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jeudi, mars 28, 2024

Décryptage. Avec quelle manière la guerre en Ukraine va se terminer ?

Si les guerres prennent invariablement fin, les désaccords sous-jacents ont souvent la vie dure. La paix est précaire et interrompue par des spasmes de violence. La manière dont une guerre se termine – soit par une victoire pure et simple, soit par épuisement, soit par dissuasion mutuelle – risque bien de faire une différence, même si un épuisement a moins de chances d’empêcher de futures poussées que, par exemple, la défaite massive d’un des acteurs. Mais cela n’est pas garanti. Cela ne signifie certainement pas que certains types de paix ne valent pas la peine d’être recherchés.

Les exemples d’acteurs autrefois belligérants sont légion – Corée du Nord et du Sud, Éthiopie et Érythrée et Serbie et Kosovo nous viennent à l’esprit. Ces acteurs connaissent à présent l’équilibre d’une paix fragile. Le Japon et la Russie n’ont pas encore conclu officiellement les hostilités de la Seconde Guerre mondiale, en raison de leur conflit persistant au sujet des îles Kouriles. Malgré la signature d’une trêve en 1994, l’Arménie et l’Azerbaïdjan n’ont pas conclu d’accord de paix permanent sur le Haut-Karabakh : de nouveaux affrontements ont eu lieu l’année dernière.

Bien que les tensions persistantes et les violences intermittentes ne soient évidemment pas une issue idéale, les guerres brutales, sanglantes et souvent prolongées qui ont précédé ces périodes de paix fragile ont été pires. En fait, ceux qui résistent à une paix imparfaite – en restant engagés plutôt à une « paix juste » obtenue vraisemblablement par la défaite pure et simple de leurs opposants – finissent souvent dans une pire situation. Cela a été le cas pour les Palestiniens. Et l’Ukraine semble sur le point de connaître le même sort.

Lors de sa courte visite aux États-Unis le mois dernier, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a réitéré que son pays n’accepterait rien de moins que le retrait total de la Russie du territoire ukrainien, y compris de la Crimée. Mais en dépit des succès extraordinaires sur le champ de bataille de l’Ukraine et du soutien continu de l’Occident aux forces ukrainiennes, il est peu probable qu’elle va vaincre purement et simplement un envahisseur bien supérieur en nombre.

C’est en partie parce que l’Occident continue de graduer ses approvisionnements en armes à l’Ukraine. Certes les États-Unis ont maintenant décidé de fournir aux forces ukrainiennes des systèmes avancés de défense antimissile Patriot – autrefois considérés comme trop risqués. Ce mois-ci, les États-Unis ont accepté d’envoyer un paquet supplémentaire comprenant des armes offensives. Mais pour préserver l’unité de l’OTAN et éviter l’escalade, l’administration du président Joe Biden évite de livrer des armes qui dépassent de loin les capacités des combattants ukrainiens, y compris celles fournies par d’autres pays de l’OTAN.

Les décisions concernant l’approvisionnement en armes de l’Ukraine reflètent probablement aussi l’évolution de la politique de guerre en Russie. Ces derniers mois, un schisme s’est fait jour au sein du Kremlin, dans lequel les partisans de la ligne dure ont appelé à une stratégie plus audacieuse en Ukraine. Cela pourrait pousser le président Vladimir Poutine – qui vient de nommer un nouveau commandant, peut-être en réponse à des critiques croissantes – à intensifier le conflit, à franchir les lignes rouges vis-à-vis de l’Occident et à intensifier la répression à l’intérieur du pays. Les nouvelles sur les unités russes à un point de rupture, prêtes à déserter ou à se rendre, pourraient également avoir un impact majeur sur la position nationale de Poutine.

