A cause de l’actuelle situation politique et de ses blocages qui paralysent de nombreux secteurs névralgiques comme celui de l’industrie pétrochimique, l’Algérie risque de perdre d’ici la fin de l’année plusieurs de ses clients qui achètent auprès de nos unités industrielles de l’ammoniac, de l’urée, des matières premières essentielles à la fabrication des produits fertilisants, des composants très demandés par l’agriculture moderne.
Il faut savoir qu’effectivement, l’ammoniac, un composé chimique, est utilisé principalement dans la fabrication d’engrais et de nombreux produits touchant une très grande variété de domaines, notamment comme gaz réfrigérant dans l’industrie de la réfrigération industrielle, tandis que l’urée en granulée est utilisée en agriculture pour fertiliser la terre. Le marché d’ammoniac mondial est d’à peu près 20 millions de tonnes. 4 à 5 MT sont consommées par le marché d’application directe au sol notamment aux USA.
L’Algérie dispose de trois sociétés industrielles spécialisées dans l’ammoniac, l’urée et les fertilisants ou la fabrication des engrais. La première, la Sorfert, une société de droit algérien et dont sont actionnaires Orascom Construction Industries (51%) et Sonatrach (49%), gère le complexe d’ammoniac et d’urée de Béthioua dans la zone industrielle d’Arzew. Cette plateforme, un investissement de 1,6 milliard d’euros, est composée de deux unités d’ammoniac de 2 200 tonnes par jour chacune et d’une unité d’urée en granulés de 3 450 tonnes par jour. Le complexe intègre, également, des utilités et des off-sites. Sorfert a mis en production cette usine, en 2015-2016, cette société a déjà exporté pour 500 millions de dollars vers l’Europe. En volume, elle a exporté environ 1 million de tonnes d’ammoniac et 800 000 tonnes d’urée, deux produits relativement chers sur un marché aussi concurrentiel que l’UE : l’urée y est vendue à 350 euros la tonne et l’ammoniac à 600 euros la tonne. Il est à souligner que les actionnaires égyptiens de la Sorfert ont fait récemment une fusion au cours de laquelle ils ont vendu leurs parts aux émiratis. Cette transaction internationale s’est déroulée dans la plus grande discrétion et l’Etat algérien n’a opposé nullement son droit de préemption comme il avait été révélé récemment dans l’une des publications d’Algérie Part.
L’Algérie abrite également le complexe de production d’ammoniac et d’urée de Sharika El-Djazaïria El-Oumania Lil Asmida (AOA), dont sont actionnaires le groupe Souhil Bahouane (GSBH) à hauteur de 51% et Sonatrach à hauteur de 49%, est, lui, composé de deux unités d’ammoniac d’une capacité de 2 000 tonnes par jour chacune et de deux unités d’urée en granulés de 3 500 tonnes par jour chacune, d’utilités et d’offsites. La plateforme AOA, une installation réalisée en EPC, contrat clé en main, située dans la zone industrielle d’Arzew, a nécessité la mobilisation de 2,626 milliards de dollars en investissements. Elle a été mise en place de façon à permettre une extension à l’avenir. AOA a pour objectif de satisfaire la demande domestique à moitié prix, par rapport au prix à l’exportation ; elle s’y est engagée.
L’autre fleuron de l’industrie pétrochimique algérienne s’appelle Fertial qui compte comme actionnaire la société Asmidal (filiale de Sonatrach). Cette entreprise fut très rentable auparavant grâce à des résultats positifs de l’ordre de 8,1 milliards DA en 2017 et 4,7 milliards DA en 2018, en dépit de trois mois d’arrêt de la production pour travaux d’entretien. Disposant de deux unités de production industrielle à Arzew et Annaba, Fertial est bloquée depuis l’enclenchement du Hirak à cause des enquêtes déclenchées sur l’acquisition par le PDG de l’ETRHB, Ali Haddad, de 17% des actions de Fertial en 2017. Les enquêteurs ont lancé également des investigations sur les soupçons d’un trafic international de la part de Villar Mir, le partenaire espagnol détenteur de 49% des actions de Fertial. Les transactions de l’entreprise ont été été passées au peigne fin pour déterminer s’il y a, bel et bien eu des transferts illicites de devise et un trafic entre Fertial et Fertiberia (la filiale espagnole du groupe Villar Mir).
Malheureusement, les problèmes politiques que connait l’Algérie ont fortement perturbé les activités industrielles de ces trois sociétés implantées dans notre pays. Fertial est presque complètement à l’arrêt à cause du gel de ses comptes bancaires qui avait duré de longues semaines nécessitant l’intervention récente du ministre des Finances, Mohamed Loukal. Les autres sociétés, Sorfert et AOA, ont été fortement ralenties également par les lenteurs de la délivrance des licences d’exportation au niveau du ministère de l’Energie et les énormes problèmes bureaucratiques qui se sont aggravés depuis le début du Hirak en raison de la panique suscitée au sein de l’administration algérienne par les enquêtes sur la corruption.
Dans ce contexte, les exportations algériennes de l’ammoniac, de l’urée ou des engrais ont chuté entre 30 et 40 % depuis l’été 2019. Des clients ayant fait des commandes auprès de Fertial ou des deux autres sociétés implantées en Algérie attendent la livraison de leurs clients depuis près de 6 mois ! Les clients de Fertial ne pouvaient même pas être remboursés en raison du gel bancaire par les autorités algériennes.
Ces blocages et dysfonctionnements desservent l’intérêt de l’Algérie et les clients internationaux se tournent vers d’autres marchés comme l’Egypte qui tire profit de la crise paralysant actuellement l’industrie pétrochimique de l’Algérie. Et les traders les plus influents du marché mondial vont se réunir le 2 et 3 décembre prochains à Bucharest en Roumanie pour rencontrer les 25 clients les plus importants du marché mondial des fertilisants. Selon nos investigations, l’Egypte va dépêcher une forte délégation pour draguer les clients habituellement fidèles à l’Algérie.
Les problèmes et dysfonctionnements du marché algérien ont fait fuir de nombreux traders et clients traditionnels. Les égyptiens préparent le lancement d’une nouvelle grande usine de production de l’ammoniac, un méga-projet de deux millions de tonnes géré en partie par le ministère de la Défense Nationale égyptien. Avec ce nouveau projet industriel, l’Egypte entend rafler les clients mécontents de FERTIAL et de la Sorfert ou d’AOA. Avec beaucoup moins de bureaucratie et une stabilité politique favorisant les affaires, l’Egypte veut attirer chez elle les plus gros clients des engrais ou fertilisants comme Valency International Trading, Mibiz Group, SG Commodity, Wendel Trading Company et les autres.
En perdant ses clients au profit de l’Egypte, l’Algérie va perdre des centaines de millions de dollars par an. L’Algérie peut produire, si elle exploite entièrement toutes ses potentialités, jusqu’à 3 milliards de dollars d’urée et d’ammoniac. Des rentrées de devises précieuses pour le Trésor Public algérien.