Une coalition de pays arabes, dont l’Égypte et l’Arabie Saoudite, viennent de rompre leurs relations diplomatiques avec le Qatar. La cause ? Retenons notre éclat de rire, une accusation de financement du terrorisme islamique. Les algériens de ma génération savent depuis longtemps l’origine du mal profond qui nous a foudroyés, ils ne tomberont pas dans ce piège grossier. D’ailleurs, la communauté internationale n’est pas dupe de la tentative de diversion.
Cela a déjà été dit à de nombreuses reprises, nous avons vu arriver en Algérie dans les années soixante-dix une horde de milliers de professeurs égyptiens destinés à notre « arabisation », comme si nous étions des étrangers qu’il fallait remettre sur le bon chemin de leurs racines. Il fallait nous éduquer, extirper le mal en nous, pensaient-ils.
Cela aurait été légitime si une éducation de haut niveau nous avait été proposée. Hélas, les germes de la catastrophe algérienne ont été inoculés à dose massive jusqu’à l’explosion actuelle du niveau scolaire et de la réflexion intellectuelle générale. L’Égypte condamne le Qatar pour apologie et financement du terrorisme islamique, c’est oublier que des centaines de milliers de cerveaux, de génération en génération, ont été contaminés par une idéologie nationaliste et religieuse venant de ce pays originaire de thèses malsaines (enseignées dans des universités théologiques, faussement libérales)[1].
Certes, l’Égypte fait des efforts pour réparer son erreur car elle s’est retrouvée face à une bête immonde qui l’a menée vers les abîmes. Mais il fallait encore rappeler à ce pays qu’il fut et, est encore, un pourvoyeur de la dangereuse vague doctrinaire qui éloigne la nation arabe de sa résurrection. Demander aux malheureux égyptiens coptes ce qu’ils en pensent !
Si malgré tout, l’Égypte essaie de s’en sortir et compte en son sein, nous l’avons constaté lors du printemps arabe, des forces de progrès, ce n’est absolument pas le cas de l’autre grand protagoniste de cette affaire.
L’Arabie Saoudite, dès que mon clavier rédige ce nom, mon esprit ne sait par où commencer. Une espèce de grosse clownerie, burlesque, aux dirigeants qui se déplacent avec la finesse de leur culture, le raffinement et l’humanisme de leurs actions. Ils sont aussi visibles qu’une grosse limousine aux gentes monstrueusement dorées ou que les énormes chaînes au coup des rappeurs.
L’Arabie Saoudite est notre honte, notre boulet qui nous ramène toujours, aux yeux du monde, à ce qu’ils voudraient qu’on soit car cela les rassure de leur supériorité supposée. Partout dans le monde, on adule la culture du musulman « mythique » (ou historique) mais c’est pour mieux mépriser celle de la majorité, celle qui représente le voisin de palier ou de quartier et qui ne peut acheter les sentiments et la reconnaissance avec des pétrodollars.
Les tentatives de ce pays pour faire oublier qu’ils sont les pourvoyeurs d’une interprétation orthodoxe et meurtrière de l’islam ont du mal à être acceptées. Le montant du chèque pour continuer à acheter le support des États-Unis devient de plus en plus important. L’énormité de la promesse d’investissements, aux montants pharaoniques, a encore fait taire Donald Trump lors de son déplacement récent. Mais ce pays aura-t-il encore et toujours les moyens de s’acheter un soutien américain ainsi que celui des pays européens, notamment par l’achat d’armes pour des montants très juteux ?
D’ailleurs, Donald Trump a demandé une rallonge du chèque puisqu’il a « exigé » des efforts afin pour combattre le terrorisme international. Il ne s’est pas écoulé quinze jours pour que les saoudiens donnent l’impression d’honorer le contrat.
En ce qui concerne l’Arabie Saoudite, l’Algérie n’a pas payé la facture par un abrutissement des programmes de l’éducation nationale comme ce fut le cas avec l’Égypte. Mais en revanche, notre génération se souvient que les financements d’étudiants à l’étranger et certains avantages directs furent généreusement accordés par ce grand défenseur des libertés. Ce furent les premiers signes d’une tentative d’inscrire le wahhabisme dans les esprits.
