19.9 C
Alger
jeudi, mars 28, 2024

Analyse. L’inquiétant futur des relations internationales depuis le début de la guerre en Ukraine

L’invasion illégale de l’Ukraine par la Russie – tentative flagrante de détruire un État souverain et indépendant vivant en paix dans des frontières reconnues – a soulevé de profondes questions quant au monde dans lequel nous voulons vivre et quant à l’organisation future des relations internationales. Un an plus tard, il devient plus urgent encore de chercher des réponses, qui doivent venir des pays proches de la guerre aussi bien que de ceux qui en sont éloignés.

Échouer à défendre, ici, les principes fondamentaux de la souveraineté et de l’indépendance, c’est risquer d’ouvrir la porte, partout ailleurs, aux régimes autocratiques et belliqueux. Si nous voulons vivre dans un monde où les conflits entre États sont résolus par la négociation plutôt que par la force, nous devons admettre que le défi lancé par la guerre à l’ordre international d’après 1945 touche tous les pays, quel que soit leur système politique, quelles que soient leurs alliances. En réalité, ce sont les plus petits pays, les moins puissants, qui souffriront le plus si le monde se scinde en deux blocs rivaux, comme il le fit durant la guerre froide.

En tant qu’ancien secrétaire général des Nations unies et ancien président de la Colombie, nous ne considérons pas la guerre en Ukraine d’un point de vue européen ou occidental. Lorsque nous nous sommes rendus à Kiev, en août 2022, à l’invitation du président ukrainien Volodymyr Zelensky, ce fut au titre de membres des Anciens (The Elders), le groupe de dirigeants indépendants que Nelson Mandela a fondé pour défendre la paix, la justice, les droits humains et un avenir durable sur cette planète. Et à ce titre, ce n’est pas de gagner des guerres qui nous préoccupe, mais d’y mettre un terme ; nous croyons aussi qu’il n’est jamais trop tard pour commencer à préparer le dialogue qui parviendra à une paix juste et durable en accord avec la Charte de l’ONU.

C’est à travers une optique mondialiste que nous voyons cette guerre terrible et ses conséquences. Nous comprenons que des pays qui connaissent l’inflation et la pauvreté, en raison de l’effondrement des approvisionnements de grain et de l’envolée des prix de l’énergie, considèrent qu’il est moins urgent de défendre les règles internationales et de demander des comptes à la Russie que de résoudre une crise de sécurité alimentaire qui menace des millions de personnes vulnérables.

De même, nous comprenons pourquoi, alors que les dynamiques géopolitiques de puissance deviennent moins prévisibles, certains pays cherchent à peser leurs intérêts politiques et économiques pour préserver, de la meilleure façon possible, leur sécurité et leur prospérité. Dans de nombreux pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, le discours de l’Occident sur la défense des valeurs de la « communauté internationale » sonne creux au regard de l’échec des pays riches à distribuer équitablement les vaccins durant la pandémie de Covid-19 ou à fournir les financements depuis longtemps promis pour lutter contre la crise climatique.

La réponse de l’Asie, de l’Amérique latine et des autres parties du monde, hors l’Europe et l’Amérique du Nord, ne doit pourtant pas être le retrait du droit international et des droits universels ni le maintien d’une neutralité face à l’épreuve de l’Ukraine. Contrairement à ce que certains suggèrent, la neutralité ne fait pas progresser les perspectives de paix ; elle ne fait que conforter le président russe Vladimir Poutine dans son objectif de destruction de l’Ukraine, et elle pourrait encourager ailleurs des actes comparables d’agression et d’expansion territoriale.

Voici quatre-vingts ans, les Alliés s’engageaient, par la déclaration de Moscou, à bâtir « une organisation internationale fondée sur le principe de l’égalité souveraine de tous les États pacifiques ». Aujourd’hui, nous avons besoin que tous les États membres affirment à nouveau leur volonté de jouer leur rôle dans la revitalisation d’un ordre impartial fondé sur des règles qui protègent tous, y compris pour les moins puissants, et valent pour tous.

Pour parvenir à cet ordre international revitalisé et le pérenniser, il nous faut des systèmes de gouvernance plus équitables et une plus grande cohérence dans l’application des règles. Les puissances régionales montantes ont à cet égard un rôle essentiel à jouer – et des choix déterminants à faire. L’an dernier, le sommet du G20 de Bali a montré que les puissances régionales comme l’Indonésie peuvent contribuer à surmonter les divisions. Réunis, les dirigeants politiques ont réaffirmé le caractère crucial de la Charte des Nations unies et veillé à l’expression des intérêts du Sud global, comme la sécurité alimentaire et énergétique, dans les débats et la déclaration finale.

Aujourd’hui, les présidences de l’Inde, du Brésil et de l’Afrique du Sud au G20 offrent l’opportunité de s’appuyer, durant les trois prochaines années, sur les acquis indonésiens. Les lignes de fracture actuelles ne doivent pas permettre d’occulter le but fondamental que nous tous partageons : un monde dans lequel les conflits sont réglés de façon pacifique, dans le respect du droit international et des droits humains.

Restaurer la crédibilité du système international requiert plus qu’une conduite éthique et qu’une cohérence morale. Des réformes ambitieuses de l’architecture mondiale de la paix et de la sécurité sont également nécessaires – et l’épineuse question de la réforme du Conseil de sécurité fait partie de la tâche.

Nous avons besoin d’un système plus équitable et plus représentatif, qui soit aussi capable d’entreprendre des actions décisives en réponse aux violations graves de la Charte des Nations unies. Et tandis que nous approchons du Sommet de l’avenir qu’António Guterres, le secrétaire général des Nations unies, souhaite tenir l’année prochaine, c’est non seulement envers le peuple ukrainien mais envers toute l’humanité que nous avons le devoir de refuser l’agression et de mettre un terme à l’impunité des agresseurs. C’est ainsi que nous pourrons honorer la promesse d’un monde libéré du fléau de la guerre qui est celle de la Charte des Nations unies.

Traduit de l’anglais par François Boisivon

Ban Ki-moon, vice-président des Anciens (The Elders), est ancien secrétaire général des Nation unies et ancien ministre sud-coréen des Affaires étrangères. Juan Manuel Santos, prix Nobel de la paix, est ancien président de la Colombie (2010-2018) et membre des Anciens.

Copyright: Project Syndicate, 2023.
www.project-syndicate.org

dernières nouvelles
Actualités