Au début de l’année, Zelensky a noté que « la Russie a peut-être fait le pari de l’épuisement » du peuple, de la défense aérienne et du secteur énergétique ukrainiens. Il a probablement raison. Ce qu’il ne semble pas reconnaître, c’est que le soutien des États-Unis et de leurs alliés de l’OTAN peut maintenir ses forces sur le long terme. Aussi admirablement que les Ukrainiens se comportent sur le champ de bataille, ils sont plus près de l’épuisement que leurs opposants russes.

Tout d’abord, la réserve de combattants potentiels de la Russie est beaucoup plus importante. Oui, la « mobilisation partielle » de Poutine a été accueillie par des manifestations publiques et par un exode de centaines de milliers de conscrits potentiels. Mais les efforts de recrutement de l’Ukraine n’ont pas non plus été exempts de problèmes. Beaucoup de ceux qui ont fui la guerre refusent de retourner au combat et des combattants réticents seraient recrutés dans les rues. Quoi qu’il en soit, la population de la Russie est plus de trois fois supérieure en nombre à celle de l’Ukraine.

Plus important encore, la guerre est menée en masse sur le sol ukrainien. Ainsi, alors que les attaques incessantes de drones et de missiles ont démoli les infrastructures ukrainiennes (entraînant des pertes directes d’environ 130 milliards de dollars en septembre dernier) et infligé des souffrances indicibles à ses civils (faisant 40 000 morts et 15 à 30 millions de personnes déplacées), les Russes ont continué à mener leur vie en grande partie sans changement.

Cela a eu lieu en dépit des sanctions occidentales, dont l’impact immédiat sur la population russe est limité. En 2022, l’économie de la Russie s’est contractée de seulement 3 à 4 % et le chômage a à peine évolué. En revanche, l’économie ukrainienne a diminué de 32 % et le chômage a grimpé à 35 %. Étant donné que la Russie, comme ses alliés iraniens, a beaucoup d’expérience dans le contournement des sanctions visant son industrie de défense, elle a également réussi à sauvegarder sa base industrielle de défense et à remplacer l’équipement militaire perdu.

Même si les sanctions vont éroder l’économie russe à plus long terme, le temps joue néanmoins en faveur de Poutine. Il espère que des frappes incessantes sur les infrastructures et sur des cibles civiles vont éroder le moral et la capacité de l’Ukraine à se battre, car des considérations économiques et politiques nationales affaiblissent la détermination de l’Occident. Il estime sans doute que la politique de la corde raide budgétaire des Républicains américains – notamment un accord qui pourrait limiter les dépenses de défense l’année prochaine – est très satisfaisante de son point de vue.

À la fin de l’année dernière, le Général Mark A. Milley, président des chefs d’état-major interarmées des États-Unis, a exhorté l’Ukraine à tirer parti des moments de faiblesse russe pour négocier une solution, car chasser entièrement la Russie hors d’Ukraine serait « une tâche très difficile ». Ses commentaires ont déclenché une réaction négative de la part de ceux qui les ont interprétés comme un signe de l’efficacité de la stratégie de Poutine. Mais les conseils de Milley méritent d’être pris en compte.

Il est probable que l’endurance guerrière de l’Ukraine va s’épuiser la première. Si les dirigeants de l’Ukraine refusent de négocier jusqu’à ce qu’ils aient dépassé ce seuil, ils finiront dans une situation bien pire que s’ils tentaient de négocier alors qu’ils ont encore des atouts en main. Compte tenu de l’histoire partagée profonde et périlleuse pour les deux camps, il est peu probable qu’un accord empêche de nouvelles éruptions de violence. Mais comme les États-Unis peuvent en témoigner, l’ère des victoires glorieuses est révolue. La paix par épuisement vaut mieux qu’aucune paix du tout.

Shlomo Ben-Ami, ancien ministre israélien des Affaires étrangères, vice-président du Centre international de Toledo pour la paix. Il a publié : Prophets Without Honor: The 2000 Camp David Summit and the End of the Two-State Solution (Oxford University Press, 2022).

Copyright : Project Syndicate, 2023.
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