Inutile de reprendre l’historique de la démarche, il suffit tout simplement de se remémorer l’épisode de Ben Laden. Qui était ce Zorro du monde arabe, ce militant des âmes perdues ?
Était-il il un étudiant communiste ou libertaire en guerre contre la dérive autoritaire de son pays ? Un militant des droits de l’homme qui voulait libérer les musulmans d’une monarchie décadente et corrompue ? Non, absolument pas. Ben Laden fut le riche héritier d’un protégé du roi qui fit fortune dans l’immobilier. Les enfants de sa caste jouaient aux pilotes de course avec de gros bolides, certains collectionnaient les chevaux à plusieurs millions. Lui, a préféré jouer avec de gros de milliardaires, s’inventer un personnage de super-héros, le rebelle du royaume.
Les milliards, il les as distribués, non pas seulement pour renverser le wahhabisme mais pour un islamisme encore plus assassin. Ben Laden aimait les jouets de milliardaires, il a choisi le plus meurtrier, celui qui correspondait à sa profonde éducation de jeunesse, près des princes saoudiens. L’islamisme et son financement est la véritable marque de son éducation, il ne pouvait en être autrement. Il ne savait penser la rébellion autrement que par la marque indélébile de sa formation saoudienne.
Quant aux autres princes du désert, aujourd’hui liés à la menace contre le Qatar, ils n’ont comme seul objectif que celui de préserver leur puissance fragile qui ne tient qu’aux revenus pétroliers, très éphémères. Ils sont sous le joug politique de leur suzerain, voisin géographique, aussi vaste territorialement que puissant par son armement. Ces royaumes d’opérettes, des « Las Vegas du désert », n’ont pas plus relevé le niveau d’éducation et de liberté que leur immense voisin saoudien, pas plus que le richissime Koweït ne l’avait fait en ses temps plus glorieux. Ce qui se passe est tout simplement un règlement de compte entre émirs. Une espèce de guerre commerciale, du marketing pour leurs principautés factices, disons, un peu plus « musclée ».
Les algériens vivent ces péripéties de loin et devraient prendre garde à s’y mêler. Notre pays a déjà payé très cher son adhésion à un panarabisme aveugle. La fierté est dans une langue et dans l’intelligence, dans la science et les valeurs qu’elle peut véhiculer. Nos gouvernants ont opté pour la partie sombre du panarabisme, soit la déculturation, la mystique dangereuse, le népotisme et la corruption.
Nous sommes des arabes, des berbères (ou dans l’ordre contraire, comme cela plaira à mes lecteurs) et, principalement, des musulmans (tout au moins de culture). Nous devons impérativement nous éloigner de cette dangereuse foi en une nation arabe chimérique. Et s’il fallait la construire, cela est légitimement positif, il faut commencer sérieusement à distinguer le bon du mauvais et ne pas s’engouffrer dans des nationalismes aveugles et dangereux.
Laissons les sombres monarchies régler leurs soucis dus à l’arrêt de l’eldorado pétrolier et occupons-nous de notre défi immédiat. La nation arabe, ne la faisons qu’avec les forces de l’intelligence, de la démocratie et du savoir.
Quant à l’endroit où se trouve le lieu le plus sacré de nos compatriotes musulmans, il est temps de se poser la question de son statut. Que l’Arabie Saoudite puisse se revendiquer gardienne « spirituelle » de ce lieu est la condamnation à jamais de notre descente aux enfers.
Ou alors, il faudra que ce pays se réforme. Peut-être nos petits enfants, au mieux, auront cette chance de le constater.
SID LAKHDAR Boumédiene, Enseignant
[1]Ce développement doit s’entendre comme une accusation sévère des régimes politiques de ces pays, certainement pas des peuples. A un moment de l’histoire où ces régions étaient en proie à des questionnements troublés quant à leur identité et à leurs valeurs, ce n’était pas très opportun de les importer à notre compte.