques. Cette violence se traduit, généralement,
par des actes hostiles à l’encontre des joueurs et des dirigeants du club que les jeunes
supportent. Mais, souvent, ce sont les supporters qui sont victimes des violences d’autres supporters.
Chaque saison apporte son lot d’incidents dans les enceintes sportives (différents articles de presse illustrent ce phénomène) ; menaces, dégradations de biens, blessés et même morts sont souvent à déplorer. Les formes de violences liés à ce sport sont diverses et identifiables, tel la violence verbale, physique ou symbolique. Certains sociologues comme Luc Collard, s’appuyant sur des expériences vécues par les jeunes et les sportifs défendent l’hypothèse selon laquelle le sport procèderait à un véritable façonnage de l’agressivité. A peu près dans le même fil d’idées, Christian Bromberger et d’autres chercheurs défendent la thèse selon laquelle le football serait « le vecteur de puissantes charges d’émotions » et générerait sa propre violence.
Ils iraient jusqu’à comparer dans la terminologie qu’ils utilisent le football à une guerre aussi bien dans ses effectif que dans ses objectifs. Pour eux, les métaphores militaires
caractériseraient les commentaires journalistiques et le vocabulaire technique utilisé pour
s’exprimer dans ce sport. On utilise des termes comme : capitaine, défenseur, attaquant
pour parler des joueurs. Conquête du ballon, charge ou tir à canon pour parler des actions.
Pour eux, « Chaque affrontement prend ainsi toute les apparences d’une guerre ritualisée
avec force sollicitations des emblèmes nationaux (hymnes, drapeaux, présence des chefs
d’État) et recours à des métaphores guerrières : « attaquer », « tirer », « défendre », «
conquête », « gardien », « capitaine », « territoire », « tactique », « victoire »… »4 qui
sont utilisés dans ce sport comme si il s’agissait d’une guerre. On compare aussi la
préparation des supporters à une campagne militaire avec la fabrication ou la réfection
des emblèmes, le port d’habits ou d’uniformes, de perruques et d’écharpes aux couleurs
de leurs équipes.
La famille, l’école et le quartier…
Selon une autre hypothèse une partie de l’explication de cette violence résiderait dans les
violences véhiculées au sein de la famille, de l’école, du quartier, de l’économie, de
l’histoire lointaine ou contemporaine et du contexte social et économique dans lequel
vivent les Algériens. Selon ces derniers, c’est ce complexe de violences cumulées qui irait
se déverser sur les stades. Nous ne pouvons donc pas porter d’accusations directes
seulement vers le football (en le qualifiant de sport provocateur). N’oublions pas que les
jeunes d’aujourd’hui sont nés au début des années 1980 et qu’ils ont passé leur enfance
dans le contexte de violence, de la décennie noire des années 1990.
Pour les tenants de cette seconde hypothèse, la violence dans la société et la violence
dans le football entretiennent à l’évidence des relations étroites. Il s’agit donc d’essayer
de comprendre pourquoi et comment la violence présente dans la société trouve une
expression particulière dans le football. Il est clair déjà que le rassemblement des foules
qui crée un contexte d’anonymat joue un rôle important et favorise le passage à l’acte de
violence surtout lorsque certains facteurs (déclencheurs sociaux et économiques) sont
présents. Le stade où se rassemblent les jeunes par milliers peut créer l’occasion d’un
prolongement de la violence qui a débuté ailleurs dans la société.
Par exemple lors des violences urbaines qui ont sévit l’Algérie en janvier 20111, les
matchs du championnat de football, des deux premières divisions professionnelles et de
la division « amateur » qui devaient se dérouler vendredi 7 et samedi 8 janvier 2011, ont
été annulés préventivement par la Ligue professionnelle (Sous ordre politique) afin
d’éviter le rassemblement des jeunes. On attribut souvent la violence que l’on croise quotidiennement à l’absence de but, d’objectifs et de perspectives (réalisables) pour une jeunesse désœuvrée, qui souffre de tous les maux sociaux, qui éprouve un sentiment de marginalisation et un profond besoin d’exprimer sa haine et le rejet de son sort. Mais il faut être conscient que la misère sociale ne crée pas forcement la délinquance, et c’est donc aussi à l’éducation qu’incombe cela.
L’éducation de notre jeunesse autour de certaines valeurs comme « la rodjla» y est pour
quelque chose dans l’aboutissement à ce genre de violences. Car dans l’imaginaire de ces
jeunes à travers le match de football il s’agit aussi de défendre l’honneur et la renommée
de l’équipe à laquelle on appartient !
Il existe aussi d’autres facteurs qui peuvent faire pression et surchauffer les gradins et sur
lesquels nous ne nous attarderons pas, car ne constituant pas l’objectif principal de notre
recherche tel le rôle de la presse sportive qui manque de professionnalisme, les drogues,
les psychotropes, les infrastructures inadéquates, les erreurs d’arbitrage, le comportement
de certains dirigeants et l’inefficacité ou carrément l’absence de comités de supporters.
L’idée qui assimile le public comme « douzième homme » de l’équipe a un effet
boomerang. Parce que bien que sollicités pour agir, sur les gradins ainsi que dans le débat
(ce que les supporters acceptent volontiers puisque ce rôle leur donne de l’importance) ils
ne manquent pas néanmoins en retour de demander des comptes lorsqu’ils ne sont pas
satisfaits. « Le supporter veut à la fois être un individu, être égal aux autres, être
acteur de sa propre vie et être visible, toutes choses qui culminent dans le fait de
vouloir devenir un acteur à part entière du football et non pas seulement un spectateur.
Cette «rage de paraître» n’implique pas nécessairement la violence, juste le désir d’être
spectaculaire. Mais ce désir peut s’accompagner de violence : parce que celle-ci permet
alors de dramatiser la signification de valeurs et d’idées ou parce qu’elle est un instrument
efficace pour transformer un contexte social et donner à éprouver une existence ».
REHAÏL Tayeb, chercheur en Anthropologie Sociale et Culturelle à l’université d’Oran