En Algérie, l’Etat a pris corps à partir de l’Armée et non d’une bourgeoisie ou de la classe ouvrière, il s’impose à la société. L’armée est détentrice d’une légitimité historique qui la place en position de force. Forts de cette légitimité historique, les dirigeants algériens vont faire du secteur des hydrocarbures la source exclusive des revenus du pays rendant le recours aux importations incontournable à la satisfaction des besoins du marché local. C’est par l’économique et grâce à lui, que la population de ce pays est tenue constamment en échec par un pouvoir politique autoritaire. L’armée a réussi ce tour de force d’être à la fois la « tête » et le « bras » de l’Etat. Elle ne veut pas apparaître au-devant la scène pour ne pas assumer la responsabilité de ses actes. Certains analystes diront à ce propos : « Celui qui décide ne gère pas et celui qui gère ne décide pas ».
La confusion des pouvoirs entraîne une irresponsabilité dans la gestion qui mène vers l’impasse. Une situation qui perdure que grâce à la corruption quand les finances le permettent, et à la répression quand la sécurité du système l’exige. La décadence des mœurs et la persistance de la violence alimentent le cercle vicieux dans lequel s’est enfermé le pouvoir. L’armée, feint d’ignorer que « l’indépendance, ce n’est pas une récompense, c’est une responsabilité », Or une des défaillances de l’économie nationale réside dans l’irresponsabilité des vrais décideurs. Elle s’observe d’une manière presque caricaturale en Algérie. En effet, s’il existe un lien étroit et automatique entre autorité et responsabilité dans la logique d’un système libéral où la séparation des pouvoirs entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire est de rigueur. Il y a dictature, chaque fois que l’autorité est concentrée entre les mains d’un homme ou d’un groupe qui l’exerce sans responsabilité, sans contrôle, sans sanction positive ou négative. De cette dialectique autorité/responsabilité résulte l’équation suivante : Autorité sans responsabilité se nomme dictature, responsabilité sans autorité se nomme anarchie, l’idéal démocratique serait de conférer l’autorité optimum assortie d’un maximum de responsabilité compatible avec l’intensité du pouvoir exercé.
Après plus de cinquante ans de gestion sans responsabilité, deux enseignements à tirer : la première, c’est que l’absence de toute forme de responsabilité juridique de l’Etat vis-à-vis des opérateurs économiques privés ne pouvait aboutir qu’à un retrait voire une paralysie des interventions économiques privées ; la seconde c’est que la recherche tout azimut de l’engagement de la responsabilité de l’Etat débouche nécessairement sur une paralysie des opérateurs économiques publics d’où le gel en définitive par l’Etat du mouvement historique de la formation économique. Un pouvoir peut-être à la fois légal et légitime. C’est la situation la plus favorable mais elle est assez rare. Il peut être aussi légal mais illégitime. Il s’est mis en place et fonctionne dans le respect du droit mais sa politique déplaît à la population qui manifeste son désintérêt, son repli, proteste de diverses manières.
Se pose alors le problème de sa légitimité ? La question de légitimité du pouvoir se différencie de celle de la légalité. La légalité est le respect du droit en vigueur, qu’il s’agisse de la Constitution, des Lois, des Décrets, des Arrêtés. Un Etat légal est un Etat qui ne viole pas les règles juridiques en vigueur. S’il les modifie, il doit le faire en suivant les procédures requises dans les textes en vigueur. Certains organes doivent être prévus pour contrôler la légalité des actes et des organes de l’Etat et le cas échéant, sanctionner leur illégalité. La légitimité, par contre, est le fait pour les institutions publiques d’être acceptées par les populations concernées comme conforme à leurs vœux. Elles seront disposées à leur prêter leur concours. L’Etat aura tout naturellement une certaine efficacité. A l’opposé, un pouvoir sera dit illégitime, si la population concernée refuse de se reconnaître dans ce pouvoir et refuse de suivre ses initiatives. L’Etat sera alors très inefficace et tente de recourir à la force pour remplacer une acceptation spontanée par une acceptation forcée. Le système de pouvoir en vigueur repose sur le primat du militaire sur le politique, l’ingérence du politique dans l’économie, la priorité du court terme sur le long terme, et l’appel à l’extérieur sur la mobilisation interne condamnant la société à l’immobilisme et à l’incurie.
Par Dr. A. BOUMEZRAG